« Ménager » plutôt que « manager », la clé pour garder ses équipes engagées ?

13 avr. 2020

3min

« Ménager » plutôt que « manager », la clé pour garder ses équipes engagées ?
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

En cette période de crise du Covid-19 et de confinement, les managers sont tous confrontés à la généralisation de situations extraordinaires, avec de nombreux employés en chômage partiel, d’autres contraints de faire du télétravail domestique avec leurs enfants à la maison, d’autres encore obligés de prendre le risque d’être plus exposés au virus pour assurer un travail jugé essentiel.

Les sujets habituels du management semblent bien loin de la réalité d’aujourd’hui. On se préoccupe davantage de « sécurité » que de « bien-être», et de continuer son activité tant bien que mal, plutôt que de « gagner en productivité ». Pour certains managers, « tenir le coup », c’est devenu l’objectif principal !

Et si, dans le contexte actuel, il valait mieux apprendre à « ménager » plutôt qu’ à « manager » ? On pense à ce joli proverbe français qui nous vient d’une pièce de Racine, « Pour aller loin, il faut ménager sa monture » que l’on peut transposer ici en disant : « Pour survivre au confinement, il faut garder ses forces et ses réserves et prendre grand soin de son équipe. »

Pour cela, l’étymologie du mot « management » est riche d’enseignements ! Le mot, qui nous vient de l’anglais, vient des mots français « mesnage » et « mesnager ». Au Moyen-âge, cela faisait référence à l’art de « gérer les affaires du ménage ». Avec le temps, le sens du verbe « ménager » a évolué, pour finalement signifier « traiter avec égards, avec respect » et « prendre soin ».

Comme le souligne la linguiste Henriette Walter, « le ménagement est une affaire artisanale, un mode de gestion économique concret, ancré dans le quotidien. » Cela semble particulièrement à propos dans la situation présente, alors que l’on semble prendre conscience du fait que beaucoup de travail se fait aujourd’hui dans la sphère domestique, dans un cadre on ne peut plus artisanal, hors d’une organisation du travail de type industrielle qui repose sur une hiérarchie stricte, la séparation entre ceux/celles qui pensent et ceux/celles qui exécutent, et une division des tâches qui laisse peu de place à l’empowerment des individus.

« Le ménagement est une affaire artisanale, un mode de gestion économique concret, ancré dans le quotidien. »

Henriette Walter, linguiste

Le fait que le ménagement appelle à penser le travail autour de la notion d’artisanat est révélateur d’une transformation remarquable du management d’avant. En effet, seul.e.s avec les outils du bord, les travailleurs / travailleuses doivent parfois acquérir de nouvelles compétences et devenir plus polyvalent.e.s. Certain.e.s apprennent à organiser des webinars, d’autres deviennent des vidéastes amateurs / amatrices, d’autres encore doivent jongler entre leurs contraintes domestiques et leurs obligations professionnelles avec une souplesse toute artisanale. D’autres, enfin, doivent faire preuve de créativité pour trouver des solutions nouvelles face à la crise sans précédent que l’on doit affronter.

Répliquer en ligne les habitudes de l’organisation de la vie de bureau et le management traditionnel, cela peut vite tourner au cauchemar. La surveillance à distance (notamment avec ces logiciels qui permettent de faire des captures d’écran de ses collaborateurs/collaboratrices pour vérifier qu’ils/elles sont bien au travail) est plus aliénante encore que la surveillance en présentiel. La « réunionite » en ligne, avec un son dégradé et la solitude de l’écran, est plus pénible que la réunionite du bureau. Les chaînes de validation par la hiérarchie pour faire avancer un dossier peuvent aboutir à des délais plus longs encore quand on peut pas mettre à profit l’horizontalité d’un espace physique partagé. Et la rigidité des processus, quant au choix des outils à utiliser pour le travail à distance, par exemple, peut devenir plus insupportable quand on voudrait pouvoir continuer à travailler efficacement à la maison.

En bref, le modèle artisanal du ménagement semble très pertinent pour donner des perspectives nouvelles au management. La notion d’artisanat qui repose sur l’autonomie, la responsabilité et la créativité, semble particulièrement adaptée aux contraintes de la vie des télétravailleurs. Elle offre des précieuses pistes de réflexion pour les managers d’aujourd’hui. A certains égards, la crise que nous traversons pourrait accélérer la transition d’un management « industriel » à un « ménagement » artisanal.

« La crise que nous traversons pourrait accélérer la transition d’un management « industriel » à un « ménagement » artisanal. »

Enfin, il ne faut pas oublier que beaucoup des travailleurs/travailleuses d’aujourd’hui continuent leur activité avec des enfants à la maison. En mêlant les sphères de l’intime et du professionnel, la famille et le travail, le confinement rend visibles des sujets qui auraient toujours dû l’être : la garde des enfants, leur éducation, l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, les conditions de vie domestique, la solitude et la santé mentale sont des sujets essentiels pour les entreprises. Pour le « management », ils restent souvent tabou (on préfère souvent ne pas parler de sa vie privée, de ses responsabilités parentales ou des tâches ménagères à son manager). Pour le « ménagement », en revanche, ces sujets sont enfin mis sur la table.

« Le confinement rend visibles des sujets qui auraient toujours dû l’être : la garde des enfants, leur éducation (…) la solitude et la santé mentale. »

Bien « ménager » ses collaborateurs / collaboratrices, c’est prendre en compte leurs contraintes personnelles, leur offrir la plus grande flexibilité possible dans l’organisation de leur travail, travailler avec son équipe de manière asynchrone (pas en étant tous connectés sur Zoom en permanence). C’est aussi leur laisser plus d’autonomie dans l’organisation de leur travail, notamment, dans le choix des outils. Je veux être optimiste sur les traces positives que laissera sur le management cette période de crise exceptionnelle. Nous ne pouvons qu’y gagner en empathie.

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