Cyrielle Hariel : « L’engagement RSE est un enjeu clé pour le recrutement »

Sourire hollywoodien, énergie magnétique, Cyrielle Hariel a le feu sacré : cette journaliste d’impact s’engage sur les problématiques environnementales et sociétales au quotidien, voguant des plateaux télé aux terrains accidentés avec une aisance déconcertante. Spécialisée dans la consommation responsable, le développement durable et la RSE, elle présente l’émission Objectif Raison d’être sur BFM Business. Chaque semaine, elle met en lumière les dirigeants qui ont fait le pari d’une économie plus humaine et plus green. Et elle poursuit ce travail inspirationnel en tant que speaker TedX et autrice (Faire battre le cœur du monde ; Nos raisons d’être). Quand certains abordent l’écologie avec une approche culpabilisante voire anxiogène, Cyrielle se distingue par son discours solutionnant et positif. Place à l’interview qui vous fera voir la vie en vert.

Comment es-tu devenue journaliste d’impact, quel a été le déclic ?

Un voyage au Bangladesh en mai 2014. Dans le cadre d’une mission humanitaire, je devais rencontrer des rohingyas apatrides dans des camps de réfugiés. Avant mon départ, je vais me faire vacciner à l’Institut Pasteur : on me décèle une pathologie cardiaque, un souffle au cœur. Je me suis fait opérer huit semaines plus tard, on m’a posé une prothèse à 27 ans. Ça a changé ma vie et ma vision du monde.

Il y a eu un avant et un après…

Clairement. Il faut dire que j’ai eu très peur de mourir. J’étais au plus bas, vulnérable du point de vue de la santé… et des finances. En 2015, j’ai créé mon blog mais j’avais zéro business model, et je commençais à toucher le RSA. Pourtant, je me suis dit : « Ce n’est plus la même Cyrielle », et je suis devenue aussi spirituelle que combative. C’est comme ça qu’est né mon motto « Faire battre le cœur du monde » et que je me suis concentrée sur le « give back ». J’ai commencé à tendre mon micro à celles et ceux qui voulaient soigner la planète. Maintenant que mon souffle s’est résorbé, je ne peux m’empêcher de me dire que c’est un voyage parmi les plus fragiles qui m’a sauvée.

Dirais-tu que tu fais partie des change makers, ces acteurs du changement qui s’engagent et agissent entre autres pour préserver la planète et ses habitants ?

Aujourd’hui, je parlerais plutôt de game changers ou de decision makers, c’est-à-dire d’individus qui agissent de manière proactive en cherchant des solutions. Personnellement, je n’aime pas l’idée de « changer le monde » car cela semble très prétentieux. En réalité, le monde allait très bien avant l’intervention des humains. C’est l’augmentation de la population qui a engendré des problèmes en épuisant les ressources naturelles limitées de la Terre. Il est plus approprié de dire « Soignons le monde » ou « Réparons-le », plutôt que « Changeons-le ».

Face à la crise écologique en marche, es-tu plutôt pessimiste ou optimiste ?

Je fais un métier où chaque semaine sur mon plateau, je donne la parole à des décideurs qui agissent pour décarboner, pour donner du sens à notre épargne, pour développer une mode plus responsable, etc., donc contribuer à une société plus écologique et plus durable. Je reçois des grands comptes qui viennent se faire challenger par des plus petits comptes. Et dans la matinale, je mets en lumière des pépites RSE. Mon quotidien est rempli d’actions et de solutions, je baigne dans une effervescence qui ne peut que me rendre positive.

« On ne peut pas cacher la réalité et avoir une approche de bisounours, mais il faut aussi inspirer les gens. »

Et pourtant, le discours dominant – auquel contribue largement la presse – est assez anxiogène. 69 % des Français se déclarent d’ailleurs pessimistes concernant l’avenir de la planète et certains sont devenus éco-anxieux. Quels conseils nous donnerais-tu, à nous les médias et plus largement aux entreprises qui s’engagent, pour faire de l’écologie un sujet mainstream et attractif ?

Les discours qu’on entend et le vocabulaire utilisé sont majoritairement moralisateurs, négatifs ou techniques. Déjà, je préfère utiliser le mot « impact », qui est fort et synonyme de mouvement. Mais aussi à communiquer sur les initiatives qui vont dans le bon sens et à être orienté « solutions ». Dernièrement, j’étais à un rendez-vous pro et j’ai entendu : « On va diffuser un truc sur les catastrophes climatiques »… Stop ! Bien sûr que selon le contexte, on ne peut pas cacher la réalité et avoir une approche de bisounours, mais il faut aussi inspirer les gens. Et pour cela, il est important de remettre le « beau » au centre de l’info, comme le fait National Geographic, et d’arrêter de jouer la carte du sensationnalisme.

Toujours sur la question du vocabulaire… Il y a quelque temps, face à la pénurie énergétique, Emmanuel Macron a parlé de « sobriété » et de « fin de l’abondance », notamment pour les entreprises. Comment analyses-tu ces éléments de langage ?

Ce sont des phrases chocs. Les propos d’Emmanuel Macron sont avant tout dictés par le contexte géopolitique. Avec la guerre en Ukraine et la situation tendue concernant le gaz, il est devenu urgent de sensibiliser la population et les organisations à la nécessité d’économiser l’énergie. C’est pourquoi le président s’est exprimé à la télé avec son col roulé et ses : « Voilà, il faut se serrer la ceinture au niveau du chauffage, etc. ». Et il a raison, nos ressources ne sont pas infinies. Mais les scientifiques le disent depuis des décennies ! Ce message est opportun et il aurait été préférable de le communiquer plus tôt.

Tu es néanmoins persuadée qu’il n’est pas trop tard. D’ailleurs, face à la crise environnementale, les entreprises ont un rôle à jouer…

Il est central car elles ont le pouvoir de donner l’exemple : à leurs salariés, à leurs clients… Pour moi, et c’est ce que je dis dans le livre Nos raisons d’être co-écrit avec Sylvain Reymond, une entreprise qui ne s’engage pas, c’est une entreprise qui ne se projette pas. Heureusement, j’ai l’impression que beaucoup prennent à bras le corps ce sujet parce que bien entendu, ça fait vendre, mais surtout parce que c’est bénéfique pour notre « maison commune ». J’espère que pour les investisseurs et actionnaires, soutenir l’impact fait sens aussi. Il faut aller plus vite face à l’urgence climatique. Et chacun doit s’y mettre.

Tu dis que se montrer écoresponsable fait vendre. Et on reproche parfois à certaines entreprises de faire du greenwashing, de n’agir qu’en surface pour servir leurs intérêts financiers. Comment identifie-t-on une stratégie purement promotionnelle ?

Il faut se poser les bonnes questions. Prenons un acteur qui produit des énergies fossiles et développe en parallèle des alternatives vertes sur lesquelles il communique beaucoup : « Regardez, on investit X millions dans les énergies renouvelables ». C’est vrai, il le fait, et tant mieux. Mais c’est peut-être 10 % de son portefeuille d’investissement. Autrement dit, il peut investir 10 milliards dans les énergies renouvelables, mais continuer de produire des énergies sales à hauteur de 90 milliards par an. Pour reconnaître le greenwashing, il est essentiel de dézoomer. Néanmoins, je ne pense pas que ce soit toujours du green ou du social washing. Ces entreprises ne sont pas forcément hypocrites, la plupart agissent comme elles peuvent et sont de bonne foi. Et si elles ne faisaient rien, elles seraient critiquées aussi. Ce phénomène est très français, on aime tacler. Toutefois, certaines pratiques me dérangent. Par exemple, on m’a proposé qu’un directeur marketing s’exprime dans mon émission : j’ai répondu que ce n’était pas à lui de parler d’impact car on ne vend pas une démarche RSE.

Tu as des exemples de marques aux initiatives vertueuses et inspirantes ?

Je pense à une startup qui est en train de monter : Hopium. Elle conçoit des voitures à l’hydrogène produites en France qui vont sortir à l’horizon 2025. Le groupe Moët Hennessy, lui, s’implique beaucoup dans l’agriculture régénératrice, qui permet de préserver les sols et la biodiversité. C’est un combat moins connu du grand public, et pourtant indispensable pour assurer la qualité de leur raisin et des vins et spiritueux qu’ils vendent. Dans le secteur du luxe, il y a la marque Guerlain, qui allège ses flacons de parfum et investit dans la R&D autour de l’abeille, parce qu’elle a une gamme de produits éco-conçus avec de la gelée royale. Enfin, Maisons du Monde a mis au point des « congés solidaires » pour sensibiliser ses collaborateurs sur le terrain : l’entreprise les emmène tous les ans en plein cœur de l’Amazonie rencontrer des ONG qu’elle soutient. Cet aspect « formation et immersion » est extraordinaire et mériterait d’être décliné au sein d’autres structures, à tous les échelons. Cela peut sembler anecdotique, mais mises bout à bout, ces initiatives font avancer les choses dans le bon sens.

En quoi les entreprises engagées sont-elles plus attractives pour les candidats, notamment de la jeune génération ?

Je le vois bien avec les patrons qui lancent leur entreprise à mission, travaillent leur raison d’être ou sont en attente de leur label B-Corp. L’engagement RSE est un enjeu clé pour le recrutement et la fidélisation en interne. Aujourd’hui, beaucoup de talents y sont sensibles. Ils ont besoin de sens et sont fiers de pouvoir se dire : « J’intègre une grosse boîte qui s’occupe du bien commun, de ses salariés, mais aussi de vendre des bons produits tout en respectant le plus possible le vivant et les consommateurs ».

Pour finir, j’aimerais que tu te mettes dans la peau d’un dirigeant ou d’un manager ! Comment rassurerais-tu tes équipes sur le sujet de l’écologie, sans mettre la poussière sous le tapis ?

Je dirais qu’une entreprise ne doit pas chercher la perfection, qui n’existe pas, mais que l’on peut toujours s’améliorer à l’échelle collective et individuelle… en tout cas réduire notre impact négatif en produisant mieux et en polluant moins.

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Photo : Thomas Decamps pour WTTJ