Trouble de l’attention avec hyperactivité : « J’en ai fait un atout au travail »

29 oct. 2020

7min

Trouble de l’attention avec hyperactivité : « J’en ai fait un atout au travail »
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

« Lorsque j’étais petit garçon, mes parents me trouvaient turbulent et épuisant ! », confie Mickaël, 36 ans, UX designer chez Ubisoft. Il est TDAH, c’est-à-dire qu’il a un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. Car oui, cette perturbation des fonctions cognitives, souvent associée aux enfants agités qui ont des problèmes d’attention, touche aussi les adultes. Émotivité, impatience, impulsivité, oublis fréquents… sont quelques-unes des manifestations de ce trouble qui bien souvent, complique études et carrière professionnelle pour ceux qui en sont atteints. Des profils que l’on imagine difficiles à côtoyer ou à manager en entreprise, n’est-ce pas ? Et pourtant, ce handicap cognitif peut révéler d’autres grandes qualités empathiques et créatives… C’est ce que nous révèle Mickaël, qui revient sur son parcours et raconte comment, ce qu’il a longtemps considéré comme une faiblesse, est devenu l’une de ses plus grandes forces.

Une scolarité compliquée

Si le diagnostic est tombé à l’âge adulte, les symptômes de ce trouble sont présents depuis ma tendre enfance. Et c’est durant ma scolarité que cela été le plus difficile : incapable de rester assis longtemps, je touchais tout le temps mes affaires, j’étais dissipé, impatient, trop bavard… Impossible de lever la main et d’attendre mon tour, par exemple, je devais crier ma réponse aux professeurs ! (Une fâcheuse tendance à couper la parole que je n’ai pas complètement perdue d’ailleurs…(rires)) J’avais surtout des problèmes d’attention et une mauvaise capacité d’écoute… Enfin, surtout pour les matières qui ne m’intéressaient pas. J’étais d’ailleurs extrêmement mauvais en maths, et j’en garde des souvenirs assez violents, à littéralement me taper la tête contre mon bureau tellement je n’y comprenais rien ! C’était une grande souffrance pour moi, surtout de voir que les autres élèves y arrivaient et, pas moi. Il y a malheureusement beaucoup d’échecs scolaires chez les enfants atteints de ce trouble, et c’est très difficile psychologiquement de ne pas arriver à suivre le niveau de la classe.
La bonne nouvelle, c’est qu’a contrario, j’excellais dans les matières créatives, comme les lettres et les arts plastiques. C’est d’ailleurs une des particularités de ce handicap : le TDAH fait que seule quelque chose qui vous intéresse, vous permet d’être attentif. Ce qui est a priori un frein se transforme alors en moteur et permet une hyperconcentration, une hyperfocalisation sur le sujet en question. On devient alors super investi et très efficace, plus que les personnes neurotypiques même.

En capitalisant sur mes bonnes notes dans ces matières, j’ai décroché un Bac Littéraire, mais impossible d’aller au bout de mon BTS en Arts visuels dont les cours ne me stimulaient pas suffisamment. Ah oui, c’est une autre caractéristique de mon trouble : l’impulsivité. Je suis capable de tout arrêter, du jour au lendemain, même si c’est important. En fait, je dois être constamment passionné par ce que je fais pour que ça marche. Mais même sans diplôme, j’ai réussi à décrocher mes premiers boulots en tant que graphiste grâce à mon book, et puis j’ai gravi les échelons jusqu’à devenir directeur de création en web design. Parallèlement, j’ai fait des recherches sur le TDAH, et j’ai lancé des démarches pour passer des tests auprès de neuropsychologues. Quel soulagement quand le diagnostic est tombé ! Enfin, je comprenais mes réactions, parfois si passionnées et démesurées ! Car oui, je suis hypersensible, et peut partir au quart de tour : combien de fois une simple contrariété s’est transformée en mélodrame digne d’une telenovela ! C’est difficile à vivre pour soi et pour les autres, mais ne vous méprenez pas, ce n’est jamais un caprice. Quand je suis emporté par mes émotions, je ressens sincèrement une grande tristesse, je ne simule pas. Si on avait identifié mon handicap plus jeune, cela m’aurait sûrement aidé à davantage m’accepter, à avoir une meilleure estime de moi-même. Mais peu importe, aujourd’hui j’ai mis un nom sur mes démons, et je peux les combattre. Surtout, je ne ressens plus l’isolement qui a pu peser sur moi pendant ma scolarité.

Des symptômes à maîtriser

En entreprise, ma grande sociabilité me permet d’avoir de bonnes relations avec mes collègues et mes managers. Même s’il m’est déjà arrivé de m’emporter, j’ai toujours réussi à me “rattraper” grâce à ma tchatche et mon humour. Et puis j’ai développé des schémas de compensation : si par exemple je suis en désaccord avec un collaborateur, plutôt que de répliquer tout de suite de vive-voix, j’écris un mail mais je ne l’envoie pas. Le fait de l’écrire, me permet de décharger toute la colère que je ressens sur l’instant. Et puis, lorsque je le relis le lendemain, je me dis : « Ouf, il est toujours dans mes brouillons ! », et je le supprime. Quand je ressens une émotion forte, elle prend le dessus sur tout le reste, j’ai vraiment besoin de l’exprimer ! Avec cette méthode, j’ai trouvé un exutoire qui ne froisse personne.

Avec le TDAH, on a également tendance à multiplier les petits oublis ou les actes manqués du quotidien. À l’école primaire par exemple, il m’est arrivé d’oublier mon manteau tous les jours, pendant un mois alors qu’on était en hiver ! Je rentrais à la maison en pull, et ma mère avait beau me sermonner, je recommençais le lendemain. Mon cerveau est en surcharge cognitive, il traite trop d’informations en même temps, c’est le bazar ! Du coup, pour m’en sortir au niveau professionnel, je m’oblige à classifier et hiérarchiser énormément les informations que je reçois. C’est simple, je note tout ! J’ai un carnet pour toutes mes nouvelles idées, et des “to do list” dans mon téléphone. Je consigne également tous mes rendez-vous dans plusieurs agendas, et mon bureau est toujours parfaitement rangé. Cette organisation fonctionne bien, mais c’est une charge mentale supplémentaire parfois épuisante. Je dis souvent à mes collègues : « Ne me demandez plus rien après 17h ! » En revanche, je suis un pro pour hiérarchiser l’information, et ça peut être très utile.

Une faiblesse qui devient une force

Passionné par les jeux vidéo depuis toujours, je décide à 30 ans d’en faire mon métier et me lance dans une reconversion. Après avoir obtenu un master en accéléré - une jolie revanche pour le petit garçon que j’étais et qui a longtemps pensé être “bête” -, j’ai intégré Ubisoft, et je suis désormais UX designer. Un poste dans lequel mon handicap est presque devenu un super pouvoir ! En effet, un de mes rôles est d’organiser l’information et de la rendre digeste pour les joueurs. Et sur ce point, je peux totalement capitaliser sur… moi ! Car il y a aussi de grandes qualités liées à ma suractivité cérébrale comme une imagination débordante, une bonne répartie (les idées fusent à toute vitesse dans ma tête !) ou encore, une très grande empathie. Un avantage certain quand on crée des systèmes de jeux pour les autres : j’ai une capacité accrue à me mettre à la place des joueurs et à prendre du recul. Je vais tout de suite détecter s’il y a une surcharge cognitive à l’écran qui va empêcher les joueurs de se concentrer, par exemple. Finalement, ma différence s’est transformée en atout !

Un handicap désormais assumé

Petit à petit, en m’épanouissant dans mon travail, en proposant des idées qui ont remporté l’adhésion de mon équipe, j’ai gagné en confiance et trouvé le courage d’en parler. Car si aujourd’hui j’assume totalement mon trouble, ça n’a pas toujours été le cas, surtout au travail. Le pire, c’est quand on est en recherche d’emploi : impossible d’assumer un déficit cognitif devant un recruteur… Il se dira tout de suite que l’on ne sera pas performant une fois embauché. Ce qui est faux ! Il existe encore tellement d’idées reçues sur le handicap dans le monde professionnel…

Et puis, il faut savoir qu’il existe des aménagements possibles et des traitements médicamenteux pour maîtriser les symptômes du trouble TDAH. Personnellement, je ne prends plus de Ritaline, le médicament qui m’était prescrit. C’est un dérivé d’amphétamines avec des effets secondaires très importants comme des nausées, une perte d’appétit, des maux de tête, une accélération du rythme cardiaque… Et cette drogue - car elle est considérée comme un stupéfiant -, est surtout une camisole chimique pour mon esprit. Certes, cela me permet de rester calme, mais en même temps, elle bride ma créativité. Je ne suis plus vraiment moi. D’autre part, il existe des solutions alternatives pour canaliser l’énergie des hyperactifs. Pour ma part, comme je ne supporte pas la position assise, mon entreprise m’a fourni un standing desk (bureau ajustable, ndlr) qui me permet de travailler debout. Si ça peut susciter la curiosité dans l’open space, ça me permet aussi d’aborder le sujet avec ceux qui ignorent encore mon handicap.

Une déficience invisible

Au même titre que les autres handicaps cognitifs comme la dyslexie, la dyspraxie, la dyscalculie et j’en passe, le TDAH est un handicap invisible. On me dit souvent « c’est fou, ça ne se voit pas du tout ! », ce que je prends comme un compliment, naturellement. Mais cela ne veut pas dire que ce n’est pas contraignant au travail… Dans le cas d’une personne en fauteuil roulant, on a tout de suite conscience de son handicap et de ce fait, on n’ira jamais lui demander de faire quelque chose qui va à l’encontre de ses capacités. Logique. Et bien, le problème, c’est que le mien, il ne se voit pas ! Et même si je peux compter sur ma capacité d’adaptation, quand on m’assigne des missions qui me mettent en difficulté par rapport à mon TDAH, et ça arrive encore souvent, c’est difficile. C’est un défaut du monde professionnel en général : on veut des profils multifonctions. Les salariés se retrouvent inévitablement à réaliser des tâches pour lesquelles ils ne sont pas forcément bons. Moi, par exemple, on me demande régulièrement de monter en compétences sur les aspects techniques de mon travail alors que je suis un créatif ! C’est dommage, c’est tellement plus intéressant de capitaliser sur les qualités de chacun… Pour moi, c’est justement ça, la diversité en entreprise : miser sur les différences de chacun, sur ce qui nous rend tous unique. On aurait tellement à y gagner…

En ce qui me concerne et à mon humble échelle, je m’appuie sur mon profil atypique pour mener les deux combats qui me tiennent à cœur : une plus grande accessibilité et une meilleure inclusion dans mon univers, celui des jeux vidéo. En premier lieu, je veille à ce que tous les profils de joueurs - peu importe le genre, le sexe, les capacités physiques, les capacités mentales - puissent s’y retrouver. Je ne sais que trop bien, que lorsque le monde extérieur est difficile, les jeux vidéo peuvent être un véritable refuge. Et, en tant que salarié au sein d’Ubisoft, je milite également - à travers des articles, des prises de paroles, des événements - pour mieux faire connaître les troubles cognitifs. Car si aujourd’hui, ce sont les personnes handicapées qui doivent sans cesse s’adapter aux entreprises, j’espère bien que demain elles n’auront plus besoin de le faire. Après tout, nos différences, c’est bien ce qui fait notre unicité !

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