Managers : pourquoi est-il essentiel que vos salariés sachent vous dire NON ?
08 avr. 2022
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Les Français sont des amoureux de la contestation. Pourtant, au boulot, beaucoup ne s’autorisent pas à contredire l’autorité comme ils le feraient dans la rue. Or, pour l’entreprise, le débat est un boosteur d’innovation, d’intelligence collective et de qualité de vie au travail, affirme notre experte du Lab Laetitia Vitaud… Managers, voici 4 raisons pour lesquelles il est donc essentiel que vos salariés sachent vous dire NON.
La plupart des managers vous diront qu’ils / elles encouragent le dialogue, laissent leurs équipes s’exprimer librement au travail et accueillent la critique avec bienveillance. « Tu n’es pas obligé·e de dire oui… » Personne n’a envie de passer pour un tyran assoiffé de pouvoir, dépourvu d’esprit critique et voulant régner sans partage. Après tout, c’est peut-être dangereux de dire le contraire : dans l’histoire, on a coupé des têtes et fait des révolutions pour moins que ça ! Pourtant, les salarié·es, eux / elles, n’ont pas toujours le sentiment qu’ils / elles peuvent s’exprimer librement et refuser ce qu’on leur propose. Secrètement, beaucoup de managers valorisent une certaine soumission et une « culture de l’exécution » qui ne souffre pas la contestation. En réalité, pouvoir dire NON quand on est salarié·e, cela n’est pas si évident.
L’histoire du travail salarié est celle d’un rapport de force asymétrique entre travailleur·ses et entreprises. Non, le travail n’est pas une marchandise comme une autre qu’on peut vendre ou refuser de vendre dans la plus grande liberté : quand vous avez besoin d’un salaire pour payer le loyer et nourrir les marmots, vous n’êtes pas toujours libre de mettre en péril la source de vos revenus. De ce rapport de force inégalitaire est née l’idée qu’il fallait se mettre à plusieurs pour négocier les conditions de travail et les niveaux de rémunération. C’est au sein des syndicats que les salarié·es ont appris à dire NON et à négocier de meilleures conditions. Alors que le pouvoir des syndicats a considérablement décliné au cours des dernières décennies, on peut se demander si le pouvoir de dire NON des salarié·es n’a pas décliné avec eux. Certes, la culture française semble faire une place de choix à la contestation. L’héritage révolutionnaire joue toujours un rôle dans notre imaginaire et nourrit un esprit contestataire que les patrons étrangers ne nous envient pas, mais dont les Français·es tirent une certaine fierté. Chez nous, le débat est un sport national, un art de vivre même. Ne pas être d’accord, cela peut même faire partie d’un jeu de séduction. Qu’en est-il du travail et des entreprises ? Eh bien, une culture d’entreprise dans laquelle les salarié·es savent dire NON, c’est probablement une bonne chose pour l’innovation, l’intelligence collective et la qualité de vie au travail.
C’est de cette façon que vos salarié·es démontrent leur autonomie
Dire non, c’est l’expression même de l’autonomie. Chez les enfants, la phase du non est même une étape essentielle du développement psychique : c’est le moyen de s’affirmer, d’acquérir une existence autonome, distincte de celle de leurs parents. En même temps qu’il / elle dit « non », l’enfant commence aussi à dire « je » : c’est le début de la maîtrise et de la socialisation, il / elle entend et comprend dorénavant ce qu’on lui demande. Les premiers « non » donnent toute leur puissance aux « oui » qui viendront après ! Chez les salarié·es, c’est la même chose : dire « non » au travail, c’est l’expression d’une plus grande autonomie. Étymologiquement, le mot autonomie signifie « fixer soi-même sa propre règle ». Au travail, cela renvoie au libre choix d’un certain nombre de paramètres comme les horaires, les outils et méthodes de travail, la tenue ou encore le lieu de travail. Les deux années de pandémie de Covid ont révélé une soif d’autonomie au travail. Pour beaucoup de salarié·es, le retour aux contraintes d’avant est une pilule qui ne passe pas : ils / elles disent notamment NON à l’absence de flexibilité et à la contrainte du lieu de travail. La solution n’est pas de chercher de meilleurs moyens de les « forcer » à revenir au bureau, c’est de tirer le meilleur parti de leur autonomie : plus de productivité, plus de responsabilité !
Vous ne basculerez jamais dans la médiocrité et le dysfonctionnement
Dans les autocraties (pays et organisations), on ne peut que dire « oui », être toujours d’accord avec le / la chef·fe tout·e puissant·e, se taire ou le / la flatter. La contradiction et la contestation sont impossibles. Il faut accepter les situations, méthodes et outils médiocres ou problématiques. Les contester, c’est s’exposer au risque de la punition. Partout où le leadership est dysfonctionnel, on ne se risque pas à reporter un problème de peur de s’en voir accusé·e d’en être à l’origine. Pour un·e manager, s’entourer de personnes qui disent toujours « oui », c’est entretenir une culture dysfonctionnelle. On perd son temps à faire des choses inutiles et à « grenouiller ». Le mensonge est plus prudent car c’est le meilleur moyen de protéger sa carrière. Comme l’a écrit le professeur de stratégie Philippe Silberzahn à propos de Poutine et son invasion de l’Ukraine : « Le dirigeant autoritaire ne s’entoure que de conseillers dociles. C’est ce qu’illustre le remplacement d’Anatoli Serdyukov par Sergueï Choïgou au ministère de la défense en 2012. Nommé en 2007, Serdyukov avait lancé des réformes ambitieuses, mais il s’était heurté aux intérêts en place. Il est finalement limogé et remplacé par Choïgou, général médiocre dont l’objectif est de ne mécontenter personne et de plaire à Poutine. Le choix des hommes est la première responsabilité du dirigeant : qui il choisit en dit long sur qui il est, et quel système il construit. L’inefficacité actuelle de l’armée russe est le résultat direct du choix de Poutine qui a préféré un ministre docile à un réformateur ».
Le « non » renforce l’intelligence collective et l’innovation
Dire non, c’est refuser la reproduction et la poursuite de la médiocrité. Dire non, c’est la première étape de toute innovation, puisque innover, c’est ne pas faire la même chose de la même manière. Là où contradiction et critique sont découragées, la culture de l’organisation ne fait pas de place à l’innovation. Or dans la période de transition que nous vivons (numérique, écologique, démographique), être capable d’innover est devenu une question de survie ! Quand les salarié·es ne savent pas dire « non », l’équipe n’est pas à la hauteur de son intelligence collective. Si tout le monde est d’accord, on a un consensus mou entre personnes qui se ressemblent. Or pour devenir collectivement plus intelligents, on a besoin de la diversité des personnes et des points de vue : en se confrontant aux autres, on peut construire un point de vue nouveau et plus complet. La diversité nourrit des décisions de meilleure qualité. Alors que les changements dans les manières de travailler (ainsi que le contexte géopolitique et climatique) sont si grands, on n’a pas assez d’une seule personne et d’un seul point de vue pour tous les appréhender. Une équipe dont tous les cerveaux seraient coulés dans le même moule (même origine, même formation, même genre) n’a qu’une vision biaisée et parcellaire des problèmes à résoudre.
C’est une garantie de favoriser la qualité de vie au travail
Quand les salarié·es savent dire « non », ils / elles sont en mesure de protéger leur vie privée, l’équilibre des temps de vie et leur santé mentale. Pouvoir refuser des charges de travail trop importantes, c’est se préserver du burn-out. Cela implique aussi une plus grande autonomie ainsi qu’un pouvoir de négociation individuel plus important. Souvent, c’est dans les organisations les plus égalitaires et inclusives que l’on y parvient, là où chaque individu peut être pleinement lui / elle-même, on peut assumer de dire « non ». Ceux / celles qui disent « non » aident les autres à améliorer leur QVT. Parfois, refuser des projets et travailler moins, c’est le meilleur moyen d’être en mesure de dire « oui » à ce qui compte le plus. En somme, savoir dire « non », c’est rendre le travail plus soutenable. En tant que manager, on est alors gagnant·e.
Photo par Thomas Decamps
Article édité par Mélissa Darré
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