Greenhushing : le nouveau danger en matière de communication environnementale

22 juil. 2024

4min

Greenhushing : le nouveau danger en matière de communication environnementale
auteur.e
Alix Mardon

Journaliste

contributeur.e

Le « greenhushing » remplace progressivement le « greenwashing » dans les problématiques de communication écologique. Entre méconnaissance et calculs des entreprises, cette pratique engendre de nouveaux risques.

Notion inventée en 2008 par le cabinet de conseil Treehugger, le greenhushing consiste à choisir de ne pas mettre en avant les initiatives écologiques de son entreprise afin d’éviter d’attirer l’attention sur ces dernières. Si cette pratique peut être le résultat d’une mauvaise maîtrise de la communication RSE, elle peut également naître de la crainte des critiques, ou être un choix stratégique délibéré des organisations. Contrairement au greenwashing, le greenhushing n’est pas encore connu du grand public. Antoine Guéneau, expert ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), est chargé d’auditer et de vérifier la conformité des rapports des entreprises par rapport aux normes environnementales en vigueur. Il nous explique comment le greenhushing ouvre un nouveau débat sur la diffusion et la transparence des engagements des organisations.

RSE : de l’absence de compréhension à l’absence de communication

Dans les cas les plus « honnêtes » de greenhushing, l’entreprise ne s’exprime pas sur son engagement écologique car elle ne sait tout simplement pas comment s’y prendre. Manquer de compétences en matière de RSE, et sous-estimer l’engagement qu’elle peut susciter, cela mène parfois les entreprises à ne rien communiquer… du tout. Selon Antoine Guéneau, ce problème résulte d’une structure interne insuffisante : « Dans ce cas de figure, il n’y a souvent pas de direction RSE dédiée. Or une supervision constituée de personnes expertes évite ce silence néfaste car elles maîtrisent le sujet ».

Pour éviter cette carence, il est également nécessaire que la RSE ne soit pas détachée du reste de l’entreprise. « Si elle est totalement à part, elle n’est pas implantée dans l’ADN de l’organisation et cela pousse au greenhushing puisque les salariés eux-mêmes ne comprennent pas les engagements et ne peuvent donc pas communiquer dessus, poursuit l’expert. Un comité dédié permet de hiérarchiser et d’expliquer les enjeux écologiques pour définir un cap. Il ne faut pas mettre toutes les actions à la même échelle. En hiérarchisant, l’entreprise montre qu’elle est consciente des différents enjeux et de l’impact de ses mesures. » Il s’agit de mettre en avant et d’échelonner des objectifs écologiques clairs et visibles par tous. L’absence d’un tel cap écologique serait une forme de greenhushing.

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Pourquoi les entreprises cèdent-elles à la tentation du greenhushing ?

Parce qu’elle ne sont pas à l’abri du whataboutism

Les entreprises redoutent un reproche : « Vous n’en faites pas assez ! ». Malgré des initiatives écologiques établies et communiquées au grand public, l’ombre du « whataboutism » plane… Certains efforts environnementaux faits par les organisations sont constatés, mais qu’en est-il de tel ou tel sujet ? C’est là la crainte qui découle du whataboutism : être pointé du doigt sur ce que l’on ne fait pas, alors qu’on répond à certains enjeux par ailleurs. Pour l’éviter, la meilleure stratégie reste encore de hiérarchiser ses actions et de définir son cap écologique. Mais face à la peur de la critique, certaines entreprises préfèrent se murer dans le silence plutôt que de se risquer à l’exposition.

Parce qu’elles n’ont pas tenu toutes leurs promesses

Le choix du silence peut également être favorisé par une entreprise qui aurait eu la langue un peu trop bien pendue en matière d’objectifs. « On peut pratiquer le greenhushing pour échapper au reproche de ne pas en faire suffisamment par rapport à des objectifs annoncés, explique Antoine Guéneau. Aujourd’hui, la moindre donnée est vraiment scrutée. Microsoft avait par exemple annoncé un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2030. Mais avec l’arrivée d’Open AI et de son empreinte carbone, leur objectif est devenu inatteignable. » Avez-vous entendu le géant communiquer sur le sujet récemment ? Hum… Nous non plus… « Il faut savoir qu’une requête faite sur ChatGPT consomme à peu près 60 fois plus d’énergie qu’une requête Google, illustre l’expert. À partir de maintenant, Microsoft va probablement faire du greenhushing : déclarer de moins en moins pour éviter de créer des attentes trop fortes et se faire ensuite épingler car l’écart par rapport à l’annonce est trop grand. » C’est aussi l’un des penchants du greenhushing : se taire pour ne pas rappeler qu’on est passé à côté de certaines de ses promesses.

Parce qu’elles craignent d’être accusées de greenwashing

Les entreprises sont de plus en plus encadrées légalement. « Depuis cinq à six ans, l’ESG se traduit par un renforcement important des normes, éclaire Antoine Guéneau. Les dernières en date sont très contraignantes : la CSRD fixe de nouvelles obligations de reporting et l’IFRS demande des états financiers transparents. Mais il y a en plus la loi climat et résilience qui interdit aux organisations de communiquer sur certains points environnementaux obligatoires, pour contrer le greenwashing. » On a d’un côté des lois qui bloquent les déclarations sur des actions écologiques exigées, et de l’autre, celles qui obligent à de plus en plus de transparence. La gestion et la transmission de l’information deviennent ainsi de véritables casse-têtes pour les entreprises qui font le choix du greenhushing afin d’éviter de payer les frais d’un potentiel greenwashing.

Vers une peur généralisée du « ESG backlash » ?

Le greenhushing est aussi devenu un enjeu politique sur les marchés financiers aux États-Unis. Le terme « ESG backlash » (contrecoup) a même fait son apparition dans la presse économique américaine. « Il y a des lobbys très forts qui en ont assez des normes environnementales. Ils les trouvent trop dures à assumer, dépeint Antoine Guéneau. On voit donc émerger une tendance d’entreprises qui ne veulent pas être qualifiées de “woke” ou “trop engagées” pour ne pas faire peur à ces potentiels investisseurs. » Elles cessent alors de communiquer sur leurs actions écologiques.Emmanuel Faber, ex PDG de Danone, en aurait fait les frais en France : il aurait été démis de ses fonctions notamment pour ses plans de durabilité annuels, portés à trop grands frais de communication. « Aux États-Unis, certains font même le choix de ne plus utiliser le terme d’ESG, poursuit l’expert. Ils lui préfèrent l’euphémisme “politiques environnementales”, qui donne l’impression de ne pas être trop engagés, donc trop contraignants. » Se dirige-t-on vers cette même « autocensure » dans l’Hexagone ? Le temps nous le dira.

Par tous ses aspects, le greenhushing représente un danger pour la diffusion de l’importance de l’écologie dans le monde de l’entreprise. Jusqu’ici, les organisations cherchaient à paraître les plus « vertes » possible pour se montrer attractives, quitte à tomber dans le greenwashing. Aujourd’hui, alimenté par un manque de compréhension des actions RSE, la peur de la polémique ou la pression d’un capitalisme toujours plus ancré, le greenhushing enraye cette dynamique. « Il fait naître le risque d’être seulement “conforme” : pourquoi faire plus si le marché ne demande pas plus ? Pourquoi prendre des initiatives si elles peuvent effrayer les investisseurs ? Or, il vaut finalement presque mieux du greenwashing que du greenhushing pour ne pas casser l’élan vertueux qui était jusqu’alors encouragé », conclut Antoine Guéneau.


Article écrit par Alix Mardon, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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