Sens, opportunités, salaires : la Climate tech, nouvel eldorado ?
12 janv. 2023
5min
Ula Chrobak is a freelance journalist based in Nevada. You can see more of her work at https://www.ulachrobak.com/
Alors que la Tech traditionnelle n’apparaît plus comme l’eldorado du travailleur moderne, la climate tech, riche de sens et d’opportunités, signe-t-elle son grand avènement ?
Après 30 ans passés dans la cybersécurité et le génie logiciel, Jean-François Déchant était prêt à lever le pied. Son projet était d’être business angel : rencontrer des start-ups, les aider à se financer et à se développer. C’était d’ailleurs son rôle au départ chez Elicit Plant, une start-up de l’AgriTech spécialisée dans la réduction du besoin en eau des cultures. Mais c’était sans compter… la demande des fondateurs pour qu’il prenne la direction de la boîte. Ce que Jean-François a accepté. « Ce n’était pas du tout dans mes plans au départ, mais le projet était fort et vraiment prometteur, alors j’ai dit oui. » Jean-François Déchant espère ainsi pouvoir rebattre les cartes dans le monde de l’agriculture, une ambition dont l’humanité a besoin si elle veut continuer à produire au mieux de quoi se nourrir.
Jean-François Déchant fait partie des nombreuses personnes qui quittent les entreprises traditionnelles de la tech, attirées par des missions autour des enjeux climatiques. Parce qu’aujourd’hui, les pros de la tech ne voient plus seulement le salaire confortable, mais ont envie d’un travail qui a du sens. C’est le cas d’Orinayo Ayodele, program manager chez Filecoin Green, dont le but est de mesurer et de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux cryptomonnaies. « Je me sens vraiment au cœur de l’action, on est en plein dans le sujet du changement climatique », confie Orinayo.
La tech traditionnelle en berne
Il faut dire que depuis quelque temps déjà, la Big Tech séduit moins. Pour les travailleurs et les travailleuses, l’effet eldorado semble s’être estompé progressivement, voire a carrément volé en éclats. Plusieurs mastodontes du secteur — Amazon, Meta ou Robinhood — ont annoncé des licenciements ces derniers mois. Ces mêmes grands noms de la tech voient leur valeur boursière chuter, au moment où les taux d’intérêt remontent et l’économie ralentit.
Alors, et parce que les enjeux accélèrent, les salariés de la tech regardent de plus en plus du côté de l’environnement. Et les opportunités sont vastes : du stockage de batterie aux biocarburants, en passant par la performance énergétique. Le secteur se développe à vitesse grand V et les portes d’entrée se multiplient.
Il existe encore peu d’études et de statistiques sur les métiers de la « climate tech » (ceux qui visent à répondre aux urgences climatiques), mais on sait que l’économie de l’énergie propre est en demande. Entre 2019 et 2021, le gros des recrutements dans le secteur de l’énergie s’est concentré sur les énergies propres, précise un rapport de l’Agence internationale de l’énergie. Ce même rapport explique que le monde va avoir besoin de 14 millions de postes en plus pour répondre à l’objectif de la neutralité carbone d’ici à 2050.
Un boom des investissements
Côté tech traditionnelle, les signaux sont plutôt ceux d’un marché moins dynamique. Les cryptomonnaies se cassent la figure, mais la climate tech a le vent en poupe. Aux États-Unis, la newsletter de Climate Tech VC détaille : 87 milliards d’euros ont été investis dans le secteur privé autour de la climate tech depuis janvier 2021 et 30 milliards sont encore dans les tiroirs pour financer de nouvelles entreprises sur le marché. « L’argent continue de rentrer, confirme Jesse Hynes, cofondateur de Climatebase, site spécialisé dans les emplois pour la climate tech et les associations à but non lucratif. Pour l’instant, je ne vois pas de ralentissement, c’est hyper enthousiasmant. » Il ajoute que près de 45 000 offres ont été postées sur Climatebase depuis le lancement du site il y a deux ans.
Les financements publics dynamisent aussi le secteur. Aux États-Unis, la loi de réduction de l’inflation, récemment votée, prévoit une enveloppe de 345 milliards d’euros en investissements et réductions d’impôts destinés à la lutte contre le réchauffement climatique, notamment dans le domaine des batteries durables, de l’énergie solaire et de la dépollution de l’air. Pour cette dernière par exemple, les entreprises peuvent bénéficier de réductions d’impôts jusqu’à 168 euros par tonne de CO2 captée.
Selon Orinayo Ayodele, le secteur en est encore à ses débuts, la marge de développement est grande et les nouvelles idées sont les bienvenues. « Je crois que c’est pour ça que je suis contente d’y bosser. Ce n’est pas une compétition, il faut au contraire veiller à ce que toutes celles et ceux qui travaillent dans nos domaines montent dans le train. »
Jean-François Déchant est du même avis : « On voit une convergence forte, tout le monde va dans la même direction, les gros, les petits, les moyens, les start-ups. » Il ajoute que les profils plus séniors issus de l’industrie chimique sont eux aussi intéressés par cette bascule vers la climate tech.
Génération “Travailleur du Climat”
La jeune génération semble bien décidée à rester sur le même élan. Des études montrent que les talents de la génération Z sont davantage portés par la notion de mission : ceux et celles qui sont le futur du travail accordent plus d’importance au fait de trouver une entreprise ou un job en accord avec leurs valeurs. Une génération qui semble aussi davantage se soucier que les autres du changement climatique.
Mais l’intérêt ne suffit parfois pas : il faut se sentir prêt à changer de carrière pour se consacrer à la question du climat. Pas toujours évident, surtout lorsqu’on manque de bagage technique. Jesse Hynes de Climatebase n’y voit pourtant pas un frein. Selon lui, ne pas avoir reçu de formation dans le domaine n’est pas une barrière : « La vérité, c’est que chaque personne a un rôle à jouer. » Son équipe a analysé les offres postées sur leur plateforme Climatebase et observé que celles qui reviennent le plus souvent sont pour des missions de développement logiciel, de business development, du commercial ou de la finance/compta. En d’autres termes, des compétences transversales applicables à différents secteurs.
Bien sûr, pouvoir parler de son engagement en faveur de l’environnement est toujours un plus. Jesse Hynes explique que se renseigner sur le domaine d’intervention de l’entreprise visée, c’est se donner plus de chances de décrocher le job. « Les boîtes recherchent toujours des gens qui sont intéressés par la mission qu’elles portent et ce qu’elle implique. Montrer que la question du changement climatique vous parle et vous intéresse est important – ça compte forcément pour les personnes en face de vous. » La clé est de se tenir au courant, de s’informer sur le sujet et de regarder de près le secteur de la climate tech.
Selon Orinayo Ayodele, la période est idéale pour marier compétences techniques et poste dans le secteur du climat. « C’est vraiment le bon moment d’allier les deux. Il y a pas mal de monde à opérer cette transition. C’est génial, ça fait plein de profils et de parcours différents qui se retrouvent au même endroit. »
Et ça ne veut pas dire renoncer à une partie de son salaire, estime Jesse Hynes. « Il y a de l’argent dans le secteur, les acteurs de la climate tech sont prêts à débourser ce qu’il faut pour attirer les profils dont ils ont besoin. C’est une bonne nouvelle pour les candidats et candidates, qui peuvent espérer avoir un bon salaire dans une boîte et à un poste qui leur tient vraiment à cœur. » S’engager dans la voie qui nous passionne et (bien) en vivre ? C’est le rêve, non ?
Traduit de l’anglais par Sophie Lecoq et édité par Clémence Lesacq ; photo Thomas Decamps pour Welcome to the Jungle
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