Les chiffres doivent-ils guider toutes nos décisions ?
23 mai 2018
6min
« Mon premier principe est de ne pas craindre de faire des erreurs. Mon second est de les corriger dès qu’elles apparaissent. » Deng Xiaoping, ancien Président chinois.
Le monde de l’entreprise conduit chacun d’entre nous à prendre des décisions. Du choix du dessert à la cantine à la stratégie globale d’un projet, ce sont bien souvent des chiffres - ceux qui s’affichent sur notre balance le matin ou dans notre tableau Excel l’après-midi - qui guident nos choix. La quantité d’information disponible croît de jour en jour, alors comment prendre des décisions efficaces ? Dans quelle mesure faut-il se reposer sur les chiffres ?
L’humain, un être irrationnel
L’humain n’est pas impartial. Et même en cherchant à l’être, il est souvent leurré par son propre cerveau. Une étude de l’Université Ben Gourian du Neguev en Israëls’est intéressée à la prise de décision de 8 juges, au cours de 1112 audiences pendant lesquelles ceux-ci devaient décider de la libération conditionnelle de prisonniers. Si ces juges étaient persuadés de faire leur travail en toute impartialité, les résultats ont démontré le contraire. Les chercheurs ont observé que leur disponibilité cognitive conditionnait en partie leur prise de décision : les prisonniers avaient statistiquement moins de chance d’être libérés en fin de journée ou juste avant la pause déjeuner. À ces moment-là, la fatigue et la répétitivité de la tâche conduisaient les juges à prendre la décision la plus “simple”, à savoir le maintien en détention. Pas de dodo = retour au cachot.
Des dizaines de facteurs et surtout de biais cognitifs - des mécanismes de pensée qui nous “pré-mâchent” le travail - faussent notre jugement. Dans le monde du travail, ces raccourcis inconscients peuvent nous conduire à prendre de mauvaises décisions. Voici quelques biais les plus couramment rencontrés par les managers au quotidien :
- Le biais du gourou : lorsqu’on fait aveuglément confiance à un expert. C’est le cas de managers qui suivent, sans remettre en doute, les préconisations de cabinets de conseil sur un sujet précis.
- Le biais de confirmation : notre cerveau nous pousse à voir uniquement les éléments qui confirment notre idée première. C’est ainsi qu’un manager peut s’acharner dans une mauvaise décision en voyant uniquement les petits indices qui le pousse à penser qu’il a eu une bonne idée… et en occultant la masse gigantesque d’éléments qui lui prouvent le contraire.
- Le biais d’ancrage mental : il consiste à prendre pour référence la première information dont nous disposons sur un sujet, et de s’y tenir même si les informations suivantes contredisent la première. C’est ainsi qu’un collaborateur qui aura fait une mauvaise première impression aura des difficultés à remonter dans l’estime de ses responsables.
- Le biais de faux consensus : il conduit à présupposer que tout le monde sera d’accord avec vous. En entreprise, c’est souvent ce qui allonge la mise en place de nouveaux process : un décisionnaire fait un choix pour le collectif, sans penser aux avis divergents ou aux spécificités de ses collaborateurs.
- Le biais de statu quo : il incite à préférer la situation existante, par facilité, plutôt que de chercher une solution alternative. C’est le biais classique de la résistance au changement, et des managers ou collaborateurs qui commencent toutes leurs phrases par “oui, mais…”.
Des chiffres pour prendre des décisions éclairées ?
Des éléments tangibles et rassurants
C’est pourquoi les chiffres sont un bon moyen de contrer, au maximum, les biais auxquels nous sommes confrontés malgré nous. Les matrices de décision sont nées de la théorie des jeux des années 1940. Concrètement, ce sont des tableaux dans lesquelles apparaissent des critères, pondérés selon leur importance, afin de faire des choix complexes sur des critères objectifs. Des modèles mathématiques les plus complexes aux simples tableaux à deux entrées, l’objectif est de rationaliser l’information disponible pour conduire à la meilleure décision possible. Les avantages ? Ces méthodes permettent d’éclairer les environnements complexes et quantifiables tout en suivant en temps réel l’évolution d’une situation. Ce sont des éléments rassurants pour le décisionnaire final et pour les équipes.
Il reste toujours une part d’imprévisible et d’humain
Cependant, Bruno Jarrosson - auteur et consultant en stratégie - explique que toutes ces méthodes qui permettent de s’appuyer sur les chiffres pour prendre des décisions s’appuient sur le principe qu’il existe une seule échelle de valeur unique pour chiffrer et comparer des données. Et si des éléments financiers ou techniques sont possibles à quantifier, ce n’est pas le cas du facteur humain. De plus, le décideur dispose rarement de l’intégralité de l’information nécessaire pour prendre une décision réellement éclairée. N’est-ce pas l’erreur du célèbre “Professeur” dans la série à succès La Casa de Papel ? Penser qu’un braquage peut s’orchestrer selon un ensemble de faits et de schémas prévisibles… en oubliant l’imprévisible facteur humain ?
Quid de l’intuition en entreprise ?
De grandes choses peuvent venir d’une petite intuition…
L’intuition est le croisement entre une perception et une expérience. Internet regorge de success-stories de ces entrepreneurs qui ont su déceler une tendance que personne, ni les experts ni les chiffres, n’avait vu venir. Autant d’entrepreneurs qui ont su lire les tendances mieux que les autres et appliquer une stratégie extrêmement rationnelle qui les a conduit au succès. Steve Jobs était l’un d’entre eux. Bien connu pour anticiper lui-même les besoins de ses clients et ne pas suivre les prévisions de ses analystes. Une compétence qu’il a travaillée lors de voyages introspectifs en Inde dans les années 70.
L’intuition est au coeur de la plupart de nos décisions
Une étude de référence de Harvard publiée au milieu des années 90 a interrogé 13.000 cadres supérieurs considérés par leurs pairs comme étant des personnes “à succès”. Cette étude révèle que 80% d’entre eux attribuent leur réussite à leur intuition… mais seulement la moitié serait prête à l’assumer ouvertement. Vingt ans plus tard, le tabou autour de l’intuition est toujours d’actualité en entreprise. Difficile pour un manager de justifier que le fondement de la stratégie qu’il présente à son COMEX repose sur le sentiment profond qu’il a de la pertinence de son choix. Alors, le manager cherche des études, fait des reportings, analyse des “grandes tendances” qui lui permettront d’appuyer sa vision.
Et pourtant, un manager ne peut pas se réduire à une “machine à rationalité”. Au-delà de faire des choix stratégiques pour son projet ou son équipe, il gère avant tout des Hommes. Il semble nécessaire d’écouter son instinct et de capter des informations de façon “non-rationnelle” pour faire des choix structurants. On le note particulièrement dans des situations de recrutement, car c’est là que l’on entendra le plus facilement cette notion de ressenti s’exprimer par des « Il a un CV parfait… mais je ne le sens pas » ou un simple « Je n’accroche pas. » Jonah Lehrer, auteur américain, explique d’ailleurs, dans son livre _How we decide, _qu’en termes de décisions liées à l’humain ou à la morale, les sentiments et l’intuition sont les premiers éléments qui guident nos décisions. Puis la rationalité nous aide à construire une argumentation logique pour confirmer notre sentiment initial.
Ne pas confondre intuition et motivation personnelle
Attention cependant à prendre du recul afin de ne pas confondre une intuition avec une envie ou un désir d’atteindre un objectif. C’est au manager de garder un état d’esprit neutre ou, à défaut, d’être conscient de l’importance de sa perception personnelle dans sa prise de décision. La clé ? Le doute. Car le doute reste une composante saine du processus de choix. Il est nécessaire de l’écouter et de savoir y répondre, plutôt que de chercher à l’écarter à tout prix.
Comment prendre une bonne décision ?
En entreprise, il est difficile de trouver l’équilibre entre le succès immédiat et les stratégies à long terme. Ces dernières demandent bien souvent des sacrifices et des efforts à court terme, pour un résultat incertain. Des conseils de bon sens vous permettront de prendre la “moins mauvaise décision” :
Observez les chiffres
Car malgré leurs limites, ils permettent de limiter au maximum les erreurs de jugement liées à nos biais cognitifs. Des milliers d’études et d’experts font part de leurs recherches sur Internet, il est de plus en plus facile d’accéder à des données poussées sur n’importe quel sujet. Des milliers de données sont souvent disponibles au sein de votre propre entreprise pour avoir des informations contextualisées et relatifs à votre secteur. Pour autant, n’oubliez pas d’écouter votre instinct.
Faites vous conseiller (sans vous laisser influencer)
Les experts d’un sujet ont souvent de bonnes idées (c’est leur métier), mais sachez exercer votre esprit critique. Pour cela, interrogez des pairs qui ont rencontré la même problématique… mais aussi des personnes extérieures. Ce sont souvent elles qui vous apporteront un angle insoupçonné et vous aideront à avoir une approche nouvelle dans votre processus de décision.
Prenez le temps et le recul nécessaires
Les décisions prises dans l’urgence sont rarement les meilleures. Une bonne technique consiste à vous projeter dans le futur : si je prends cette décision, que pourrait-il se passer dans 10 jours, 10 semaines, 10 mois ?
Recherchez l’objectivité
Formalisez, par écrit, tous les arguments qui pèsent dans votre décision. Une fois celle-ci prise, faites vous l’avocat du diable : cherchez tous les arguments qui pourraient être levés contre votre idée, pour vous préparer aux détracteurs, savoir leur répondre et éventuellement changer d’avis.
Dans tous les cas, la décision parfaite n’existe pas et rare sont les solutions qui peuvent satisfaire à la fois votre équipe, votre responsable, votre entreprise, vos clients, vos fournisseurs, etc. La “bonne décision” est donc le meilleur compromis entre vos valeurs, votre ressenti et les intérêts de toutes ces personnes. Les chiffres sont avant tout un moyen d’éclairer votre prise de décision et gagner en objectivité, même s’il reste imparfait. Mais surtout, la bonne décision est souvent celle que vous parvenez à expliquer et justifier auprès de vos collaborateurs.
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