Managers : comment le biais d'autorité entérine le statu quo dans votre équipe
01 févr. 2024
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Avez-vous remarqué à quel point on accorde plus d’importance à ce qui sort de la bouche d’une personne en position de pouvoir ? Baptisé « biais d’autorité », ce phénomène n’est pas étranger au monde de l’entreprise. Notre experte Laetitia Vitaud revient sur ce penchant qui induit bien souvent inefficacité, démotivation et perte d’innovation.
Le biais d’autorité représente notre tendance à accorder une valeur excessive à l’opinion, aux conseils ou aux actions des personnes en position d’autorité, de pouvoir ou de notoriété, même quand elles ne sont pas expertes dans le domaine en question. Cela nous conduit, par exemple, à accorder du poids aux conseils de stars du show business en matière de régimes alimentaires ou d’investissements en cryptomonnaies, au mépris de notre santé physique et financière. C’est un peu comme si, à nos yeux biaisés, les personnes célèbres et puissantes avaient toujours raison.
Dans l’entreprise aussi, ce biais fait des ravages quand les salariés ignorent leur propre bon sens ou évitent de rechercher des informations pertinentes sur lesquelles baser les décisions importantes. Il est évidemment fort agréable quand on est manager d’être écouté·e comme le messie et d’avoir une équipe qui approuve ce que vous dites, en vous obéissant au doigt et à l’œil. C’est bon pour l’ego. Mais le jeu en vaut-il réellement la chandelle ? Quelles sont les différentes conséquences de ce biais et comment parvenir à le neutraliser ? Explications.
Un biais aux conséquences multiples
Vous et vos collaborateurs devenez moins efficaces
Quand sur un sujet donné, on n’écoute que la figure d’autorité au lieu des multiples voix pertinentes qui peuvent s’exprimer, on dispose de moins de données sur lesquelles baser ses décisions. Quand ces dernières ignorent les données factuelles et les compétences pertinentes, elles conduisent à des choix inefficaces et sous-optimisés. Lorsqu’il y a erreur, le biais d’autorité empêche les autres de la remettre en question ou de corriger le tir.
En Allemagne où je vis, ce biais se retrouve dans l’importance qu’on accorde aux titres de « Professor » ou « Doktor » par exemple, tout comme en France les « VP » pullulent de plus en plus sur LinkedIn. Les personnes qui ont l’un de ces titres le mettent systématiquement sur leur carte de visite et leurs signatures de mail, afin de faire fonctionner le biais d’autorité en leur faveur. Au travail, leurs paroles ont ainsi plus de poids que celles des autres qui doivent ramer deux fois plus pour se faire entendre. Résultat ? Une grande perte de temps et une chute de productivité pour tout le monde. En effet, s’il faut toujours attendre l’aval du big boss pour faire avancer quoi que ce soit, les choses risquent fort de traîner en longueur.
Votre organisation est moins innovante
Confortés dans leur autorité par ce biais, les personnes ne sont pas encouragées à se former tout au long de la vie, à se mettre à la place des autres et à développer leur esprit critique. À bien des égards, le biais d’autorité rend les personnes de pouvoir de plus en plus mauvaises avec le temps ! De plus, en favorisant systématiquement les idées ou les suggestions des personnes en position d’autorité, l’entreprise risque de négliger toutes les contributions novatrices qui proviennent des autres membres de l’équipe… ce qui la rend moins capable d’innovation.
Les salariés hésitent alors d’autant plus à partager leurs idées novatrices qu’ils savent que leur voix ne sera pas entendue. Dit autrement, le biais d’autorité engendre un climat de travail démotivant. À quoi bon offrir des idées nouvelles quand le fruit de votre travail et de votre compétence n’est pas respecté comme il devrait l’être ? Si on préfère toujours celui (même mauvais) des personnes en position d’autorité, alors l’environnement de travail est forcément perçu comme injuste. Cela abîme la motivation et l’engagement des meilleurs salariés.
Le risque d’escalade de l’engagement augmente
Quand vous devriez arrêter les frais mais que vous vous enfoncez dans l’erreur, au risque de faire faillite et d’y laisser toutes vos plumes, vous tombez dans l’escalade de l’engagement. Pour Annie Duke, l’autrice de Quit et championne de poker, « les meilleurs joueurs de poker sont meilleurs que les amateurs parce qu’ils savent déclarer forfait à temps ». Il est indispensable de savoir écouter les critiques et cueillir les signaux faibles pour apprendre à abandonner avant qu’il ne soit trop tard. Mais quand on est trompé par le biais d’autorité, on ne risque pas de s’améliorer.
Une fois qu’une décision est prise par une figure d’autorité sans remise en question, les individus impliqués investissent davantage de ressources : temps, argent, efforts, réputation… Ensuite, cet investissement initial crée une motivation psychologique à justifier et à maintenir la décision prise, même si de nouveaux éléments suggèrent qu’il serait peut-être plus judicieux de changer de cap. À changer de direction, on pourrait perdre la face.
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Sexisme et pénalisation des femmes sont au rendez-vous
PDG, entrepreneurs célèbres, dirigeants politiques… Pas la peine de prendre des pincettes pour le dire : dans notre société, les figures d’autorité sont très majoritairement masculines. Plus la position est élevée, plus il y a de chance qu’un homme s’y trouve. Comme avec la poule et l’œuf, on ne sait ce qui vient en premier du biais d’autorité ou de la position d’autorité. Le biais d’autorité est donc par essence sexiste.
Comme l’explique très bien la journaliste Mary Ann Sieghart dans son livre The Authority Gap, les femmes sont moins prises au sérieux dans le monde du travail (et ailleurs) : on ne leur accorde pas la même autorité, on les écoute moins quand elles parlent… Elle cite notamment l’exemple de ces entrepreneuses qui se sont inventées un associé masculin pour donner plus d’autorité à leurs emails. En signant leur correspondance avec un nom d’homme, ces femmes ont constaté que les réponses de leurs clients ou prestataires devenaient alors plus rapides, plus courtoises et moins tatillonnes. Tout comme, en répétant les paroles des autres femmes de l’équipe, d’autres ont réalisé qu’il fallait s’y mettre à plusieurs pour augmenter l’autorité de leurs idées.
7 méthodes pour contrecarrer le biais d’autorité
1. Encouragez un environnement où les salariés peuvent vous dire NON
Certaines cultures d’entreprise favorisent des environnements de travail propices à l’échange d’idées, au dialogue et à la réflexion critique. Dire non, c’est amorcer l’innovation, car innover implique de ne pas répéter les mêmes actions de la même manière.
2. Valorisez l’expertise et les compétences plutôt que les titres
Une organisation où la hiérarchie compte moins que les compétences et l’expertise risque moins de tomber dans le biais d’autorité. Les résultats concrets et les réalisations y importent plus que les signes extérieurs d’autorité.
3. Si vous avez du pouvoir, parlez moins et écoutez plus
Il est toujours plus difficile d’écouter que de parler, surtout quand on est le boss. Mais certains rituels et pratiques peuvent vous aider. Sachez que le poids des mots d’une personne de pouvoir est écrasant. Il influence les autres de manière disproportionnée. Taisez vous et écoutez !
4. Favorisez la participation des salariés dans les processus décisionnels
Cela peut se faire par le biais de groupes de réflexion, de comités consultatifs, de plateformes en ligne et d’outils collaboratifs pour recueillir leurs idées, ou toute autre méthode pour impliquer les salariés et susciter davantage leurs contributions.
5. Faites des jeux de rôles pour donner à entendre les points de vue critique
Le marketing et le design thinking ont l’habitude des « persona » -ces représentations fictives de personnes particulières- pour faire avancer la conception d’un produit et sa mise sur le marché. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour entendre l’investisseur grincheux et méfiant, le client insatisfait et le salarié mécontent ? Vous créez ainsi un espace pour l’expression de points de vue critiques à travers le jeu.
6. Augmentez l’autonomie de vos collaborateurs : « Celui qui fait décide »
Le principe « celui qui fait décide » repose sur l’idée que la personne directement impliquée dans une tâche ou un processus de travail devrait avoir un certain niveau d’autonomie dans la prise de décision liée à cette tâche. Au plus proche de la situation, elle est souvent la mieux placée pour comprendre les nuances, les défis et les opportunités associés à cette situation particulière.
7. Après un échec, cherchez les causes, pas les coupables
Le rituel du « post-mortem » pratiqué chez Pixar permet de revenir sur chaque projet, ce qui a marché et ce qui n’a pas marché pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Il est essentiel de chercher à comprendre les causes sans chercher à faire porter le chapeau d’un problème à quelques individus.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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