Faut-il (toujours) venir à la rescousse de ses salariés en cas de problème ?
19 sept. 2022
5min
Journaliste
Le quotidien des salariés est rempli d’imprévus… Et c’est aussi le rôle du manager de voler au secours de ses équipes ! Mais devez-vous systématiquement apporter les solutions sur un plateau ?
Christophe Das Neves, CEO d’Advensse et de Bayia, et Stéphane Moriou, conférencier, chercheur et entrepreneur, ne sont pas toujours d’accord sur la question…
Oui, il faut aider coûte que coûte ses salariés, selon Christophe Das Neves
L’intelligence émotionnelle, un pilier du management
« En 20 ans d’expérience, j’ai connu des succès mais aussi des déconvenues qui m’ont permis d’ajuster ma vision et mon management. Pour moi, il faut aider les salariés à tout prix car l’inverse n’est en rien bénéfique. Le job du manager est de guider ses collaborateurs, puisque le management, c’est avant tout de l’humain. D’ailleurs, pour être bon dans son métier, il faut avoir beaucoup d’intelligence émotionnelle, c’est-à-dire trouver le juste équilibre entre émotion et raison pour pouvoir prendre les bonnes décisions, au bon moment. Quand on a cette intelligence, on ressent davantage les choses mais aussi les personnes : c’est un vrai gain de temps et d’efficacité.
Venir à bout d’un problème avec la technique des « 5 pourquoi »
Quand un salarié éprouve une difficulté à réaliser une tâche, ce n’est pas toujours la tâche en elle-même qui est compliquée. Ça peut être à cause d’un couac d’agenda, par exemple. Il faut absolument réussir à comprendre la problématique profonde grâce à la technique que j’appelle « Les 5 pourquoi ». En général au bout de 5 « Pourquoi ? », on obtient la véritable cause du problème et on peut travailler sur sa réparation. Tout le but d’un management réussi, c’est la confiance. Il faut que le salarié ait confiance en son manager, mais aussi en lui-même. Selon moi, le manager le plus efficace est celui qui autonomise. Il donne du sens au travail, évite le burn out et aide à la progression.
Être à l’écoute en cas de harcèlement
Lorsqu’il s’agit d’une problématique relationnelle au sein de l’entreprise, le manager se doit aussi d’aider ses salariés. Dans un cas de harcèlement par exemple, il faut se rappeler qu’il s’agit d’un acte puni par la loi et que le manager n’est pas spécialiste du cadre légal. Pour que le harcèlement soit avéré, il doit faire la première enquête afin de comprendre au mieux la situation. Il peut par exemple mettre le salarié victime de harcèlement en observation (attention, il faut que ce soit très confidentiel) en le prévenant : « Je vais te mettre en observation pendant une semaine ou deux, serre encore un peu les dents, il faut que je me rende compte de ce qui se passe ». Le manager doit renforcer sa vigilance et si le cas de harcèlement est avéré, alors il passe immédiatement la main au service RH ou juridique de la boîte.
Venir à la rescousse de ses salariés : une stratégie payante pour tous
Aider les salariés est bénéfique pour eux, mais également pour le manager et l’entreprise sur le long terme. Si une situation se reproduit, le manager ne verra plus ça comme un problème car il aura appris des expériences passées. Ça évite même à la boîte de perdre de l’argent. En effet, ne pas aider ses salariés, c’est les enfoncer dans leur problématique, leur faire perdre confiance voire développer des angoisses, un mal-être et un découragement… Ce qui entraîne à coup sûr un désengagement professionnel. Or le coût moyen du désengagement en France s’élève à 14310 euros par salarié et par an (IBET). Surtout, un manager qui fait parfaitement son boulot est plus tranquille au bout de six mois car son équipe, bien formée et accompagnée, s’occupe de tout. Soutenir ses employés représente un gain de temps considérable.
Une limite à ne pas franchir : la vie perso
Il n’existe qu’une seule raison de ne pas venir à la rescousse d’un de ses salariés : lorsque sa problématique relève de la sphère privée. Une difficulté personnelle peut bien sûr se ressentir sur le travail d’un collaborateur. Mais en tant que manager, on ne peut rien faire à part lui assurer notre soutien et veiller à ce que sur le plan professionnel, ce soit le moins pénible possible. »
Non, il faut savoir les laisser se débrouiller seuls, pense au contraire Stéphane Moriou
L’autorité par soumission et par engagement
« En 300000 ans, l’homo sapiens n’a inventé que deux formes d’autorités. L’une par soumission et l’autre par engagement. Traditionnellement, on est habitué à la forme d’autorité par soumission. En gros, un leader par soumission va très souvent faire à la place de son employé (donc lui apporter la solution sur un plateau), car ça lui permet de prouver qu’il est le sachant (« Je te montre que je sais faire mieux que toi, je vais plus vite donc tu es nul »). Avec l’autorité par engagement, le but est de rendre les personnes plus responsables et autonomes, et de ne pas faire systématiquement les choses à leur place. Il y a une nette opposition entre le « je fais » et le « je fais faire ». Dans la réalité, on doit pouvoir manager selon les cas avec les deux formes d’autorité. Eh oui, tout n’est pas à jeter dans l’autorité par soumission !
Aider à tout prix revient à « faire à la place de »
Une des raisons pour lesquelles un manager va faire les choses à la place de ses employés, c’est parce qu’il a du mal à déléguer. Surtout quand sa hiérarchie lui met une forte pression sur les épaules. Si un manager a en tête de devoir faire toujours plus et plus vite, c’est impossible pour lui de guider et d’accompagner ses salariés. Commence alors un cercle vicieux car faire à la place de quelqu’un, trop l’aider et ne pas déléguer peut mener tout droit au burn out. Alors oui, quand on fait les choses soi-même, c’est très efficace sur le court terme. Mais ça attaque l’estime des employés et ça crée des doutes. La meilleure manière de procéder, c’est de laisser faire son salarié. De le laisser se débrouiller tout en lui faisant des retours. C’est de cette façon qu’il développera ses compétences.
Développer l’autonomie par l’apprentissage
Il existe trois grandes formes d’apprentissage : par expérimentation, par transmission et par feedback. Et on a besoin d’apprendre par le biais de chacune ! Dans certains cas, ça peut valoir le coup de laisser son salarié se dépatouiller. Dans d’autres, de le laisser faire mais de l’accompagner dans la réalisation de sa tâche. Ou carrément de lui faire des feedbacks sur ce qu’il a mis en œuvre. Aujourd’hui, ce qui est très paradoxal dans les organisations, c’est que d’un côté on souhaite que les employés développent des compétences, et de l’autre, on n’accepte pas le droit à l’erreur. Pourtant, l’apprentissage est concomitant avec l’erreur.
Servir la solution sur un plateau, seulement s’il y a urgence
Venir à la rescousse, ok, mais en fonction du degré d’urgence ! Si quelqu’un me dit qu’il y a le feu dans son appartement, je vais lui dire d’appeler le 18. En lui donnant cette info, je viens à sa rescousse, mais le degré d’urgence fait que ça a du sens. Par exemple, si le problème de mon employé est un problème relationnel grave, type harcèlement, bien sûr qu’il faut que je mette ma casquette de manager par soumission et que je prenne un certain nombre de décisions pour mettre la victime en sécurité. Dans ce cas précis, le management par engagement n’a pas sa place.
Attention, le management toxique n’est jamais loin
La clé pour adopter un bon management, c’est de ne surtout pas être entre la soumission et l’engagement. Sinon on obtient un management toxique, à base de manipulation, séduction voire culpabilisation. C’est le pire possible ! Il faut prendre du recul régulièrement pour mettre en perspective sa pratique managériale et replacer le curseur si besoin. »
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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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