Recrutement : 4 conseils pour ne plus vous faire ghoster par les candidats
10 avr. 2024
6min
Le phénomène du ghosting candidat, où les postulants disparaissent sans explication, perturbe et interroge les recruteurs. Néanmoins, ce comportement, souvent perçu comme désinvolte, est un brin plus complexe qu’il n’y paraît. Surtout, les conséquences financières et humaines de cette forme de « néantisation » exhortent les entreprises à revoir leur expérience candidat.
Le ghosting -cette pratique consistant à interrompre brusquement toute communication sans explication-, avant de devenir monnaie courante dans le monde professionnel, était plutôt répandu sur les sites de rencontres en ligne. Le scénario s’est doucement transposé dans le paysage du recrutement, où le recruteur avait l’ascendant : le refrain « On vous rappellera » était (est ?) encore tristement connu de nombreux candidats. Mais aujourd’hui, la balle a changé de camp : selon une enquête menée par OpinionWay pour Indeed en juin 2023, environ 57 % des chercheurs d’emploi ont déjà cessé de répondre à un recruteur. Un comportement qui ne date d’ailleurs pas d’hier. Déjà en 2019, une étude réalisée par Indeed aux États-Unis révélait que 83 % des recruteurs avaient été confrontés au ghosting.
Afin de mieux appréhender le ghosting candidat, il faut admettre son caractère protéiforme, selon Léo Bernard, formateur en recrutement et expert du Lab. « Les situations de ghosting se manifestent à différentes étapes du processus de recrutement : de l’absence de réponse aux messages lors du sourcing à la non-présentation aux entretiens, en finissant par la désertion le premier jour », énumère-t-il. En effet, l’étude américaine susmentionnée note que 50 % des candidats ont manqué les entretiens prévus, 46 % ont arrêté de répondre aux sollicitations et 22 % ont accepté une offre, mais ont manqué à l’appel le premier jour.
Les explications, comme leurs interprétations, foisonnent pour tenter de décrypter ces comportements : si certains invoquent l’affaiblissement du respect dans les interactions sociales, d’autres clament la revanche des candidats malmenés depuis des années, ou encore l’expliquent par des tensions inédites sur le marché du travail. Cette conjonction de facteurs supposés exige un peu de recul pour éviter le fameux sophisme de la cause unique, et imaginer des solutions correctives pour apaiser la scène du recrutement.
Recruteur vs candidats : récits croisés sur le ghosting ordinaire
Le recruteur ghosté : la faute aux nouveaux usages ?
Jessica Djeziri, Chief People Officer et Subject Matter Expert chez Bloomays, a connu le ghosting de candidats à plusieurs reprises. « Il y a une dizaine d’années, je me souviens avoir été ghostée par un stagiaire : il ne s’est pas présenté le premier jour. Après avoir essayé de le contacter à plusieurs reprises sans succès, j’ai compris qu’il ne viendrait pas. J’ai alors décidé de contacter son école pour exprimer mon mécontentement face à son comportement », se remémore-t-elle. Une démarche qui a finalement conduit la recrue fantôme à réagir : « Il m’a appelée très énervé, car je l’avais mis en porte-à-faux. Je lui ai alors signalé que j’aurais aimé être prévenue pour m’organiser. »
Une situation similaire s’est également produite pour un recrutement en CDI. « Sur le plan juridique, l’entreprise dispose de recours en cas de ghosting de la part d’un candidat, et inversement d’ailleurs. C’est important de rappeler que l’acceptation d’une offre est un engagement réciproque », souligne Jessica Djeziri. Selon cette directrice des ressources humaines, ces nouvelles habitudes ne sont pas étrangères à l’émergence des visioconférences : « La multiplication des entretiens distanciels, facilitée par des applications de prise de rendez-vous automatisées telles que Calendly, a amplifié ce phénomène. Bien qu’efficace sur le plan logistique, cela dépersonnalise les premiers échanges et conduit à des annulations. »
La candidate ghosteuse : des pratiques qui refroidissent ?
Delphine Moncorgé, fondatrice et dirigeante de Jao Learning, a été surprise par son propre évitement face au rappel d’un recruteur. Un comportement inhabituel qu’elle explique par un comportement inapproprié. « Il y a quelques années, j’ai rencontré un recruteur qui représentait l’entreprise qui recrutait : après un long monologue d’introduction sur son cabinet de recrutement, son attitude méprisante, teintée de misogynie, m’a profondément déconcertée. » La candidate poursuit l’entretien jusqu’au bout, se disant qu’il n’était qu’un intermédiaire.
Persuadée qu’elle ne sera pas retenue, elle se voit d’autant plus surprise par le message du recruteur deux jours plus tard qui souhaite poursuivre le processus. « En écoutant le message, cela a ravivé en moi le malaise vécu lors de l’entretien. Je n’ai pas pu le rappeler », avoue-t-elle. Après une seconde relance, Delphine Moncorgé évince de nouveau l’appel : « Je n’avais jamais fait cela de ma vie, mais j’étais incapable de lui parler et de faire fi de l’entretien pour aller plus loin malgré un poste intéressant. » L’enseignement ? Tous les maillons de la chaîne du recrutement comptent : une mauvaise communication, un comportement inadéquat ou une remarque malvenue, même d’un tiers externe à l’entreprise, peut coûter cher !
4 approches pour sonner le glas du ghosting candidat
Le prérequis pour lutter contre le fléau du ghosting est un changement de perspective sur le phénomène. En gros, il faut en finir avec la légende urbaine du « candidat ghosteur qui se vengerait sur les méchants recruteurs ». On l’oublie, mais un ghosting est très souvent involontaire, à en croire Léo Bernard : « Il n’est pas rare que les e-mails de convocation n’arrivent pas, que la personne ne lise pas ses e-mails ou que ces derniers atterrissent dans les spams… Bref, les quiproquos technologiques sont souvent la cause initiale de ces situations, et non des comportements malveillants. » Autre point important : la longueur du processus de recrutement qui est un facteur important d’abandon. Rappelons que 2 candidats sur 3 pensent que les processus s’étalent trop dans le temps « Il faut prêter attention à la durée globale, notamment dans les secteurs en tension car les délais de disponibilité des talents sur le marché sont en moyenne de trois semaines. Le rythme entre les étapes compte aussi beaucoup : l’enjeu est de maintenir le lien entre les entretiens, avec un ATS ou des messages plus personnalisés quand c’est possible », souligne Léo Bernard.
Côté solutions, plusieurs actions sont proposées par notre expert en se référant aux différents moments charnières :
1. Le sourcing : relancer, c’est gagner
« Les recruteurs doivent oser relancer les candidats, surtout dans les secteurs en tension où les sollicitations sont nombreuses », insiste Léo Bernard. En effet, une étude interne HireSweet démontre qu’avec trois relances, les retours clients passent de 14 % (avec un seul message) à 27 %. Si les messages personnalisés ne sont pas toujours possibles, faute de temps, les relances automatiques fonctionnent bien, mais à une condition : « *Il faut sortir du lot avec un éditorial qui marque et engage le candidat : le ton, le contenu ou encore la forme jouent beaucoup. » L’autre pilier indispensable consiste à éviter les malentendus technologiques : « Il est essentiel de s’assurer que les messages sont effectivement reçus. Ma recommandation : utilisez des outils pour “roder” l’envoi des emails ou faites des tests avec des amis ou collègues pour vous assurer qu’ils ne sont pas spammés.* »
2. L’avant entretien : l’art de maintenir le rythme
À l’instar de la phase précédente, les mots d’ordre sont la relance et la vigilance : « C’est basique mais important : assurez-vous que les candidats ont bien reçu leur invitation à l’entretien. Certaines entreprises ajoutent même un bouton pour qu’ils confirment leur présence. » Planifier des rappels automatiques avant l’entretien est également nécessaire : « Il peut être intéressant de les scénariser comme un compte à rebours : envoi à J-10, J-5, J-2… Dans chaque message, ajoutez de l’information sur l’entretien, l’entreprise, l’équipe afin de maintenir le niveau d’engagement. En ce sens, l’envoi d’un kit candidat est une excellente pratique », explique Léo Bernard. Ensuite, le choix du canal de communication et de la modalité d’entretien est également déterminant : « Certains sont plus à l’aise avec les e-mails, WhatsApp ou les SMS… Voyez avec chaque personne. Idem pour l’entretien : demandez quel médium lui convient le mieux, cela favorise le confort et le taux de participation. »
3. Le pré-boarding : une arrivée aux petits oignons
L’enjeu de cette phase est de maintenir un contact régulier avec les candidats entre la signature de l’offre et leur arrivée. Et ça peut se prolonger sur quelques mois. Afin de minimiser les désistements extemporanés, Léo Bernard préconise la désignation d’un référent -manager, RH ou pair- pour entretenir le relationnel. En outre, des immersions dans la vie de l’entreprise sont des moyens de créer un sentiment d’appartenance. « Invitez les futurs salariés aux événements internes, tels que les séminaires ou les déjeuners d’équipe », propose notre expert. Il faut éviter l’effet « lost in translation » en fournissant aux futurs employés des informations sur l’entreprise, sa culture et son fonctionnement pour susciter l’intérêt : « Pourquoi ne pas envoyer un kit de bienvenue en amont chez la personne, afin de lui faire découvrir la culture d’entreprise ? » Autres options : l’envoi d’un culture book, un document résumant la vie et la culture employeur, ou encore l’accès à des canaux de communication internes, comme Slack pour échanger avec les membres de l’équipe, par exemple.
4. Le premier jour : donner l’envie d’avoir envie
N’oublions pas que les premiers jours sont un grand saut vers l’inconnu, souvent épuisants pour les nouveaux entrants. Pour y remédier, l’incontournable planning détaillé de la première semaine, a minima, est à envoyer quelques jours avant « sa rentrée ». Léo Bernard propose aussi d’alléger l’atterrissage et la digestion de toutes les nouvelles informations grâce à une organisation aménagée : « La première semaine peut être allégée : par exemple, un premier jour finissant plus tôt, suivi de deux jours d’immersion ou encore une semaine de 4 jours. » Tout un programme !
Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo Thomas Decamps.
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