« Je ne m’entends pas avec la personne que je manage » Comment faire ?
28 avr. 2020
6min
Journaliste indépendante.
Il vous irrite au plus haut point ? Vous ne supportez plus ses blagues vaseuses, ses tupperwares qui sentent le chou, ses mensonges, sa lenteur exaspérante, son manque visible de savoir-faire, son arrogance légendaire ou ses affronts incessants à la langue française ? Pas de chance, vous êtes son manager. Alors, comment faire quand la personne que vous devez gérer au quotidien vous rend dingue ? Comment apprendre à la connaître et à se focaliser sur ses qualités (mais oui, elle en a !) ?
C’est grave docteur ?
Est-on obligé d’aimer toutes les personnes de son équipe ? Non. Il y a d’ailleurs une différence importante entre apprécier une personne et la respecter. Il est parfois plus facile de travailler avec quelqu’un qui vous irrite, mais dont vous respectez les valeurs et le travail… qu’avec une personne qui vous est chère mais qui n’est pas à la hauteur.
Dans son livre Good Boss, Bad Boss, Robert Sutton - professeur de sciences de gestion à l’Université de Stanford - explique que travailler avec des personnes que l’on apprécie n’est pas nécessaire au bon fonctionnement d’une équipe : « Il y a une liste de choses qui vous font aimer les gens et il y a une liste de choses qui rendent un groupe efficace. Et vous ne trouverez pas les mêmes éléments sur ces deux listes ». C’est parce qu’une équipe est composée de collaborateurs aux façons de faire et aux aspirations différentes, qui vont vous mettre au défi et challenger vos méthodes, que vous deviendrez un meilleur manager.
Et vous, pourquoi vous ne l’aimez pas ?
Les raisons de votre désamour peuvent être nombreuses. Il est indispensable d’en comprendre l’origine pour y trouver des solutions. Est-ce que cette personne vous rappelle quelqu’un que vous n’appréciez-pas ? Est-ce que vous retrouvez chez elle des défauts que vous redoutez d’avoir également ? Est-ce que vous êtes un peu jaloux de son talent ? Pas de guérison possible, sans identification des symptômes. Et vous, pourquoi vous ne l’aimez pas ?
Parce qu’il se croit meilleur que tout le monde (et que c’est un peu vrai)
Son travail est parfait, difficile de lui reprocher quoi que ce soit. Il le sait et cela fait de lui une personne insupportable. « J’ai managé un salarié qui abattait le travail de deux personnes, et qui était techniquement bien meilleur que moi. J’étais obligée d’être sur la défensive en permanence, à toujours réfléchir à ce que j’allais lui dire avant de lui parler car je savais qu’il me ferait remarquer toute approximation. Pour son évaluation annuelle, j’ai décidé de le confronter à son gros melon en lui demandant frontalement s’il trouvait intelligent de montrer qu’il était si brillant. Ca l’a calmé pour plusieurs mois », partage Frédérique.
Parce qu’il vous a trompé sur qui il était
Il vous a menti en entretien ? Son comportement s’est révélé néfaste pour toute votre équipe ? Il a montré que vous ne pouviez plus lui faire confiance. C’est la situation qu’a vécue Christiane, directrice marketing : « J’ai recruté une personne qui disait avoir été mise au placard dans sa précédente entreprise. Elle m’a touchée et j’ai eu envie de lui donner une nouvelle chance. Après avoir rejoint l’équipe, son comportement a changé. Son travail était impeccable, mais elle était très sombre et désagréable avec tout le monde. Elle avait tendance à poser des ultimatums pendant les moments de rush, quand elle savait que l’on ne pouvait rien lui refuser. Je pense que l’on peut toujours travailler en bonne intelligence, même avec des personnes pour lesquelles on a peu d’affinité. Mais avec elle, il y avait un vrai problème de valeurs. C’était impossible. J’ai serré les dents et ai fini par changer de poste, mais je sais que mon successeur vit la même situation avec cette personne aujourd’hui. »
Parce qu’il la joue perso
Il joue collectif quand ça l’arrange - par exemple, à la pause café - mais redevient un joueur solo quand il faut donner un coup de main. Son attitude individualiste vous irrite, car il ne s’investit pas pour l’équipe. « Elle a été l’une de mes premières alternantes, à une période où nous étions en sous-effectif. Pas de chance, elle n’avait pas du tout la culture de l’effort. Elle faisait son taff, et c’est tout. Je lui en ai parlé en entretien individuel pour tenter de réajuster son comportement, qu’elle comprenne que même si rien ne l’obligeait à aider ses collègues en théorie, ça serait quand même fortement apprécié. Mais rien à faire, elle n’a jamais levé le petit doigt. Je pense que j’ai réussi à cacher mon irritation car je savais qu’elle n’était là que pour un an. Mais heureusement que d’autres collègues managers étaient là pour que je puisse évacuer mon énervement de temps en temps », nous confie Julie.
Parce que son travail n’est pas à la hauteur
Ses compétences sont en deçà de ce que vous êtes en droit d’attendre. Parfois, ce n’est même pas de sa faute (mais plutôt de la vôtre ?) : il a simplement été intégré à votre équipe alors que son profil ne correspondait pas à celui que vous cherchiez. Au final, il vous fait perdre un temps fou et vous devez sans cesse limiter les dégâts. C’est l’épreuve qu’a traversée Rémi lorsqu’il a recruté pour la première fois : « C’est en allant sur le terrain avec lui que j’ai réalisé qu’il manquait clairement du savoir-faire nécessaire. C’est moi qui l’avait recruté, donc je savais que j’étais le principal fautif. Alors j’ai pris sur moi et je me suis mis en tête de le faire monter en compétences en passant plus de temps avec lui, quitte à ce que ça soit très chronophage. J’ai mis ma patience à rude épreuve. Mais j’ai sans doute mal caché mon agacement… car après quelques mois, il a préféré partir de lui-même. Ca a été difficile à accepter en tant que manager, mais ça restait un soulagement ».
Comment gérer la situation ?
Mais peut-on finir par respecter, voire apprécier, une personne avec qui l’on ne s’entend pas ? Il est difficile de changer d’avis. Le cerveau cherche naturellement à justifier ce que l’on pense déjà, en écartant tout ce qui contredit ses croyances. C’est pourquoi on est bien plus enclin à remarquer les informations qui confirment nos opinions que l’inverse. Quelques pistes, tout de même, pour vous apprendre à mieux supporter la situation, voire à gérer la cause de votre irritation.
Restez objectif à tout prix
Est-ce que vous utilisez les mêmes règles pour lui que pour les autres ? On a tendance à être plus indulgent avec une personne que l’on apprécie qu’avec celle que l’on déteste. Si vous avez des difficultés à être juste, rien ne vous empêche de consulter un autre manager. Demandez-lui de formuler des commentaires francs pour savoir si votre évaluation est honnête, voire de jouer l’avocat du diable pour vous montrer objectivement les points à côtés desquels vous êtes peut-être passé.
Soyez clairs sur vos attentes
Les non-dits peuvent être cruels et donner naissance à de nombreuses frustrations. Pourtant, personne ne peut lire dans votre esprit. Beaucoup de managers oublient d’afficher clairement ce qui est important pour eux et la manière dont ils fonctionnent : vous aimez être challengé ? Votre collaborateur se retenait justement de vous contredire, de peur de vous vexer. Vous le trouvez trop scolaire et déférent ? Il voulait simplement vous montrer à quel point il vous respecte. Bref, attention aux raccourcis, ne faites pas l’erreur de tenir quelqu’un pour responsable sans avoir d’abord exprimé vos attentes. Peut-être que ce collaborateur fait beaucoup d’efforts et que vous êtes passé à côté.
Cherchez le positif
Il est facile de voir le meilleur chez les gens que vous aimez, et le pire chez ceux qui vous dérangent. Pourtant, et même si vous et lui êtes très différents, cette personne a forcément des qualités ou des traits de personnalité avec lesquels vous pourriez vous accorder si vous faites l’effort de casser ce mur qu’il y a entre vous. Un bon leader sait les trouver et s’y accrocher. Qu’est-ce que cette personne peut apporter à l’équipe ? Comment faire en sorte que ses qualités brillent au point que vous en oubliiez ses défauts qui vous énervent ? Peut-être que son travail n’est pas parfait mais que sa bonne humeur participe au bien-être général de l’équipe. Peut-être qu’à l’inverse, il est souvent négatif mais dispose d’un esprit d’analyse particulièrement intéressant pour faire progresser un projet. Personne ne mérite qu’on le mette dans une case ou qu’on le déteste à jamais.
Prenez le taureau par les cornes
Vous avez tout essayé et, malgré tous vos efforts - vous sentez que ça ne colle toujours pas ? Alors là seulement, optez pour une solution plus radicale. Mais n’oubliez pas que c’est la carrière de quelqu’un qui est en jeu. Alors assurez-vous que c’est vraiment votre seule option, et que la personne nuit réellement à l’équipe ou à l’entreprise en vous basant par exemple sur le ressenti d’autres collaborateurs. « Parfois, il vaut mieux discuter d’un départ - par exemple, par rupture conventionnelle - que de laisser la situation s’envenimer », conclut Christiane.
Quoi qu’il arrive, n’affichez pas ouvertement votre hostilité. Rappelez-vous qu’il est difficile pour un collaborateur de ne pas se sentir apprécié par son manager. Il associera naturellement ce sentiment à sa performance (parfois à tort, parfois à raison), d’autant plus s’il ne comprend pas les origines de votre frustration. Vous joindre aux commérages d’autres collaborateurs ou ne pas vous montrer professionnel et positif pourrait, très justement, vous être reproché. Keep calm and carry on !
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Photo d’illustration by WTTJ
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