Comment gérer le sentiment de perte d'identité quand on quitte un travail ?
30 sept. 2021
5min
Journaliste indépendante
« Et toi, tu fais quoi dans la vie ? » Cette question en apparence anodine, on vous l’a probablement déjà posée, et vous l’avez sûrement posée en retour à de nombreuses reprises, lorsque vous avez fait la connaissance de nouvelles personnes. Comme si notre identité se résumait avant tout à notre profession. À l’heure où trouver du sens à son travail semble être la clé de l’épanouissement personnel, un changement ou une perte d’emploi peut résonner pour certains comme une véritable crise identitaire : “qui suis-je, si je n’ai plus ce métier qui me définit ?” Face à ces questionnements, certains psychologues américains parlent d’enmeshment - « enchevêtrement » en français - pour décrire la confusion qu’il peut parfois exister entre identité personnelle et identité professionnelle. Quelles sont les conséquences d’un tel « enchevêtrement » ? Quels risques y a-t-il à s’identifier trop fortement à son travail ? Et, le cas échéant, comment apprendre à exister en dehors de son emploi ? Décryptage d’un phénomène plus fréquent qu’il n’y paraît.
« Je travaille donc je suis » Comment identitier l’origine de cette perte d’identité ?
En France, se présenter par sa profession est monnaie courante, ce qui en dit long sur l’importance accordée par notre société au travail. Or, avec la pandémie, nombreux sont ceux - dont vous faites peut-être partie - qui ont perdu leur emploi, ou se sont vus dans l’obligation de revoir leur plan de carrière. Avec l’impression, une fois dépourvus de boulot, de ne parfois plus vraiment savoir qui ils sont. Qu’est-ce qui fait que lorsqu’on perd son emploi ou décide d’en changer, on peut avoir le sentiment de perdre une partie de nous-même, là ou d’autres le verront uniquement comme une transition, qui n’affecte en rien leur identité propre ? On vous aide à y voir plus clair sur votre situation à travers 3 facteurs décryptés.
- Facteur n°1 : La pression de votre environnement de travail
Pour Janna Koretz, psychologue américaine, si vous travaillez dans un environnement où la pression est forte et le salaire élevé, vous avez plus de risque de vous identifier démesurément à votre travail. « Notre sentiment d’identité est fortement influencé par la façon dont nous nous présentons aux autres. Lorsque quelqu’un se construit une identité fondée sur la richesse, la réussite professionnelle et le pouvoir, il finit par se lier inextricablement à la carrière très rémunératrice qui lui a permis d’en arriver là », décrypte-elle dans un article publié dans Harvard Business Review. De la même façon, si vous vous êtes beaucoup investi émotionnellement dans votre travail, vous vous identifierez plus facilement à ce dernier, comme cela peut être le cas pour certaines professions du secteur du « care ».
- Facteur n°2 : La fusion de votre vie pro et de votre vie perso
Même si cette crise identitaire est susceptible de survenir quel que soit le background professionnel, il semblerait toutefois que si vous avez réduit votre environnement extérieur jusqu’à le faire fusionner avec votre environnement professionnel (en passant beaucoup d’heures au travail, en sortant avec vos collègues plus qu’avec vos amis, en pensant constamment au travail y compris sur votre temps libre…) vous vous retrouviez plus démunis quand soudainement, celui-ci disparaît du tableau.
- Facteur n°3 : votre fort besoin de reconnaissance
Autre critère qui pèse dans la balance, le fameux besoin de reconnaissance. « L’homme est plus ou moins sensible à la reconnaissance qu’il reçoit de la société, des autres ou de lui-même, et c’est ce degré de sensibilité qui détermine la place qu’il accorde au travail dans la définition de son moi », expliquent Anne-Marie Fray et Sterenn Picouleau dans la revue Management & Avenir. Ainsi, plus grand est votre besoin d’être reconnu, plus élevé sera le risque de vous identifier à ce qui revêt une grande valeur dans nos sociétés actuelles : le travail. « Reconnaître quelqu’un, cela signifie l’identifier : quand un enfant naît, il est reconnu par ses parents à la mairie. C’est ainsi qu’il va s’inscrire dans la société. Au travail, c’est la même chose : la reconnaissance n’est pas seulement quelque chose qui nous fait du bien sur le moment même. Elle nous offre une appartenance à un groupe et nous permet de forger une estime sociale de soi », abonde la psychanalyste Hélène Vecchiali. Chercher la reconnaissance par son travail est somme toute normal, mais comment savoir quand l’image que nous avons de nous-même devient entièrement liée à ce besoin ? Quand, finalement, notre métier nous définit-il entièrement ?
Comment savoir si l’on s’identifie trop à son boulot ?
Pour Luce Janin Devillars, les patients qui s’identifient trop fortement à leur emploi se reconnaissent aux manifestations dépressives qui surviennent quand ils n’en ont plus. « Les réactions s’organisent souvent sur un mode dépressif : puisque je ne fais plus rien, je ne suis rien. Il y a une confusion entre l’activité professionnelle – qui ne représente qu’une partie de l’existence – et l’existence elle-même toute entière », explique la psychologue. Si le sentiment d’inutilité, l’impression de ne plus exister est trop forte, c’est là aussi probablement le signe que le travail prenait une trop grande place dans la définition de notre identité.
Pour tenter de déterminer si le travail prend une importance démesurée dans la façon dont nous nous percevons, Janna Koretz propose de se poser les questions suivantes :
- Combien de temps pensez-vous à votre travail en dehors des horaires de boulot ?
- Vous est-il difficile de participer à des conversations qui ne portent pas sur votre travail ?
- Comment vous décririez-vous ? À quel point cette description est-elle liée à votre travail, votre entreprise ou votre poste ? Seriez-vous capable de vous décrire autrement ?
- Votre entourage s’est-il déjà plaint du temps que vous passez au travail ?
- Avez-vous des hobbies en dehors du boulot ?
- Comment vous sentiriez-vous à l’idée de ne plus exercer votre emploi ? À quel point cette pensée génère-t-elle du stress ?
Si les réponses à ces questions semblent révéler l’influence démesurée qu’a votre emploi sur votre identité, alors il est temps de prendre les choses en main.
Relativiser et prendre du recul : le b.a-ba
Pour s’en sortir et apprendre à exister, pour soi et pour les autres, en dehors de son travail, une seule solution : relativiser la valeur du travail. Un cheminement ardu, qui demande de remettre en question les croyances sur lesquelles nous avons forgé notre image du travail. « Seule une réflexion avec un tiers (psy, coach, soutien familial éclairé) peut permettre de relativiser la valeur du travail, de prendre une bonne distance, de considérer que l’existence toute entière ne se résume pas à la fonction, au poste. Mais le chemin est souvent long. Hors finances, la question incontournable à poser est : qu’est-ce qui vous fait croire que vous n’existez qu’à travers votre profession ? » Parce que chacun a ses raisons personnelles de penser que son travail le définit, opérer cette prise de recul avec un professionnel semble être le meilleur moyen de mettre de la distance entre soi, et son métier.
Lister ce qui compte le plus pour vous en dehors du travail peut également être un bon début pour s’apercevoir qu’il existe d’autres priorités dans la vie. Janna Koretz propose notamment de classer ces différents domaines par ordre d’importance (famille, relations, religion, communauté…) puis de réfléchir aux valeurs qui vous semblent importantes au sein de chacun, afin de voir comment celles-ci peuvent guider vos prochains choix de vie.
Entamer des activités en dehors du travail peut aussi être un bon moyen de remettre ce dernier à sa juste place. Luce Janin Devillars conseille par exemple des outils comme la méditation ou le yoga, qui vont « permettre à une personne de mesurer ce qu’elle est en entier, et non de se morceler comme un puzzle ». Passer du temps en famille, entre amis, rencontrer de nouvelles personnes, permet aussi de réaliser que l’on a une valeur aux yeux des autres en dehors de son métier.
Enfin, réfléchir à son métier ou à sa carrière en réalisant que les compétences qu’on y exerce sont précieuses dans d’autres domaines que le travail est une démarche indispensable pour prendre conscience que notre valeur ajoutée ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise.
La pandémie, en remettant la santé au cœur des préoccupations, a rebattu les cartes de nos priorités, nous faisant parfois réaliser que le travail était finalement bien peu de choses face à la santé de nos proches. De la même façon, en instaurant de fait une distance physique avec ses collègues et son lieu de travail, cette période a permis à certains de prendre aussi de la distance mentale, de se recentrer sur soi, sur ses envies. Et de réaliser que, finalement, et heureusement, le travail n’était qu’un pan de notre identité.
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