5 leçons innovantes de la Nasa pour faire décoller votre management
25 janv. 2023
7min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Quel type de management faut-il pour réussir à aller sur la Lune ? Notre experte Laetitia Vitaud revient sur les leçons de management tirées de l’ouvrage The Smart Mission (2022), qui dévoile les secrets d’innovation de l’agence américaine pour engager, soutenir et stimuler ses talents.
N’en déplaise aux complotistes convaincus que l’homme n’a jamais mis les pieds sur la Lune (16 % des Français·es tout de même !), les exploits de la NASA (National Aeronautics & Space Administration) restent des modèles du genre. Depuis des décennies, on observe l’agence américaine en se demandant comment on a pu réussir une mission si ambitieuse et de quelle manière on manage des équipes chevronnées pour arriver à cette prouesse (si le sujet vous plaît, allez voir cette vieille série HBO intitulée “From the Earth to the Moon” : c’est palpitant !). Car il ne suffit pas de « recruter les meilleurs », encore faut-il les motiver, les soutenir et les stimuler de telle sorte qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes au travail. Qu’est-ce donc que ce « management innovant » mis en place par la NASA ?
La question n’a rien de lunaire : en anglais, on appelle moonshot tous les grands projets innovants et ambitieux. Dans un livre percutant paru en 2022, The Smart Mission, trois auteurs, E.J. Hoffman, M. Kohut et L. Prusak, se sont penchés sur le sujet et en ont tiré une conclusion simple : « C’est l’expertise humaine et non les outils techniques qui font la réussite d’un projet. » Pour eux, le management innovant repose sur la manière dont les personnes apprennent ensemble pour faire avancer un projet. C’est aussi au plus proche du terrain, au niveau local et non en haut de la pyramide, que l’action doit se passer. Enfin, tout cela ne fonctionne pas en vase clos : il faut être responsable face au monde extérieur. En bref, le management innovant guide les interactions entre le savoir, le projet et les individus au travail. Retour sur les 5 grandes leçons de management innovant que l’on peut tirer de la NASA :
Les humains d’abord
« Mettre l’humain au centre du système » : voilà certainement la phrase la plus galvaudée du management ! C’est sans doute parce que même les entreprises au management le plus toxique se cachent derrière cette expression toute faite. C’est pourtant l’un des principaux messages du livre sur le management de la NASA : « On vient à la NASA pour la mission, mais on y reste pour les gens. » Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Qu’il faut créer un environnement de travail où la communication informelle coule de source, où l’on partage l’information loin des jeux politiques et où l’on fait confiance à ses collègues.
En somme, il s’agit de construire une culture forte dans laquelle règne un sentiment de sécurité psychologique. À cet égard, je recommande aussi l’ouvrage de Daniel Coyle intitulé The Culture Code qui montre que les types d’interactions humaines qui favorisent ce sentiment de sécurité sont l’écoute active, la proximité physique, l’orientation future des échanges (« à demain ! ») et la reconnaissance des individus dans leur singularité. C’est aussi un système managérial qui fait levier de la « boucle de vulnérabilité ». « La recherche montre que pour susciter de la coopération, la vulnérabilité ne constitue pas un risque mais une nécessité psychologique », écrit Coyle.
Pour Hoffman, Kohut et Prusak, c’est fondamental de se sentir apprécié par ses collègues et d’apprendre à leur contact. La NASA conçoit délibérément des rituels et des moments d’échange qui permettent le développement des salariés : les personnes les plus gradées sont encouragées à interagir régulièrement avec des personnes plus débutantes et/ou moins qualifiées pour briser les silos et susciter des relations d’amitié.
Accepter de baigner dans l’incertitude et l’ignorance pour innover
L’une des plus grandes difficultés que pose l’innovation, c’est qu’elle exige qu’on accepte régulièrement de se confronter à l’échec et/ou à la gêne de ne pas savoir. Eh oui, si on veut à tout prix éviter l’échec et la sensation d’être ignare, il faudrait se forcer à s’en tenir à ce qu’on fait déjà et ce qu’on maîtrise parfaitement. Comme l’explique Tom Vanderbilt dans son livre Beginners, débuter quelque chose de nouveau (un passage obligé pour innover), c’est embarrassant : « Pour la plupart d’entre nous, le stade du débutant est quelque chose qu’il faut traverser le plus rapidement possible, comme un problème de peau socialement gênant. »
La NASA a bien compris qu’il fallait accepter (encourager même !) ce sentiment d’ignorance pour stimuler l’innovation. C’est pourquoi elle a conçu un système pour encourager les novices à se former auprès d’experts. L’idée est que chaque salarié (pour la plupart des ingénieurs) doit identifier ses points forts et demander de l’aide à ses collègues dans les autres domaines. On est donc à la fois expert dans un domaine et novice dans un autre. Être honnête sur ses zones d’ignorance est socialement valorisé : cela pousse les gens à toujours se tourner vers les experts d’un domaine donné, et à avancer beaucoup plus vite dans la résolution des problèmes et dans leur propre apprentissage.
L’agence appelle ça un « programme de boursiers techniques ». Chaque domaine a un référent, le fellow technique jugé le plus expert par ses pairs. Selon les auteurs, c’est grâce à ce programme que la NASA a appris à valoriser la diversité des expertises et des profils. En somme, ce n’est pas parce que l’ambiance est « sympa » que les membres de l’équipe innovent, c’est parce qu’ils sont intimement convaincus qu’il faut des perspectives (et des disciplines) différentes pour comprendre les dangers potentiels et mieux y faire face. Le résultat : une culture où il est valorisé d’aller chercher les informations dont on a besoin auprès de personnes qui en savent plus que soi, en interne et en externe, et où ces informations proviennent de sources diverses.
« Les équipes accomplissent beaucoup plus lorsqu’elles partagent autant d’informations que possible et collaborent à toutes les étapes. »
Partager ses erreurs en toute transparence
Pour une « transparence radicale », il faut un environnement dans lequel personne n’a peur de dire qu’il a foiré quelque chose, s’est trompé lourdement ou s’est heurté à une impasse. Si en plus, il s’agit d’envoyer une fusée dans l’espace, il en va des vies humaines ! Le fait qu’un lancement de fusée ne laisse pas le droit à l’erreur signifie qu’en amont du lancement, chaque petite erreur et chaque problème doit être connu. C’est ainsi qu’ils pourront être analysés, donner lieu à des apprentissages et permettre le succès de la mission ultime. Si quelqu’un cache un problème de peur de se faire taper sur les doigts ou d’être jugé par ses pairs, c’est la catastrophe !
Les équipes accomplissent beaucoup plus lorsqu’elles partagent autant d’informations que possible et collaborent à toutes les étapes. On pourrait imaginer un monde de secrets professionnels où les « meilleurs » protègent jalousement leurs innovations de peur que les concurrents s’en emparent. Rappelons que la NASA a été créée pendant la Guerre Froide : il fallait alors cacher son avance technologique à l’ennemi, seul l’espionnage permettait d’obtenir les informations des autres. Dans certains cas, l’aspect stratégique des innovations de cette agence gouvernementale ne permet toujours pas de tout partager publiquement. Mais dès que c’est permis, toute l’information est partagée avec l’équipe.
La transparence radicale implique que les décisions sont prises de façon publique. Le concept n’est pas nouveau puisqu’il est apparu dès les années 1990. Mais c’est l’entreprise Netflix qui l’a d’abord rendu célèbre. Son ancienne DRH, Patty McCord, en a fait la pierre angulaire de son ouvrage Powerful: Building a Culture of Freedom and Responsibility (2017) : « Être transparent et dire aux personnes ce qu’elles ont besoin d’entendre est la seule façon pour qu’elles vous fassent confiance et vous comprennent. Être adulte veut aussi dire être capable d’entendre la vérité. » Chaque décision controversée doit être expliquée en public. Chaque licenciement est justifié devant toute l’organisation. Etc. Depuis quelques années, on critique parfois le concept : s’il faut toujours tout justifier en public, alors on n’avance moins vite.
Accepter de rendre des comptes
Récemment de nombreux scandales ont éclaté à propos d’organisations supposément innovantes : corruption, manipulation, détournement de fonds… Qu’il s’agisse des plateformes de « cryptos » (FTX) ou des réseaux sociaux (Facebook), les problèmes éthiques sont légions. Les organisations comme la NASA ne sont évidemment pas à l’abri de problèmes éthiques non plus, mais elles reposent sur un fort principe d’accountability. Ce terme anglais n’a pas de traduction parfaite : il désigne l’obligation ou la volonté, individuelle et collective, d’accepter la responsabilité de ses actes.
Quand on a mis en place des processus et systèmes efficaces, qui obligent les individus et l’organisation toute entière à rendre des comptes à la société, cela représente un puissant garde-fou face aux potentiels abus et scandales. Évidemment, quand il s’agit d’une agence publique, il s’agit toujours de rendre des comptes face aux contribuables et citoyens puisque l’agence est financée par l’argent public et doit servir l’intérêt de la nation. Mais au-delà des organisations de ce type, de nombreuses entreprises réfléchissent à la notion de responsabilité.
Comme l’explique l’experte Alison Taylor, la manière dont les organisations comprennent la notion a évolué au cours de l’Histoire. Plusieurs grands scandales financiers ont conduit à l’émergence de ce que l’on appelle aujourd’hui la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Depuis, de nombreuses entreprises veulent convaincre le public que les conséquences de leurs actions sont prises en charge. En interne, cela passe par une plus grande responsabilisation des individus : idéalement, chaque personne doit savoir précisément ce dont elle est responsable et quel est l’objectif commun.
Choisir et développer de bons leaders (forcément)
À force de parler des aspects systémiques et culturels, on en oublierait presque à quel point les individus jouent un rôle fondamental pour faire fonctionner la machine. Surtout quand il s’agit de la diriger. Ce n’est pas pour rien que le best-seller de Robert Sutton (vous savez celui à propos de l’objectif zéro-sale-con !) a tant marqué les esprits : un manager toxique a effectivement le pouvoir de tout gâcher. Si son comportement et ses valeurs ne soutiennent pas les aspects « sains » de la culture d’entreprise, alors tout peut dérailler.
Cela implique qu’aucune personne ne devrait pouvoir être considérée comme une « star », quelles que soient ses compétences intellectuelles et professionnelles. En effet, dans les organisations où certains individus sont starifiés, on a tendance à tolérer de leur part des comportements non conformes aux valeurs que l’on affiche. Comme Robert Sutton, les auteurs de The Smart Mission soulignent qu’il est indispensable de choisir et de développer les bons dirigeants pour favoriser l’innovation et l’épanouissement des individus.
On ne peut se permettre de sous-estimer l’influence des leaders dans la formation de la culture d’une organisation. Comme l’explique Ben Horowitz, « la culture de votre entreprise, c’est la façon dont les décisions sont prises quand vous n’êtes pas là. C’est l’ensemble des principes que vos employés utilisent pour résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés chaque jour. C’est la manière dont ils se comportent quand personne ne les regarde. Si vous ne créez pas votre culture d’entreprise avec méthode, alors elle reposera en majeure partie sur des accidents, dont certains seront malheureux ».
Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ.
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