Choix de carrière : « On finit par faire ce que les gens projettent sur nous »
18 oct. 2023
5min
Parfois, nos peurs, le poids de notre passé ou des fausses croyances, nous empêchent de choisir librement notre carrière et plus globalement notre chemin de vie. Et si on se libérait enfin de nos schémas de pensée ? C’est ce que propose Johanna Rozenblum, dans son dernier ouvrage Déconditionnez-vous !, (éd. Le courrier du livre, 2023).
Le titre de votre ouvrage rappelle celui de Stéphane Hessel, Indignez-vous !, succès littéraire en 2010. S’inscrit-il dans le même mouvement qui appelle à opérer une révolution intérieure ?
Ce n’est pas une référence à cet essai, d’autant que j’estime peu son auteur. Le sens du titre est de faire réaliser au plus grand nombre, qu’on n’est pas obligé de se soumettre à des conditionnements qui nous font souffrir. Nous avons tous, la possibilité de nous émanciper des schémas hérités de l’enfance. Et pour les personnes qui en souffrent, il y a bien une forme d’urgence à opérer cette mini révolution « personnelle ».
Cette notion de « conditionnement » est assez complexe, comment l’expliquer simplement ?
Le conditionnement psychologique, c’est comment notre éducation, notre environnement social, notre religion ou les adultes référents qui nous ont entouré quand nous étions jeunes ont forgé chez nous une façon de penser qui n’est pas liée à la personne que nous sommes véritablement. Par exemple, si enfant on a entendu de la bouche d’un parent que l’on aime inconditionnellement : « Tu ne seras jamais bon à rien », on risque fort, une fois adulte, d’adopter un comportement qui viendra valider ces propos. C’est le risque de grandir en pensant que réussir, être épanoui dans son travail, évoluer professionnellement est impossible car on a intégré une croyance dysfonctionnelle qui va finir par nous constituer.
Nos conditionnements sont-ils forcément négatifs ?
Non et heureusement ! Il y a des conditionnements ultra-positifs qui entretiennent l’amour propre, l’estime de soi, la confiance en soi, l’élan vital… Ce sont ceux qui ont une portée négative et qui nous font souffrir en répétant nos échecs qu’il faut absolument déconstruire.
Comment un mauvais schéma de pensée s’exprime concrètement ?
C’est comme une petite voix qui murmure à notre oreille : « Tu ne mérites pas d’augmentation », ou « ce super poste ? Ce n’est pas pour toi, redescends sur terre, reste à ta place… » Quand ça arrive, il est très important de se demander si c’est sa propre voix qui s’exprime ou celle d’un autre adulte appartenant au passé. Est-ce la voix d’un enseignant qui nous a humilié parce qu’on a fait une erreur au tableau? Est-ce que celle d’un manager qui n’a jamais cru en nous ? Est-ce que c’est la voix d’une société qui nous remet systématiquement dans une posture d’artiste, de femme, de personne pas suffisamment diplômée… ? Arriver à comprendre qu’on a intégré des fausses croyances permet de faire sauter les barrières qui nous enferment depuis des années.
Parmi toutes les pensées qui nous traversent, comment identifier celles liées à un conditionnement ?
La clef pour identifier ce schéma, c’est la répétition. Mais, la plupart du temps, il est presque impossible de se rendre compte seul qu’on se met en échec. Quand on ressasse depuis dix ans qu’on veut être comédien, mais qu’on reste travailler en entreprise, ou qu’on se plaint continuellement de ne pas être assez bien payé sans pour autant faire en sorte que cela change… Bien souvent, se sont nos proches qui nous alertent.
De même, en thérapie, le psychologue relève une saisonnalité des mêmes souffrances : les patients viennent consulter en disant « je ne me sens pas épanoui au travail » ou « je me sens très anxieuse ». Et en réalité, en travaillant sur l’histoire de leur vie, on constate que des échecs similaires se reproduisent.
Dans votre ouvrage, vous expliquez que nous avons tous assimilé un héritage transgénérationnel. Les traumatismes de nos ancêtres marqueraient ainsi en partie notre ADN. C’est effrayant de se dire qu’on vit certaines émotions dont on n’est pas responsable…
Même à l’aube de sa vie, nous ne sommes pas la page vierge d’un nouveau livre. Nous naissons au sein d’une famille, nous appartenons à une nation, une histoire, un peuple… rien n’est neutre. Chaque naissance est déjà le fruit de quelque chose. Les traumatismes ou les secrets de famille, ce qu’on appelle les fantômes, vont se transmettre au travers de parents qui n’ont pas réglé leurs peurs, leurs aigreurs ou leur violence. Typiquement, un manager toxique a une personnalité manipulatrice qui le pousse à mal agir. Mais sa personnalité est peut-être elle-même héritée de son passé car les dysfonctionnements de comportement passent d’une génération à l’autre. Le seul moyen de s’en émanciper est d’en prendre conscience. De cette façon, on peut mettre fin à ce schéma qui se répète.
On y découvre également l’impact de l’effet Pygmalion, une situation que l’on retrouve fréquemment dans le monde du travail…
Le concept a été théorisé dans les années 70 aux États-Unis par les psychologues Rosenthal et Jacobson. Les deux chercheurs ont démontré via une expérience au sein d’une classe de primaire, que quand les enseignants croyaient en leurs élèves, c’est-à-dire leurs portaient un regard bienveillant, ces enfants progressaient davantage que s’ils étaient neutres ou désintéressés. Une situation que l’on peut facilement extrapoler à notre vie d’adulte au travail avec un manager investi. Ce phénomène psychologique met en œuvre une prophétie autoréalisatrice qui influence notre comportement : « Je crois en toi : tu réussis. » L’inverse existe également, c’est l’effet Golem : « Je pense que tu es incompétent ou limité : tu sous performes. » Cela peut être dévastateur si on a des failles narcissiques et un manque de confiance en soi.
En fait, on finit par devenir ce que les gens projettent sur nous. En entreprise, c’est très présent car, bien souvent, il ne s’agit pas que d’une seule personne qui nous porte un regard, mais toute une équipe, une hiérarchie, une organisation. Selon s’il bienveillant ou non, cela va nous aider à nous développer soit au contraire nous détruire à petit feu.
Comment faire pour « se déconditionner » ?
La prise de conscience est toujours le début d’une résolution de problèmes. C’est la partie cognitive qui va permettre de comprendre comment nos conditionnements se sont construits. Il faudra ensuite travailler la partie comportementale : « Qu’est ce que je mets en place au quotidien pour changer le regard que je porte sur moi ? » Jusqu’à construire de nouveaux patterns plus positifs.
Vous nous invitez à « déconditionner notre cerveau », mais est-ce vraiment possible ?
Il est évident que nous ne sommes pas tous égaux psychologiquement et le travail sera plus ou moins aisé selon les personnes. Pour autant, le cerveau est malléable. Sa plasticité cérébrale fait qu’on peut créer de nouvelles connexions. Une rééducation des schémas de pensées se fait par de l’exercice (intellectuel). Comme après une déchirure : au début, c’est douloureux, mais à force d’entraînement on assouplit le muscle. Ici, on assouplit sa pensée. Certes, au début il est difficile de se lever le matin en disant qu’on mérite mieux professionnellement quand on s’est dévalorisé pendant quinze ans, mais cet effort finira par porter ses fruits. Il sera tout de même plus difficile à fournir quand on est extrêmement anxieux ou très déprimé. Raison pour laquelle il ne faut pas attendre d’aller mal pour travailler ses schémas cognitifs.
Quels risques cela fait peser sur notre carrière si on ne se « déconditionne pas » ?
On peut se tromper systématiquement de voie professionnelle, ne pas s’autoriser à faire les études ou le métier que l’on rêve d’exercer, ne pas oser convoiter un meilleur poste, évoluer systématiquement dans des relations professionnelles malveillantes, être constamment en conflit avec les personnes de son équipe, avoir le sentiment de ne jamais être suffisamment considéré dans son travail… En fait, un mauvais conditionnement peut nous bloquer toute la vie ! À terme, faire que l’on perd en qualité de vie, en amour propre, en confiance en soi, en épanouissement… C’est aussi passer à côté d’une connaissance profonde de soi ce qui nous empêche de devenir une version authentique de nous-même.
Article édité par Romane Ganneval, photographie par Thomas Decamps
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