L'innovation RH, un truc de start-up ?

20 nov. 2023

5min

L'innovation RH, un truc de start-up ?
auteur.e
Sophie Dussaussois

Journaliste, éditrice et auteure de documentaires pour la jeunesse

contributeur.e

Congés illimités, transparence, culture généralisée du feedback... Pour attirer les talents, les garder et booster la performance, les start-up ont renversé la table des RH. Ces pratiques peuvent-elles infuser les organisations traditionnelles ?

Côté face, des employés épanouis en jean-basket qui jouent au baby foot dans des open space colorés. Côté pile, stress, sexisme, harcèlement : le mouvement #balancetastartup a balayé la coolitude affichée des start-up. Michel Barabel, slasher de la sphère RH, enseignant-chercheur à Paris-Est Créteil, et Pierre Monclos, DRH chez Unow, auteur et conférencier, ont mené l’enquête et interrogé 119 dirigeants RH de start-up. À travers des analyses, des témoignages, des histoires immersives, des conseils, leur livre Quand les start-up, scale-up et licornes réinventent les RH, paru en octobre aux éditions Dunod, entre dans les coulisses de ces nouvelles organisations. Et tente de percer les secrets de la réussite. Rencontre avec Pierre Monclos.

En quoi les RH dites « traditionnelles » ne fonctionnent-elles plus aussi bien qu’avant ? Elles ont pourtant des process éprouvés.

Nous vivons un changement global de société qui se reflète au sein des organisations. Le souci de transparence est beaucoup plus fort, on le voit bien dans la sphère politique. Aujourd’hui, pour s’engager, les gens ont besoin d’avoir toutes les informations en main. Or, l’opacité a toujours régné dans les entreprises traditionnelles, ce qui favorise un sentiment d’injustice. Ces organisations se sont construites ainsi car leur enjeu n’était pas là, mais elles ont atteint leurs limites sur ce point. À l’inverse, les start-up, qui veulent conquérir un marché, prennent des risques et font face à des enjeux de croissance ultra rapide. Certaines ont grandi très vite et recruté jusqu’à 100 personnes par mois. Si elles échouent, elles entrent dans le couloir de la mort. Se tromper sur le recrutement n’est donc pas une option et les start-up ont dû se poser la question des ressources humaines. Elles ont fait le pari de la transparence et de la confiance pour constituer des équipes engagées, avec un bon équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Elles n’ont pas tout réinventé, mais il est indéniable qu’elles ont fait différemment et, au vu de la réussite de certaines, elles ont démontré qu’il était possible de concilier les enjeux humains et les intérêts économiques.

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Quels sont les bénéfices réels de la transparence ? N’y a t-il pas des effets pervers ?

Comme tout le monde a accès à toutes les informations, cela crée une fluidité au service de la performance et de l’épanouissement au travail. Les salariés apprennent plus vite. Mais bien sûr, il y a des limites, la première étant la notion d’infobésité. Dans un environnement saturé d’informations, il est plus difficile de trier et de hiérarchiser. Cette transparence doit donc être organisée. Autre point de vigilance : beaucoup ne sont pas à l’aise avec cette culture, notamment sur les salaires. Certaines organisations peuvent avoir peur des fuites auprès de la concurrence. Mais ceux qui y sont passés sont unanimes : la probabilité est faible et au global, ils maintiennent ce cap, car la valeur créée est plus forte.

Vous défendez une vision contextuelle des RH. Pourquoi ?

S’il y avait un seul modèle prêt à l’emploi, ce serait facile. À travers cette enquête, une de nos hypothèses de départ a été confirmée : il n’y a pas une stratégie qui marcherait dans toute entreprise et dans tout contexte. C’est pour ça que les start-up n’ont pas repris les anciens modèles, et que les leurs n’ont pas vocation à s’appliquer partout. D’ailleurs, aucune n’a choisi de tout réinventer. Cela aurait été absurde.

Peut-on parler d’un état d’esprit start-up ?

Oui. Si on devait le définir rapidement, ce serait un mode de management agile, la capacité à être malin, à faire le buzz avec peu de moyens pour relever l’enjeu de vitesse. J’ajouterais un troisième ingrédient qui est celui du management émotionnel. Les start-up affichent des codes communs dont les salariés sont fiers et qui facilitent les collaborations. On parle d’ailleurs de tribu et non pas de famille à leur égard.

Certaines start-up vont jusqu’à permettre aux salariés d’initier leur propre augmentation ou d’avoir des congés illimités. Les organisations traditionnelles pourront-elles s’aligner ?

Ces pratiques marchent quand la culture d’entreprise est compatible. Ainsi, les congés illimités ne fonctionneront que dans une organisation qui corrèle la performance à l’équilibre entre vie pro et perso. Idem pour les augmentations qui seront demandées dans une entreprise où l’argent n’est pas tabou.
Il est intéressant de voir que lorsque l’on tend vers la confiance et la responsabilisation, cela peut créer de la valeur. Nous avons voulu montrer le champ des possibles et les évolutions des RH. La confiance et la responsabilisation nous semblent une tendance durable qui touche toutes les entreprises, sans pour autant qu’elles aient besoin d’aller vers ces extrêmes.

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Quelles autres tendances avez-vous identifiées ?

Il y a une vraie place pour le « travailler moins, mais mieux », le symbole étant la semaine de 4 jours payés 5, ce qui constitue un changement de paradigme. Dans leur obligation de performance, les start-up l’ont compris. Non seulement cela va à l’encontre des boîtes traditionnelles, mais c’est inspirant. Cette réduction du temps de travail n’a pas simplement vocation à faire plaisir aux salariés. L’entreprise s’y retrouve sur les 4 piliers qui sont les enjeux de tous les DRH, à savoir : l’attraction des talents, leur engagement, leur fidélisation et la performance de l’entreprise.

En matière de recrutement, vous dites que les start-up se trompent moins. Pourquoi ?

85 % d’entre elles impliquent des pairs dans les recrutements, alors qu’ils sont réservés aux RH et aux managers dans les entreprises classiques. Cette évolution notable s’explique par l’enjeu de recruter des personnes en phase avec la culture de l’entreprise. Beaucoup de start-up nous ont dit préférer renoncer à un talent s’il n’était pas culturellement compatible. Doctolib et Mirakl ont mis au point des approches très structurées autour des entretiens, qui permettent de prendre des décisions objectives, plutôt que basées sur l’intuition. Autre point qui m’a marqué : la place de la cooptation. Cette pratique existe déjà, mais elle reste marginale. Les start-up en ont fait une ligne de force et peuvent rémunérer leurs salariés jusqu’à 5 000 € pour les remercier.

Les start-up ont-elles inventé la culture du feedback ?

Non. Ce qui change, c’est la façon dont elles l’ont utilisée à toutes les étapes. Là où les entreprises traditionnelles ont vu un phénomène de mode, elles ont incarné cette culture pour la mettre au service des individus. Elles vont même jusqu’à demander un retour au candidat qui passe un entretien d’embauche. Les personnes peuvent faire des rapports sur leur intégration et la manière dont ils l’ont vécue. Le feedback va ainsi dans les deux sens : du N-1 au manager et ça, c’était assez rare jusqu’à présent. Par ailleurs, de nombreuses start-up ont mis en place les revues 360 pour que les personnes aient des retours de tous : managers, collègues, N-1.

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Stress, conditions de travail illégales, cas de harcèlement… #Balancetastartup a révélé les dérives managériales des start-up. Ces dysfonctionnements sont-ils réglés ?

Hélas et sans surprise, les start-up n’échappent pas aux comportements toxiques des entreprises traditionnelles. Elles les ont reproduits pour deux raisons : l’exigence de performance est très forte et quand elle se cumule à une vitesse de progression, cela engendre les risques psychosociaux que l’on connaît. Dans les start-up, beaucoup se retrouvent managers très jeunes, à 25 ou 26 ans. S’ils ne sont pas accompagnés ou formés, ils sont susceptibles de reproduire des pratiques toxiques. La réponse des start-up est parfois de mettre tout le budget de formation sur les managers.

Vaut-il mieux être DRH dans une entreprise classique ou dans une start-up ?

Il y a de la place pour les deux, mais c’est incomparable. La majorité des start-up ont accordé une position plus stratégique que les entreprises traditionnelles aux RH. Tous les DRH de start-up sont présents au codir, ce qui n’est pas le cas des entreprises classiques. Dans certaines, le ou la DRH assiste au board, au même titre que le directeur commercial. Nous pensons que c’est une tendance de fond, qui préfigure le nouveau rôle, beaucoup plus stratégique, des DRH au sein des organisations.


Article édité par Ariane Picoche, photos : Thomas Decamps pour WTTJ

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