Marie, journaliste aux os de verre : « J’ai envoyé près de 3000 CV depuis 2016 »
17 nov. 2021
3min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste
SEMAINE POUR L’EMPLOI DES PERSONNES HANDICAPÉES – Ils sont les grands laissés-pour-compte du marché du travail. Selon l’Ifop, la recherche d’emploi dure 7,6 mois en moyenne pour les jeunes en situation de handicap, soit presque deux fois plus que pour les jeunes en général (4,2 mois). Des chiffres édifiants que nous avons décidé d’incarner au travers de cette série de portraits, publiée à l’occasion de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées.
Marie Kerlidou, 32 ans, souffre de la maladie des os de verre, qui lui a causé plus d’une centaine de fractures depuis sa naissance. Après une première carrière en tant que chef·fe de service et manager dans différentes structures en Bretagne, elle a aujourd’hui intégré le dispositif JARIS, le seul centre de formation en France qui propose de former aux métiers de l’audiovisuel des personnes en situation en handicap, jusqu’au placement en entreprise. Son but : devenir journaliste.
« Qu’on soit clairs : je déteste le misérabilisme, mais il y a des choses dans la manière de considérer le handicap en entreprise qui doivent changer. Et ce, dès la formation. La mienne, (une école de commerce, ndlr), n’a tout simplement jamais abordé le sujet au-delà de l’aspect règlementaire. Pas étonnant qu’une fois dans la vie active, la question reste au mieux en suspens, au pire taboue. Résultat : il y a toujours une phase de rejet lorsque les recruteurs me reçoivent.
« On veut traverser la route… mais encore faudrait-il que les trottoirs soient accessibles »
C’est hyper humain d’avoir un premier apriori ! D’autant que pour ma part, je ne suis pas grande et je boîte un peu, alors j’ai toujours compris les réticences de certains recruteurs pour des postes de représentation de l’entreprise. N’empêche : même si cela serait réducteur de l’imputer directement à ma maladie, j’ai envoyé près de 3000 CV depuis 2016, entre l’alternance, puis l’emploi. Les réponses officielles, quand je parvenais à les récupérer en off, étaient grosso modo les mêmes : on attend d’un manager qu’il soit “physiquement fort” pour assurer les heures supplémentaires, les situations de crise, etc. Mon type de management a toujours été davantage dans la bienveillance, le soutien mutuel… Et nous avons toujours réussi, voire surpassé les missions confiées. Sachez-le, on s’adapte à tout, on donne tout. Nous sommes de toutes façons déjà des bricoleurs de la vie. J’ai passé ma vie à m’engager 10 fois plus que ce qu’on attend, justement pour compenser ça. Et je peux vous assurer que toutes les personnes handicapées que je connais n’attendent qu’une chose : traverser la route… Mais encore faudrait-il que les trottoirs soient accessibles (rires).
« Il y a des limites au système D »
Côté accessibilité, ma dernière expérience en date est assez édifiante : j’avais été embauchée dans une entreprise dont les bureaux ne respectaient pas la norme PMR. Mais j’ai décidé de continuer et de m’arranger car la boîte allait déménager dans des locaux accessibles, dans une autre ville. Je dépose mon préavis, j’organise mon déménagement… À 15 jours de l’installation, on nous propose d’aller voir les locaux. J’arrive dans des bureaux… sur 5 étages avec des escaliers en colimaçon. Ils avaient trouvé moins cher, mais ne m’avaient pas prévenue. Mon rôle était de faire le lien entre différents services, logiquement répartis à tous les étages. Le patron m’a montré un fauteuil Stannah hors service (les monte-escaliers pour les personnes âgées) en me disant qu’ils avaient pensé à moi. Humour, bien sûr, mais pas de très bon goût. La construction de l’ascenseur avait été repoussée à un an, et en attendant, ils me proposaient d’utiliser des talkie-walkies pour faire le lien avec les équipes. Il y a des limites au système D quand même (rires). J’ai dû quitter la boîte.
« Commencez par la question : de quoi es-tu capable ? »
Qu’est-ce-qui bloque alors ? La peur du handicap, si taboue, si enfouie qu’il est difficile de la verbaliser. En réalité, il pourrait suffire de pas grand chose : de demander “de quoi es-tu capable ?” pour commencer. Soyez maladroits. Au moins, cela veut dire que vous aurez tenté. Les maladresses font partie du jeu. Il n’y a que comme ça que vous évoluerez sur le sujet. J’ai effectué une alternance géniale chez IKEA grâce à cette simple question. À l’époque, j’étais en fauteuil roulant, une situation inédite pour eux. Ils m’ont dit très humblement : « On ne sait pas comment ça va se passer, mais si tu dis que tu peux gérer, essaie de le faire et on s’adaptera ». C’est là toute la nuance : “je ne peux pas le faire” ne signifie pas “je ne veux pas le faire”. Les contraintes inhérentes au handicap c’est de pouvoir être mis en confiance sur ce que l’on est en mesure de faire. Et pour cela, il faut de la franchise, de la transparence… et un bon mentorat ! Si vous vous sentez prêt à dépasser vos aprioris, favorisez le “pairing” entre des personnes en situation de handicap et des personnes sur le point de partir à la retraite, qui sont des puits de savoir, ont un peu plus de temps, de recul et moins de pression… C’est l’un des dispositifs les plus vertueux et stimulants que j’ai expérimenté. »
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Photos par Thomas Decamps
Article édité par Ariane Picoche
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