Philo Boulot : marché du travail, de quoi avons-nous vraiment besoin ?

Publié dans Philo Boulot

30 juil. 2020

auteur.e
Céline MartyExpert du Lab

Agrégée de philosophie et chercheuse en philosophie du travail

PHILO BOULOT - Pourquoi je me sens aliéné·e dans mon travail ? D’où vient cette injonction à être productif·ve ? De quels jobs avons-nous vraiment besoin ? Coincé·e·s entre notre boulot et les questions existentielles qu’il suppose, nous avons parfois l’impression de ne plus rien savoir sur rien. Détendez-vous, la professeure agrégée en philosophie Céline Marty convoque pour vous les plus grands philosophes et penseurs du travail pour non seulement identifier le problème mais aussi proposer sa solution.

Pendant le confinement on s’est déjà demandé si on était utile à la société et si on possédait un métier essentiel dont on était fier, ou pas. Facteur de crise existentielle, cette question personnelle en amène beaucoup à envisager une reconversion professionnelle. Mais cette crise sanitaire est aussi l’occasion d’adresser un questionnement à la société toute entière : quels sont les jobs dont nous avons vraiment besoin ?

Interdépendance et savoir-faire

Dans nos sociétés occidentales, on se repose sur le travail des autres pour faire son job et pour vivre : on appelle cela la division sociale du travail. Dans l’Antiquité déjà, Platon affirme dans La République que chacun possède une aptitude particulière pour réaliser une tâche. C’est une tâche pour laquelle on se spécialise, plutôt que d’essayer de faire nous-même tout ce dont nous avons besoin pour vivre. Ce système crée une interdépendance sociale entre les individus qui s’échangent leurs savoir-faire.

Mais qui définit le travail dont la société a besoin ? En 2020, a-t-on vraiment besoin de se reposer sur le livreur Deliveroo pour se nourrir ? Vous conviendrez que l’on peut tous aller chercher sa pizza soi-même voire - soyons fou - la faire à la maison. C’est plus compliqué quand il s’agit de soigner un proche atteint du Covid. En somme, cette période nous fait prendre conscience du travail des autres dont nous avons vraiment besoin et du travail superficiel que l’on consomme par confort.

Alors, c’est quoi un job essentiel ?

Quelles sont les tâches dont nous voulons pour la société de demain ? Quels sont les jobs dont on pourrait se passer ? Quels sont les boulots qui au contraire sont essentiels et où il faudrait mettre plus de personnel ? C’est ce que se demande David Graeber dans Bullshit Jobs où il analyse les emplois qui ne servent à rien et qui sont nuisibles aussi bien aux travailleurs qu’à la société. Il propose alors de choisir collectivement comment réorganiser le travail social nécessaire : c’est à nous, en tant que citoyens, de le choisir démocratiquement.

Parfois on envisage notre utopie comme un projet personnel où on part élever des chèvres dans les Pyrénées, mais peu de gens le font vraiment et ça ne permet pas de réorganiser toute la société : il nous faut plutôt des utopies collectives qui guident la réorganisation du travail.

Il faut alors se demander de quelles utopies, modèles de société nous avons envie. Parfois on envisage notre utopie comme un projet personnel où on part élever des chèvres dans les Pyrénées, mais peu de gens le font vraiment et ça ne permet pas de réorganiser toute la société : il nous faut plutôt des utopies collectives qui guident la réorganisation du travail. Le philosophe André Gorz propose de réduire au minimum le travail socialement nécessaire, en évitant la surproduction, la surconsommation, le gaspillage et les services de confort, pour donner plus d’autonomie aux individus vis à vis du marché économique et pour laisser à chacun des espaces d’autonomie en dehors du travail. Plutôt que de produire autant de marques de vêtements ou de baskets, on pourrait réorienter notre production vers nos besoins fondamentaux d’alimentation, d’énergie et de produits industriels de base pour en améliorer la qualité.

Déjà Thomas More en 1516 décrit son utopie comme une société sans propriété privée où chacun ne travaille que 6h par jour, dans des métiers « vraiment nécessaires » : chacun participe une fois dans sa vie au travail des champs pendant deux ans, pas trop longtemps pour ne pas s’user dans les travaux matériels difficiles, c’est le service agricole. Ce sont aussi les métiers d’artisan et d’industrie et les métiers nécessaires à la vie sociale, comme les magistrats. À côté du travail, ils ont le temps de suivre des cours sur les thèmes de leur choix ou de se distraire avec de la musique. Bref, dans cette société idéale, il n’y a pas que le travail dans la vie.

Et vous, quelle serait votre utopie ?

Cet article est issu du cinquième épisode de notre série qui croise philosophie et travail, Philo Boulot. Elle a été écrite et réalisée en partenariat avec la chaîne YouTube META.

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