Notre entreprise peut-elle nous rétrograder ?

08 juin 2020

5min

Notre entreprise peut-elle nous rétrograder ?
auteur.e
Gabrielle de Loynes

Rédacteur & Photographe

L’entreprise, c’est comme un jeu vidéo. On surmonte des épreuves, on valide des étapes, et si on a bien travaillé, on passe au niveau supérieur. Mais au travail, quand on fait une erreur, on peut parfois même retourner au niveau précédent. Cela s’appelle : la rétrogradation. Poste moins prestigieux, responsabilités diminuées et rémunération moins séduisante, celle-ci est souvent lourde de conséquences. Majoritairement subie, il lui arrive toutefois d’être plébiscitée lorsque le salarié ressent le besoin de ralentir la cadence. Alors est-on obligés d’accepter une rétrogradation ? Quels sont les motifs qui autorisent mon employeur à me l’imposer ? Quel est l’impact sur le salaire ? La crise économique peut-elle justifier une telle décision ?

Rétrograder, c’est sanctionner

« Si nous ne voulons pas rétrograder, il faut courir » Pélage, moine.

Une sanction disciplinaire

En droit, la rétrogradation est considérée comme une sanction disciplinaire. Elle est souvent lourde de conséquences pour celui qui la subit. Elle se traduit notamment par un changement d’emploi, un déclassement hiérarchique, la réduction effective de vos responsabilités et des fonctions qui vous avaient été confiées.

Concrètement, il y a rétrogradation lorsque votre employeur décide de vous affecter sur un poste de moindre qualification suite à un comportement fautif de votre part tel que :

  • le non-respect des règles de discipline fixées par le règlement intérieur ou par note de service ;
  • le refus de se conformer à un ordre de l’employeur ;
  • le non-respect de l’obligation de discrétion et de loyauté ;
  • les critiques, les injures, les menaces, les violences envers ses collègues ou ses supérieurs ;
  • les erreurs ou les négligences commises dans le travail.

Très pénalisante, la rétrogradation doit être très sérieusement justifiée. Si elle peut entraîner indirectement une baisse de rémunération, elle ne doit pas volontairement constituer une sanction pécuniaire, interdite par la loi : la baisse de rémunération est une conséquence de la rétrogradation mais cela ne doit en aucun cas constituer le motif de la démarche.

Disciplinaire, mais non pécuniaire

La loi interdit les sanctions pécuniaires. C’est-à-dire que l’employeur ne peut pas diminuer votre rémunération si vous avez normalement fourni votre prestation de travail, même si elle ne correspond pas à ses attentes. La suppression d’une part de votre salaire, d’une prime ou d’un avantage en nature est tout simplement illégale. Si votre employeur enfreint cette règle, il encourt une amende de 3 750 €.
La rétrogradation ne doit donc pas être assimilée à une sanction pécuniaire. C’est ce qu’impose fermement la Cour de cassation : « une rétrogradation consistant en un changement de qualification avec une simple baisse de salaire sans changement de fonction ou de responsabilités est considérée comme une sanction pécuniaire, et est donc interdite » (Cour de cassation, chambre sociale, 23 février 1994, pourvoi n° 90-45001).

En bref, la diminution de votre salaire n’est possible que si elle est une conséquence résultant de votre affectation à un poste moins important. De fait, vous êtes moins bien rémunéré, mais ce ne doit pas être l’objectif même de la rétrogradation.

Rétrogradé, comment ça se passe ?

La procédure de rétrogradation doit obligatoirement figurer au règlement intérieur de votre entreprise si elle compte au moins 20 salariés. À défaut, votre employeur pourra voir la sanction prononcée totalement annulée.

Comme la rétrogradation est une sanction disciplinaire, la procédure pour la prononcer est naturellement la procédure disciplinaire :

  • Votre employeur devra donc vous convoquer à un entretien préalable par lettre recommandée avec accusé de réception (ou lettre remise en main propre contre décharge écrite). Cette lettre doit préciser l’objet de l’entretien et vous informer de votre droit de vous faire assister lors de cet entretien.
  • Au cours de celui-ci, votre employeur vous expliquera les faits qui vous sont reprochés et la décision qu’il envisage de prendre. À défaut de vous fournir ces informations, aucune sanction ne pourra être prononcée.
  • Suite à cet entretien (dans un délai de 2 jours à un mois après), sa décision vous sera notifiée dans les mêmes formes : courrier recommandé ou en main propre contre décharge.
  • La rétrogradation devient pleinement effective à compter de la signature de l’avenant à votre contrat de travail.

Rétrogradé pour la survie de l’entreprise

Une nouvelle forme de rétrogradation a progressivement émergé. Celle qui consiste à rétrograder pour « motif économique ». Lorsque votre entreprise se trouve en difficulté, votre employeur peut envisager une restructuration de l’entreprise. Cette restructuration aura pour conséquence de diminuer les équipes et donc supprimer des étages dans la hiérarchie. Votre poste pourrait être amené à changer.

Si tel est le cas, la loi impose à votre employeur de vous faire une proposition de rétrogradation par lettre recommandée avec accusé de réception. Vous disposez alors d’un mois pour faire connaître votre décision. À défaut de réponse dans ce délai, votre contrat de travail modifié est réputé accepté.

Faire face à la rétrogradation

La rétrogradation entraîne un véritable changement de vos missions, de vos conditions de travail, de votre rémunération et donc de votre contrat de travail. Un changement que vous êtes en droit de refuser.

Rétrogradé : vous pouvez refuser !

Que se passe-t-il si, malgré votre brillante argumentation en entretien, votre employeur décide néanmoins de vous rétrograder ? Si cette rétrogradation entraîne une modification de votre contrat de travail, sachez que vous avez tout à fait le droit de la refuser ! Après tout, les termes du contrat et vos responsabilités changent, vous avez donc le droit de ne pas être d’accord. Votre employeur est d’ailleurs tenu de vous informer de cette capacité dans sa lettre vous notifiant sa décision de rétrogradation. Vous serez alors placé face à un choix difficile :

  • accepter la rétrogradation en considérant qu’elle vous place dans une situation difficile mais justifiée au regard de votre comportement ou des menaces qui pèsent sur l’entreprise,
  • refuser la rétrogradation mais vous exposer, potentiellement, à un risque plus grand… Dans le meilleur des cas, votre employeur pourra revenir sur sa décision. Mais généralement, un refus l’incitera à prendre une autre mesure, plus lourde encore : le licenciement pour faute grave.

Enfin, sachez que si vous refusez et que votre employeur n’en tient pas compte, vous rétrogradant de fait, vous pouvez engager une procédure prud’homale.

Demander à être rétrogradé, ça se fait

Il arrive parfois, dans de rares cas, que la rétrogradation soit volontaire. Vous avez été promu « cadre » mais ne souhaitez plus bénéficier de ce statut que vous trouvez finalement moins avantageux ? Vous avez accepté une promotion et subissez de plein fouet le stress lié à vos nouvelles responsabilités ? Ou tout simplement vous êtes un membre de la génération Y et ce qui prime pour vous c’est un juste équilibre entre vie pro et perso (oui, on fait dans le cliché). Toutes ces situations peuvent justifier que vous sollicitiez de votre employeur une rétrogradation.

Dans cette hypothèse, il s’agit ni plus ni moins d’une modification de votre contrat de travail dans le sens d’un retour vers le passé. Vous n’avez qu’à reprendre avec votre employeur les termes de votre ancien contrat de travail et le tour est joué ! Ce phénomène prend de l’ampleur ! Dans certaines entreprises, il est même possible de négocier, dans le cadre d’une promotion, un « droit de retour » permettant de rétrograder si bon nous semble.

Gérer la situation et ses émotions

Accepter une rétrogradation ne se fait pas sans douleur. Il va falloir l’assumer. L’annoncer à vos collègues, à votre maman, à vos amis, à votre banquier et à votre réseau LinkedIn… Ce n’est pas vraiment chose facile et votre égo va sans doute en prendre un coup.
Thierry Chavel auteur de Coaching de soi, manuel de sagesse professionnelle, paru chez Eyrolles a identifié les différentes phases que l’on traverse en cas de rétrogradation :

  • La phase du “rideau qui se déchire”, celle où des signes avant-coureurs sont présents mais qu’on ne perçoit pas forcément, jusqu’à l’annonce brutale de la décision de rétrogradation…
  • La phase de digestion, c’est cette étape nécessaire où l’on doit travailler sur soi pour sortir du rôle de victime que l’on s’est attribué pour faire passer la pilule de la rétrogradation.
  • La phase ultime de l’acceptation, celle où l’on apprend à accepter son sort, à accepter que l’échec fait grandir et que l’on peut toujours rebondir et progresser.

À l’époque de la slowlife, il faut parfois savoir lever le pied et tirer parti de tous les évènements qui se présentent dans notre vie pour ralentir… Rétrograder, c’est peut-être le moment idéal pour faire le point sur ses envies, ses ambitions, sa vie professionnelle et ses aspirations profondes.

« Rien ne sert de courir, il faut partir à point », Jean de La Fontaine.

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