Lutin, Père Noël, vendeur de sapins : rencontres avec les travailleurs qui font Noël
21 déc. 2023
8min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Journaliste chez Welcome to the Jungle
Journaliste - Welcome to the Jungle
« Joyeux Noël » est un souhait qui n’aurait aucune chance de se réaliser sans le travail de nombreuses personnes chargées d’habiller l ’hiver de couleurs festives. Nous avons rencontré celles et ceux qui, pour un mois, nous font vivre avec leurs artifices, la magie de Noël. Qui ne repose décidément pas que sur les réparateurs de traîneaux, les gardiens de rennes ou les lutins.
« Il me tarde d’être au 24 pour retrouver mon chat et passer Noël en famille ! » Loris, vendeur de sapins à Paris
C’est la première année que je vends des sapins. J’ai démarré l’activité fin novembre et je suis là pour un mois environ. Je ne suis pas originaire de Paris comme mon accent le suggère, mais d’Albi, à côté de Toulouse. Mon oncle m’a fait entrer ici car il a besoin de plus de main d’œuvre pour la période des fêtes. Les sapins se vendent surtout les deux premières semaines de décembre, et ça se calme petit à petit. Ça continue même un peu après le 24.
La journée de travail commence à 8h30, on procède à la mise en place, on sort les sapins des camions de livraison, une déballe qui prend environ une heure. On essaye de proposer un large choix pour correspondre à tous les goûts, les budgets, et toutes les surfaces d’appartements. Nos sapins sont tous de la même variété, des Nordmann, le sapin qui a le plus la côte depuis quelques années. Auparavant c’était les épicéas qui sentaient plus fort mais perdaient leurs épines, et donc leur popularité. Cette question d’ailleurs obsède les clients : « Est-ce qu’il perd ses épines ? », ils veulent s’éviter un ménage intensif, car ça peut être encombrant un sapin !
Ce qui est agréable dans ce métier, c’est le contact avec les végétaux. On apporte un peu de verdure dans la vie des parisiens. Ça me fait sourire, quand les gens ralentissent pour me dire « ah mais c’est une forêt », ou « ça sent le sapin ! » Ça met un peu de couleurs dans la grisaille de leur journée. Et chose cocasse, j’ai même croisé des acteurs et un jour, je me suis même fait interviewer par un journaliste…
Que fait un vendeur de sapins le reste de l’année ? Bonne question ! C’est intéressant déjà de faire ce job saisonnier pour moi, car je suis en reconversion et j’aimerais m’orienter vers un emploi plus manuel, et ça me donne déjà une petite idée de ce que ça peut donner. Pour l’instant, je suis éducateur spécialisé, je travaille avec des jeunes qui sont pour la plupart en situation de précarité, en lien avec des problématiques sociales et familiales.
Mon job se termine bientôt et je ne vais pas vous cacher que Paris c’est intense quand on n’est pas du coin. Alors il me tarde d’être au 24, pour retrouver mon chat, Albi et sa cathédrale qui est la plus vieille construction de briques roses et passer Noël en famille.
« Faire sentir les plus belles fleurs de notre région et proposer de jolis cadeaux pour toutes les bourses », Frédéric, cofondateur d’Histoire de Provence à Nice
Nous sommes au mois de décembre, mais je n’ai qu’un petit pull sur le dos aujourd’hui ! À Nice, on a remplacé les sapins par des palmiers et pourtant, la magie de Noël opère ici aussi. Avec mon associé, c’est la deuxième année consécutive que nous avons un petit chalet sur le marché de Noël et c’est une occasion unique de faire découvrir aux nombreux touristes de passage ou de faire redécouvrir aux locaux, toute la richesse des productions de notre région pendant un mois. Pour cela, nous proposons une large gamme de produits qui met en valeur les plus belles fleurs du sud : le jasmin, le mimosa, la lavande, la rose, la verveine et la fleur d’oranger. Les fleurs sont récoltées à côté d’ici, puis acheminées à Grasse où nos bougies et nos diffuseurs sont fabriqués. L’an prochain, on aura également une figue qui complètera notre répertoire. Cela fait plus de vingt ans que je travaille dans les odeurs, alors je connais très bien ce milieu et je fais très attention, surtout depuis l’inflation, à ce que chaque personne qui visite notre stand puisse trouver un petit cadeau d’une grande qualité à offrir à ses proches. À Noël, la lumière est omniprésente, elle est source de joie, de vie, alors vendre des bougies à tout son sens pour moi ici.
L’an passé, une dame d’un certain âge n’avait pas les moyens de s’acheter un diffuseur, on a longtemps discuté ensemble, je lui ai proposé de lui faire une petite ristourne, ce qui est normal entre commerçants, et cette année, elle a été notre première cliente le soir de l’inauguration. Elle est revenue plusieurs fois avec ses amies retraitées. Le bouche à oreilles, il n’y a rien de mieux. J’ai d’autres activités le reste de l’année, mais je me rends compte qu’ici on touche des gens qu’on ne rencontre pas ailleurs et j’aime prendre le temps de discuter avec chacun. Malheureusement, pour certains le quotidien est difficile, et ça l’est d’autant plus pendant cette période de l’année, car tout le monde n’a pas la chance d’avoir une famille. Alors, pendant quelques minutes, je fais des blagues comme si j’étais leur lointain cousin et je suis heureux de voir un sourire se dessiner sur leur visage.
« La raison pour laquelle j’ai pris ce job, c’est qu’il y a deux-trois mois on m’a suspendu mon permis de conduire et j’ai perdu mon boulot » Tom, Père Noël
Encore des journalistes ?! Bon, si je dis toute la vérité vous allez rigoler… Mais je vais être honnête à 100%.
Je fais cette activité depuis cinq jours pour un contrat de deux semaines. Et la raison pour laquelle j’ai pris ce job, c’est qu’il y a deux-trois mois, on m’a suspendu mon permis de conduire et j’ai perdu mon emploi par la même occasion. Alors je me suis retrouvé à faire plein de petits boulots. J’ai trouvé celui-ci grâce à mon réseau (de Père Noël) puisque j’ai un ami qui fait ça chaque année et qui m’a filé le plan. C’est comme une entreprise d’intérim qui place du monde sur tous les stands de Paris : des Pères Noël, des vendeurs, etc. Comme le salaire suivait… j’ai décidé de me lancer. Car oui : c’est plutôt bien payé Père Noël, et si ce n’était pas le cas, je ne serais pas là. C’est un travail agréable car on donne de la joie, on fait sourire les enfants, j’ai aussi fait pas mal de photos avec des chiens… Mais attention, il faut absolument préserver le mythe pour les enfants : je dois me changer discrètement à l’intérieur du centre commercial, « dans les coulisses », pour que personne ne me grille.
En tout cas, ce n’est pas banal comme job. Mes amis et ma famille me chambrent pas mal sur mon activité de Père Noël. Je leur envoie des photos en tenue, ça les fait rire. Derrière le bon salaire, il faut savoir qu’on fait beaucoup d’heures : on travaille dix heures par jour, sept jours sur sept et on se tape les trajets matin et soir… C’est assez épuisant mentalement donc je ne sais pas si je le referais à l’avenir. Bon je ne suis pas non plus en burn-out, mais on fait de grosses journées… On n’a pas le temps de faire des afterworks entre lutins après le travail ! En revanche on a prévu de faire une soirée le 24 avec les autres travailleurs de Noël car personne ne rentre chez soi pour les fêtes. Maintenant, moi, la date que j’attends avec impatience, ce n’est pas le 25 décembre mais plutôt la fin du mois de janvier… pour récupérer mon permis de conduire.
« Le marché de Noël, c’est le seul moment de l’année où je passe toutes mes journées avec ma femme », Pascal, traiteur à Nice.
Vous voulez des chips ? C’est une recette 100% naturelle, avec des pommes de terre du Nord de la France et de l’huile de tournesol, rien d’autre. Il y a cinq ans, quand les champions du monde de la Socca (spécialité culinaire traditionnelle de la cuisine niçoise, à base de farine de pois chiche et d’huile d’olive, cuite et dorée au four à bois, ndlr) nous ont dit qu’on pouvait remettre au goût du jour cette tradition sur le marché de Noël de Nice, je n’ai pas vraiment réfléchi et j’ai sauté sur l’occasion. C’était un produit qui avait complètement disparu et pourtant, tout le monde aime les chips, alors maintenant, je fais ça un mois par an. Le reste de l’année, je suis traiteur et mon entreprise compte aujourd’hui une cinquantaine de salariés. Ça peut sembler un peu étrange, mais comme je cours toute l’année, c’est un peu ma pause à moi.
Je ne suis pas sur le marché de Noël pour faire du chiffre comme les grandes enseignes, mais parce que j’aime être au contact des familles, voir les yeux des enfants qui brillent. Pour moi, Noël, c’est le moment magique où chacun se retrouve et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’on est deux sur le stand avec ma compagne. Une fois dans l’année, on sait qu’on passera toutes nos journées ensemble et c’est merveilleux parce qu’on passe notre temps à se croiser le reste du temps. Après, il faut savoir qu’il y a une tradition particulière sur ce stand, il est possible de gagner une part de chips gratuite les soirs de match de foot de l’équipe locale, mais pour cela, il faut que vous puissiez chanter l’hymne niçois “Nissa la bella” en entier ! En général, le dernier couplet est un peu difficile. Seuls deux groupes y sont parvenus l’année dernière ! Alors, je vous attends !
« Un enfant avait mis les clefs de voiture de son papa dans une lettre », Flore, lutine superviseuse du secrétariat du Père Noël à Libourne.
C’est la sixième année que je fais ce métier qui dure deux mois dans l’année. Lorsqu’on est lutine du Père Noël, le travail se répartit en deux catégories. La première est celle des relations publiques, puisque nous recevons énormément de monde au secrétariat du Père Noël, un service de La Poste : des écoles, des employés d’autres centres de La Poste, des personnes de la mairie. La deuxième partie est opérationnelle, on réceptionne le courrier des enfants, on le trie puis on le traite entre les soixante lutins et lutines. On démarre avec 10 000 lettres par jour puis 30 000 en décembre, et au total, on recevra près d’un 1,3 millions de lettres chaque année, ce qui nous occupe pas mal.
J’ai la chance d’habiter à côté de Libourne, lieu unique en France, où se trouve le secrétariat du Père Noël. J’ai tenté ma chance et je suis heureuse de participer chaque année à cette opération. On permet à nos enfants de continuer à travailler leur imaginaire, c’est souvent la lettre première qu’ils écrivent et elles sont pleines d’amour, alors pour moi, c’est un métier qui a du sens.
Et travailler avec des enfants réserve forcément quelques surprises. L’an dernier, un enfant avait mis les clefs de voiture de son papa dans une lettre pour que le père Noël puisse déplacer le véhicule et garer son traîneau à la place… La condition pour faire ce métier ? Être prêt à recevoir beaucoup d’amour !
« Ça peut-être assez drôle d’observer la mine un peu dépitée de certains clients qui regardent leur cadeau être emballé assez laborieusement », Raphaël et Jules, emballeurs de cadeaux à Paris
Raphaël : Raphaël c’est mon prénom dans le civil, mais sinon chez les scouts c’est Isatis. Je suis en STAPS et en vacances depuis la fin de mes partiels, j’en profite pour aider notre association. C’est la deuxième année que je fais de l’emballage de cadeau devant ce magasin de jouets. On est là pour tous les week-end du mois de décembre de 10h à 20h. Et tous les soirs de la dernière semaine avant Noël, à partir de 16h.
Jules : Moi c’est Téminki mon nom d’animal totem et je suis en école d’ingé. Faire les papiers cadeaux ça nous permet de gagner de l’argent grâce aux dons des clients et ça désengorge le magasin en période de Noël. C’est donnant-donnant. On fait ça pour financer tous les frais de l’association de scoutisme (à bon escient), notamment le camp d’été en juillet. Les clients donnent ce qu’ils veulent mais sont plutôt généreux. Un côté négatif ? Je vais être très terre à terre, mais c’est être dehors avec ce mois de décembre particulièrement froid. On se gèle malgré les bonnets et la musique pour nous réchauffer.
Raphaël : Le côté positif, c’est qu’on rencontre beaucoup de gens avec qui on discute de scoutisme, et on se rend compte que beaucoup en ont fait étant plus jeune. Ça nous fait une petite pub.
Jules : Mais parfois on tombe sur des gens un peu spéciaux, souvent des personnes âgées, qui vont te parler de la Seconde Guerre mondiale…
Raphaël : D’autres peuvent avoir des comportements plus dérangeants vis-à-vis des jeunes, notamment les gens bourrés. Pour éviter de mauvaises situations, on cadre les binômes d’emballeurs de cadeaux : un jeune avec un chef plus âgé au cas où.
Jules : Est-ce que ça me fait chaud au cœur de savoir que des enfants vont déchirer les emballages lors des fêtes en famille ? Je n’y pense pas vraiment. Par contre, on n’est pas tous des pros de l’emballage, et parmi les plus jeunes, certains ne sont pas très doués. C’est d’ailleurs peut être ce qu’il y a de plus drôle dans ce job : observer la mine un peu dépitée de certains clients qui regardent leur cadeau être emballé assez laborieusement.
Article édité par Aurélie Cerffond, photos Thomas Decamps et Nicolas Vella pour WTTJ
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