En entreprise, pourquoi a-t-on tous tendance à être parano ?
29 oct. 2019
4min
Journaliste indépendante.
À tous les coups, Sylvie a fait exprès de ne pas retenir l’ascenseur en vous voyant arriver ce matin. Elle veut votre poste et elle fait tout pour que vous soyez en retard. Et c’est certain, elle est de mèche avec Jean-Pierre qui pouffait de rire pendant votre présentation hier… Et si Sylvie avait simplement oublié ses lunettes ? Et si Jean-Pierre venait simplement d’ouvrir un e-mail à l’humour douteux envoyé par un collègue ?
La paranoïa est un comportement courant dans les entreprises. Qu’il aille d’une simple inquiétude à des réactions démesurées, il reste un véritable frein à l’épanouissement personnel et professionnel. Cette tendance naturelle conduit certains d’entre nous à mal interpréter des situations, en voyant des significations cachées et des menaces potentielles là où il n’y en a pas. Consommés par notre propre inquiétude, il nous arrive de mal lire les motivations et les intentions des autres. Est-ce normal ? Et comment se canaliser ?
L’entreprise, haut lieu de la paranoïa ?
L’entreprise est un lieu propice à la paranoïa. C’est un espace dans lequel échangent et collaborent de nombreuses personnes qui viennent chacune avec leur histoire, leurs troubles et leurs ambitions. Et bien que certains d’entre nous aient des prédispositions naturelles à ce sentiment, les organisations ont souvent des difficultés à gérer l’inquiétude des collaborateurs au quotidien.
Car certaines expériences toxiques laissent des traces
Dans une carrière, chaque individu doit ou devra faire face à des situations difficiles : un boss tyrannique, des collègues malveillants, une mise à pied, etc. Autant d’expériences dont il est parfois compliqué de se détacher et qui conduisent naturellement à la méfiance. Une culture de bureau nocive peut laisser vulnérable, et il est alors naturel de remettre en question les comportements de nouveaux collègues.
Car l’entreprise reste un monde de compétition
La nature hautement concurrentielle des organisations conduit assez spontanément ceux qui entrent dans la course à penser que d’autres cherchent à les renverser. Méfiance, coups bas et ambition peuvent générer des pensées paranoïaques et les comportements qui les accompagnent.
Car certaines personnes disposent d’un terrain favorable
Chaque individu lutte contre des sentiments paranoïaques, car la peur d’être exclu et mal-aimé fait partie de la condition humaine. Cependant, des personnalités stressées ou manquant de confiance en soi vivent ce sentiment de façon plus difficile. De la même façon, une enfance dans laquelle bienveillance et confiance n’ont pas trouvé leur place, invite à la réserve une fois arrivé dans le monde du travail.
Devenir méfiant vis-à-vis de ses collègues empêche de s’intégrer et de nouer des relations essentielles à l’épanouissement. Une étude menée à la London Business School montre que les personnes paranoïaques deviennent, sans le savoir, une cible de rejet. En cherchant constamment à être rassurés sur leurs craintes, ou en essayant de convaincre leur entourage de la justesse de leurs inquiétudes, ils finissent par ennuyer et irriter leurs collègues… ce qui confirme leur peur du rejet (c’est le serpent qui se mord la queue. Et à tous les coups, le serpent a été envoyé par Jean-Pierre).
Comment se débarrasser de ce sentiment ?
La paranoïa s’étend de la “vigilance raisonnable” au “comportement pathologique”. Au sein des organisations, la paranoïa à l’extrême peut créer un climat de peur et de tension, tandis qu’une dose normale de suspicion aide à anticiper les menaces potentielles (et parfois réelles !) pour l’entreprise. Lea McLeod, fondatrice du Job Success Lab, partage ses conseils pour garder un pied dans la réalité.
1- Notez les situations qui génèrent de la peur
Pour changer un comportement, il faut être en mesure de le comprendre et de le mesurer de façon rationnelle. Formaliser par écrit chaque pensée parano permet de se rendre compte de la fréquence et la nature de ce sentiment. Le simple fait de le documenter peut permettre de se libérer du pouvoir qu’il a sur vous.
2- Interrogez-vous sur l’importance réelle d’un fait
Effectivement, Sylvie n’a pas retenu l’ascenseur à votre arrivée ce matin. Est-ce la première fois ? Voyez-vous d’autres signes qui pourraient indiquer qu’elle a quelque chose contre vous ? Avant de tirer des conclusions hâtives, il est important de chercher à comprendre si le fait observé est réel ou si vous lui accordez juste trop d’importance.
3- Demandez-vous “et si l’inverse était vrai ?”
Lorsque l’on cherche les preuves à une situation, il est facile de les trouver. Mais elles ne sont pas toujours justes. Le principe du “biais de confirmation” est la tendance naturelle à chercher tous les éléments permettant de se prouver qu’une intuition est correcte. Si vous pensez que Jean-Pierre vous trouve illégitime, chaque rire étouffé ou sourcil levé vous semblera être le témoignage ultime de son animosité. Avant de sauter à pieds-joints dans cette conclusion, pourquoi ne pas vous demander si Jean-Pierre rigole parce qu’il vous trouve, au contraire, bien plus brillante que les autres interlocuteurs dans la pièce ? Vrai ou non, il existe sans doute beaucoup d’explications possibles à son rire : il vient de recevoir un e-mail marrant, se souvient d’une blague d’un collègue à la cantine, ou vient de voir une personne glisser sur une peau de banane par la fenêtre.
4- Soyez proactif
Et si vous demandiez simplement à Sylvie si elle vous a vu courir vers l’ascenseur ce matin ? Et si vous interrogiez Jean-Pierre sur ce qui le faisait rigoler pendant la réunion ? Demander des explications - sans un ton accusateur - permet bien souvent de clarifier une situation. Ce court moment pendant lequel vous vous sentez ridicule d’avoir sur-réagit reste moins néfaste que des mois à ruminer une illusion.
Heureusement, la paranoïa n’est pas toujours déplacée. Il s’agit parfois d’une réponse appropriée à un environnement toxique ou une menace réelle. En effet, les personnes paranoïaques ont aussi leur place dans l’entreprise. Leur vigilance et leur souci du détail permettent de voir les opportunités et les risques que d’autres peuvent manquer. Et ceux qui accordent une confiance aveugle à leurs interlocuteurs peuvent passer à côté de menaces potentielles. Roderick Kramer, professeur à l’Université de Stanford, a interrogé de nombreux dirigeant et découvert que huit leaders sur dix estiment avoir commis des erreurs importantes en faisant trop confiance aux autres. Il existe donc une bonne dose de paranoïa. Le bon équilibre dans la vie professionnelle consiste à la mesurer correctement en évitant de sombrer dans une pensée irrationnelle faisant plus de mal que de bien.
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Photo d’illustration by WTTJ
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