Justine, autiste Asperger : « Nous sommes des trésors pour l’entreprise »
16 nov. 2021
4min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journalist & Content Manager
SEMAINE POUR L’EMPLOI DES PERSONNES HANDICAPÉES – Ils sont les grands laissés-pour-compte du marché du travail. Selon l’Ifop, la recherche d’emploi dure 7,6 mois en moyenne pour les jeunes en situation de handicap, soit presque deux fois plus que pour les jeunes en général (4,2 mois). Des chiffres édifiants que nous avons décidé d’incarner au travers de cette série de portraits, publiée à l’occasion de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Aujourd’hui, pleins phares sur un handicap invisible et encore trop peu connu : l’autisme. À ce jour, seulement 20% de cette population est en situation d’emploi. Mais Justine, 33 ans, déjoue les statistiques. En poste au sein de SAP en tant que Responsable Affaires Publiques, elle nous raconte son parcours semé d’embûches… mais couronné de succès. Son message aux entreprises : cessez de vous priver de ce vivier de talents insoupçonné !
« Comme beaucoup d’autistes Asperger, et plus particulièrement de femmes, j’ai été diagnostiquée très tardivement, à 29 ans. Pour moi, cela a été un soulagement de pouvoir mettre un mot sur ma différence. Mon handicap s’apparente à une forme de cécité sociale, c’est-à-dire qu’il est compliqué pour moi d’analyser les interactions sociales, les comportements implicites, le second degré. Et surtout, je suis sans filtre, ce qui a considérablement compliqué mon parcours pro. Par exemple, j’ai dit une fois à mon big boss qu’il avait un look de mafieux des années 50, tout cela, le plus naïvement du monde (rires) ! Heureusement, il connaissait mon trouble et ne s’est pas offusqué.
Si je regarde dans le rétroviseur, je peux dire que mon parcours est tout aussi atypique que chaotique. J’ai commencé à parler très tôt avec un langage soutenu, puis j’ai appris à lire seule à l’âge de 3 ou 4 ans. J’ai reproduit un Monet en primaire, et j’apprenais la philo en troisième. Puis j’ai été diplômée en histoire de l’Art et archéo à 20 ans, et ai effectué une passerelle en Droit, Économie et suivi des cours de sciences politiques. Pour autant, à l’école, je pouvais avoir des notes catastrophiques dans certaines matières, car je ne comprenais souvent pas quel était le travail demandé. Je pensais être d’une stupidité crasse, alors que j’ai découvert il y a peu que j’avais un QI de plus de 130. À la récréation, j’étais seule, mais ce n’était pas par volonté de m’isoler. Je regardais mes camarades en me demandant ce qu’ils faisaient… à savoir jouer (rires) ! J’avais aussi énormément de problèmes de motricité et une hypersensibilité des cinq sens. Je bougeais beaucoup et dormais très peu. Car en plus de mon autisme, je souffre d’hyperactivité. Aujourd’hui encore, je déborde d’énergie !
“Je ne passais pas la période d’essai”
Malgré mes diplômes, j’ai connu de très nombreuses périodes de chômage. En entretien, mes réponses étaient trop sincères. Ou alors, je ne comprenais pas les questions, comme quand j’étais élève. Et si par chance j’avais décroché le job, je ne passais pas la période d’essai car je n’arrivais pas à m’intégrer aux équipes. Cela s’explique en partie car je n’ai aucune conception de la hiérarchie !
Finalement, j’ai fini par intégrer SAP (fournisseur de logiciels d’applications d’entreprise) il y a 3 ans - ma plus longue expérience en entreprise - recommandée par un ami. L’entreprise avait déjà lancé le programme “Autism at Work” en 2013, et à ce jour, 170 postes ont été pourvus dans le monde. En entretien, une personne m’a aidé à décoder les questions. D’ailleurs, cet entretien a valu des fous-rires à la recruteuse, mais elle n’était pas surprise car on l’avait prévenue que je pouvais prendre les choses au sens littéral. Puis, une fois mon recrutement validé, j’ai rencontré Asperteam, une formidable structure qui accompagne les autistes vers l’emploi, en nouant des partenariats avec les entreprises. J’ai pu suivre des cours d’habiletés sociales grâce à cette dernière. Mon poste a également été adapté pour limiter par exemple les imprévus qui génèrent beaucoup de stress chez moi, ou encore me laisser travailler depuis mon domicile l’après-midi, car je souffre d’une grande fatigabilité sociale qui peut entraîner des absences, voire de forts troubles anxieux si je suis trop exposée. J’ai aussi bénéficié de l’accompagnement de deux “buddy”, la première pour monter en technicité dans mon métier, la seconde pour m’aider sur l’aspect relationnel. Des ressources tellement précieuses !
“Nous sommes des trésors pour l’entreprise”
Aujourd’hui, je crois pouvoir témoigner que mon intégration est un succès. À ce titre, je me souviendrai toujours de cette anecdote qui en dit long : un jour, les commerciaux m’ont accueillie avec des lunettes de soleil, parce que je me balade toujours avec une paire à cause de mes migraines ophtalmiques. J’ai trouvé ça touchant ! De manière générale, je crois que dans mon équipe, ma sincérité a fait du bien à tout le monde. La communication est meilleure car mes coéquipiers savent qu’avec moi, ils peuvent aller droit au but comme je suis sans filtre. Tout comme les jeux de pouvoir qui n’ont pas lieu d’être, puisque de toute façon, je ne les comprends pas (rires). Et je ne suis pas une exception. Les études prouvent que dans une équipe accueillant un autiste, les niveaux de cohésion et de motivation augmentent de manière générale. Les autistes ont de surcroît une capacité unique à penser hors du cadre, ils sont donc source d’innovation et de créativité pour les entreprises. À l’heure où l’on parle d’engagement des collaborateurs, les sociétés se privent d’une main d’œuvre extrêmement dévouée, parfois trop même. Pour preuve, mes collègues doivent me mettre des alarmes pour que j’arrête de travailler !
Avec cette interview, j’aimerais dire aux dirigeants que les autistes sont de vrais trésors pour l’entreprise. Il y a peu, je récoltais le témoignage d’un patron qui a intégré dans ses équipes un autiste non verbal, et celui-ci me racontait qu’il avait été bouleversé de constater à quel point cet employé était consciencieux et respectueux des règles ! La société inclusive offre ce qu’il y a de plus beau dans l’humanité, et les autistes, peu importe où ils se trouvent sur le spectre, ont énormément à apporter. »
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Photos par Thomas Decamps pour WTTJ
Texte édité par Héloïse de Montety
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