Managers, comment faire un retour négatif à un salarié dont on est proche ?
28 janv. 2021
6min
Journalist
Distribuer les bons points et les félicitations est la partie facile du management. Vous apportez la bonne nouvelle et cette joyeuse effervescence est communicative. Puis vient le jour où un collaborateur ne répond plus aux attentes. Et pas de chance, vous êtes potes. Comment annonce-t-on à un collègue qui est aussi un ami que son travail n’est pas à la hauteur ?
Passer de collègue à manager
Après 10 ans de service en tant que policier, Kul Mahay, est ravi d’apprendre qu’il est promu sergent. C’est le début d’une longue liste de promotions au cours sa carrière. Mais son enthousiasme cède vite le terrain à une certaine appréhension lorsqu’il apprend qu’il va être muté dans le commissariat où il a fait ses débuts (dans l’est de l’Angleterre). Ses proches collègues d’alors sont restés des amis. Ils sont aussi restés sur place. « Ce commissariat est assez isolé géographiquement. Quand on décide d’aller là-bas, généralement c’est pour un bout de temps. Il arrive même que des policiers y fassent toute leur carrière. »
Dans les équipes qu’il va diriger, certains le considèrent comme un jeune arriviste ; pour d’autres c’est un ami. Mais maintenant, il va surtout être leur boss, dans un contexte particulier. Quel que soit le grade, être officier de police n’est pas facile tous les jours. Le commissariat où Kul Mahay est nommé prévient même les candidats : le job est éprouvant sur le plan « mental, physique et émotionnel. » C’est un métier dans lequel on est souvent bousculé : mieux vaut avoir une forte personnalité.
Le nouveau sergent le sait, le commissariat dans lequel il vient d’être muté était jusque-là sous la houlette d’un management autoritaire. Une approche qui ne lui correspond pas. « J’ai tout de suite su que j’allais devoir la jouer différemment. Être davantage dans l’exemple et l’encouragement pour refléter ma personnalité. » Il va aussi lui falloir gagner la confiance de ses équipes. « Je leur ai dit que c’était sacrément difficile pour moi d’arriver avec ce nouveau statut, et peut-être difficile pour eux de l’accepter, mais qu’on allait avancer ensemble. » Et ça a marché !
Avoir des amis dans son équipe : on dit oui
Diriger un commissariat de police est une mission de taille. La profession est à risque, stressante. Les agents sont exposés à des scènes parfois choquantes, portent une lourde responsabilité, ne comptent pas leurs heures et sont souvent en décalage horaire avec leur famille. Mais Kul Mahay sait que travailler avec des collègues qui sont aussi des amis permet d’établir un vrai lien, de pouvoir compter sur une confiance mutuelle. « Le plus important n’est pas ce que vous faites, mais l’ambiance que vous instaurez, comment les gens se sentent avec vous. Moi je veux savoir ce qui les met en colère, ce qui les frustre, qui mes collaborateurs sont en dehors du travail, en tant qu’êtres humains. Qu’on se parle les yeux dans les yeux. » Une approche plus facile quand il y a déjà un certain degré de proximité.
C’est aussi un avantage le jour où les résultats ne suivent plus et que l’heure est au recadrage. Quand il s’agit de personnes qu’on connaît bien à titre personnel, on débusque plus facilement l’origine du problème – car il y a toujours une explication, estime Kul Mahay. « Des soucis personnels, par exemple, qui ne se voient pas de prime abord, ou des problèmes financiers, la perte d’un proche… »
Comment faire comprendre à un ami qu’il faut redresser la barre ?
Cette approche empathique a souvent aidé Kul Mahay quand il a fallu recadrer le travail de collègues dont il était proche. À chaque promotion, il a rencontré de nouveaux défis. « Par la suite, il m’est souvent arrivé d’être muté dans des commissariats où j’avais des amis, avec qui je devais forger un nouveau type de relation, professionnelle cette fois-ci, mais sans perdre ce lien amical. »
Quand il prend sa retraite en 2015, Kul Mahay a passé près des deux tiers de sa carrière à des postes de management, dont celui, le plus haut gradé, de commissaire divisionnaire par intérim. Il est aujourd’hui coach (The Immersion Coach) et nous a livré quelques conseils pour s’en sortir quand l’heure est au feedback négatif…
Restez absolument factuel
Quel que soit votre degré de proximité avec la personne concernée, il est crucial de rester juste et précis. « Il faut que vous ayez des preuves de ce que vous avancez », ajoute l’ancien policier. En citant les faits, rien que les faits, vous montrez que la critique n’a rien de personnel.
Gardez la tête froide
Préparez à l’avance ce que vous allez dire, soyez dans la conversation plutôt que dans la confrontation. « N’envisagez pas l’échange comme un bras de fer ou une compétition. Gérez vos émotions. Ne laissez pas vos ressentis émotionnels liés à votre amitié prendre le pas sur votre réflexion. »
Gérez le problème en question
S’il est important d’être ouvert au dialogue au sujet de ce qui ne va pas, ne déviez pas. N’y allez cependant pas non plus au marteau-piqueur. « N’essayez pas à tout prix d’imposer votre autorité – la plupart des échanges n’ont pas besoin de ça pour être fructueux. Au contraire, une telle posture peut s’avérer contre-productive. » Le coach rappelle en outre qu’il y a toujours plusieurs versions, ou angles de vue, pour une même situation.
Adoptez une posture de coach
Évitez en effet d’établir un rapport de forces : pesez vos mots, soyez dans une démarche constructive et veillez à offrir un feedback fair-play, qui reprend aussi les points positifs. Soyez honnête dans vos retours. Ensuite, posez des questions et portez une oreille attentive aux réponses. Vous impliquerez ainsi davantage votre interlocuteur dans la recherche de solutions. « C’est vous qui les guidez pour creuser le sujet progressivement. Si vous soulevez les questions qu’il faut, que vous le faites de la bonne manière, vous serez au plus proche du rouage, de ce qui cause la défaillance temporaire chez la personne mise en cause. La plupart des gens ont envie de bien faire. On veut se sentir heureux dans son travail, c’est rare qu’on se lève le matin en se disant qu’on va passer en mode flemme toute la journée au boulot. »
Ébauchez un plan d’action
Fixez-vous comme objectif de convenir d’un plan d’action co-construit avec votre ami/collaborateur. Vous devez avoir défini des étapes concrètes de progression. « À l’issue de chaque entretien, convenez d’actions claires et identifiables à mettre en place. Il y aura ainsi un engagement mutuel et des comptes à rendre. »
Quand l’amitié va en prendre un coup
Au fil de sa carrière, Kul Mahay n’a jamais eu à regretter cette méthode, bien que certaines amitiés n’y aient pas survécu. Sa pire tempête, il l’a traversée en fin de carrière, après presque trente-deux ans de maison. L’un de ses amis, à qui il n’a par ailleurs rien à reprocher, n’est pas à la hauteur des résultats attendus. La direction le charge de recadrer l’agent. Le collaborateur en question a un sacré caractère et n’est pas du tout enclin à recevoir des ordres de quelqu’un qui a été au même grade que lui. « Il lui était impossible de dépasser ça. Un jour, il s’est braqué, le ton est monté, se souvient Kul Mahay. Je préparais toujours beaucoup mes entretiens avec lui pour que la situation ne m’échappe pas, surtout quand ses réactions émotionnelles risquaient de nous faire dévier de l’objectif initial. Il a, je pense, très mal pris le fait que je puisse remettre en cause la manière dont il se comportait au travail. »
Ils se mettent d’accord sur un plan d’action de six mois, avec des points à intervalles réguliers. Kul Mahay a vu son ami se remettre sur les rails, à son rythme, pour répondre aux objectifs fixés. Mais leur relation en a définitivement pâtit. « *Être chef, c’est souvent être seul. On ne peut pas tout le temps faire plaisir à tout le monde, mais il est primordial de rester fidèle à ses propres valeurs, à qui l’on est et ce en quoi on croit. Il faut aussi toujours faire preuve d’équité et impliquer, dès que c’est possible, la personne dans la résolution du problème.* »
Manager n’est jamais de tout repos
Il est nécessaire de savoir faire appel à son intelligence émotionnelle, sans croire pour autant que la solution viendra d’elle, explique Kul Mahay. « Vous pouvez avoir une remarquable intelligence émotionnelle, vous n’avez, malgré tout, pas toutes les cartes en main. Vous ne pouvez pas tabler sur les réactions des autres, seulement sur les vôtres. On n’a pas les réponses à l’avance. Je l’ai appris à mes dépens. J’ai compris que je n’avais pas de baguette magique, que personne n’en a. »
Mais d’après Kul Mahay, le plus important pour un manager est de continuer à grandir, à progresser. « C’est un apprentissage de tous les jours, on s’améliore sans cesse. »
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Photo d’illustration par WTTJ, traduit de l’anglais par Sophie Lecoq
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