Rupture conventionnelle : comment quitter sa boîte par la voie royale ?
01 juin 2020
7min
Rédacteur & Photographe
En 10 ans, le nombre de ruptures conventionnelles a explosé. C’est le constat de l’étude menée par le Ministère du Travail en 2019 sur ce mode de rupture à l’amiable du contrat de travail. Apparue en 2008, elle nous est déjà si familière qu’on la surnomme amicalement la « rupture co’ ». Plus avantageuse que la démission pour l’employé et plus souple que le licenciement pour l’employeur, elle présente bien des avantages. Cette fameuse porte de sortie que prennent très largement les employés de 30 à 39 ans est victime de son succès. Si vous souhaitez quitter votre entreprise tout en gardant un minimum de sécurité, elle pourrait bien vous intéresser…
La « rupture co’ » : ça veut dire quoi ?
La rupture conventionnelle s’adresse aux deux parties d’un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) : l’employeur et le salarié. Elle ne concerne pas les autres types de contrats (CDD, stage, alternance…) Le principe ? Vous et votre employeur prenez la décision de rompre d’un commun accord. C’est l’équivalent, dans les relations amoureuses, de la rupture “entre adultes”, qui ne fait pas trop de ravages… Elle est prévue par l’article L.1237-11 du Code du travail, selon lequel « l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie ». C’est, finalement, le mode de rupture le moins douloureux qui soit. À l’inverse du licenciement ou de la démission, elle n’est pas imposée par l’une ou l’autre des parties, mais choisie ensemble.
Finalement, l’existence d’un différend avec votre employeur sur tel ou tel point de votre relation de travail importe peu. Ce qui compte, c’est que vous, l’un comme l’autre, soyez consentant à la rupture, dans les mêmes termes. Elle est dépourvue de motif et n’a pas à être justifiée.
La rupture conventionnelle : ça passe ou ça casse…
Souvent associée dans l’imaginaire collectif à « la voie royale pour quitter son job », la rupture conventionnelle peut être délicate à demander pour le salarié et difficile à obtenir.
Qui peut la demander ?
Qu’elle soit de votre initiative, celle de votre employeur ou née d’une intention commune, peu importe. La question posée ici n’est pas « qui en prend l’initiative ? », mais « consentez-vous tous deux à une rupture conventionnelle ? »
Dans quelles conditions ?
Pour être valable, la rupture conventionnelle doit suivre une procédure bien précise. La négliger, c’est prendre le risque de la réduire à néant, alors prenez garde !
Réfléchir à la rupture : préparer sa demande
Il n’y a pas de formalisme obligatoire pour demander une rupture conventionnelle. Le plus judicieux est de solliciter votre employeur pourlui parler en privé, de vive voix ou par lettre recommandée. Une rencontre au cours de laquelle vous l’informerez de votre souhait de quitter l’entreprise par la voie de la rupture conventionnelle. L’idée n’est pas d’entrer d’emblée dans une négociation sur votre date de départ et sur le montant de vos indemnités, mais plutôt de lui présenter les avantages qu’il a à accepter votre demande (se séparer d’un salarié qui n’est plus motivé, terminer la relation en bons termes, s’éviter une procédure judiciaire)…
Réfléchissez bien aux raisons qui vous motivent à demander une telle rupture. Votre employeur vous posera sûrement la question, mieux vaut être préparé. Perte de motivation dans votre travail, diminution de l’intérêt que vous portez à votre activité, projet de réorientation professionnelle, relations humaines dégradées dans l’entreprise, quête de sens… Dites-vous que tout est valable dès lors que votre argumentaire est bien présenté et cohérent. L’important, c’est d’insister sur l’intérêt commun de cette rupture : dans de bonnes conditions, sans conflit et sans histoire pour tout le monde.
Aborder la rupture : “l’entretien”, une étape importante
La loi est stricte et l’oubli de cette étape entraînerait inévitablement la nullité de la rupture conventionnelle. “L’entretien” a pour but de discuter des conditions de la rupture du contrat de travail qui seront ensuite fixées dans une convention (date de votre départ, indemnités, congés payés).
Ce qui importe, c’est que cette discussion ait lieu. En l’absence du formalisme prévu par la loi, plusieurs cours d’appel ont admis que cet entretien pouvait être réalisé parvisioconférence. Ainsi, juridiquement, il n’existe aucune restriction quant à la signature d’une rupture conventionnelle durant la période de pandémie actuelle.
Sachez que vous pouvez vous faire assister au cours de cet entretien :
- Par une personne de votre choix appartenant au personnel de l’entreprise (salarié mandaté par un syndicat, salarié appartenant à une institution représentative du personnel, ou tout autre salarié).
- Par un conseiller du salarié choisi sur une liste officielle rattachée à votre commune (par exemple à Paris : ici). Profitez-en, ce service est gratuit !
Si vous choisissez de vous faire assister, vous devez en informer votre employeur. Lui aussi pourra se faire assister par une personne appartenant au personnel de l’entreprise, ou issue de son organisation syndicale d’employeurs, ou encore par un autre employeur relevant de la même branche.
NB : aucune des parties ne peut faire appel à l’assistance d’une personne qui ne relève pas de cette liste, notamment un avocat.
Fixer les termes de la rupture : la convention
La convention est un morceau composé à quatre mains, les vôtres et celles de votre employeur. Elle définit les conditions de la rupture du contrat de travail qui vous lie. Ces conditions auront été discutées en entretien.
Elle doit impérativement fixer :
- La date de la rupture du contrat : au plus tôt le lendemain du jour de l’homologation de la convention par l’autorité administrative (car oui, elle doit être homologuée, mais on y reviendra…)
- Le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui vous sera versée.
Une fois signée par les deux parties, vous devrez repartir chacun avec un exemplaire de la convention. À défaut, elle sera déclarée nulle, c’est à dire sans aucune valeur juridique. L’exemplaire doit vous être remis par votre employeur en main propre.
NB : Sauf décision commune, votre contrat de travail continue à s’exécuter normalement durant toute cette procédure et jusqu’à la date fixée à la convention pour sa rupture.
Changer d’avis : la rétractation
Vous regrettez déjà les blagues de votre collègue Marcel, le café débrief du lundi matin avec Simone de la compta et les happy hours endiablés du friday night ? Vous avez agi de manière hâtive et vous avez le sentiment de n’avoir pas mesuré la portée de votre décision ?
Pas de panique, votre acte n’est pas irrévocable car vous avez un droit de rétractation. À compter de la signature de la convention, vous et votre employeur disposez de 15 jours (week-end compris) pour vous rétracter.
Comment ? Simplement en adressant à votre employeur une lettre manifestant votre intention de vous rétracter. La loi ne vous oblige pas à expliquer les raisons qui vous poussent à le faire. Mais en réalité, si vous souhaitez reprendre votre job dans de bonnes conditions, il est préférable de justifier votre décision…
NB : afin de prouver que la date de réception de cette lettre est comprise dans le délai légal de 15 jours à compter du lendemain de la signature de la convention, il est recommandé de l’adresser par lettre recommandée avec accusé de réception. On n’est jamais trop prudent !
C’est officiel : l’homologation
Pour faire foi, votre convention devra encore être homologuée. Passé le délai de rétractation, vous ou votre employeur devez adresser une demande d’homologation, accompagnée d’un exemplaire de la convention de rupture, à l’autorité administrative concernée : la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). Le plus simple est de le faire en ligne sur le site TéléRC. Cette autorité dispose alors de 15 jours pour vérifier la convention et le consentement des deux parties à la rupture. À défaut de réponse négative dans ce délai, la convention est réputée homologuée.
NB : Si par malheur vous recevez un avis négatif, vous pouvez toujours le contester devant le Conseil de prud’hommes dans les 12 mois qui suivent ce refus.
Un départ sans préavis
La rupture conventionnelle ne prévoit aucun préavis. Celui-ci est réservé aux ruptures de contrats imposées par l’une des parties (démission ou licenciement), afin de permettre à l’autre partie de s’organiser en conséquence. Votre départ est tout simplement fixé au jour de la « date de fin de contrat » que vous avez convenu avec votre employeur.
Avant de franchir le seuil de votre entreprise, assurez-vous tout de même de partir avec les documents nécessaires : certificat de travail, attestation Pôle emploi, solde de tout compte, récapitulatif des sommes épargnées dans le cadre de l’épargne salariale). Cela peut être utile !
Qu’est-ce que je risque ?
La rupture conventionnelle, c’est formidable quand ça marche et que chaque partie y trouve son compte. Mais, sous ses airs idylliques, elle peut cacher un obstacle (le refus) ou une situation qui vous serait pas favorable (le licenciement).
- Un refus
La première menace, c’est l’éventualité d’un refus de votre employeur. Dans ce cas, vous devrez faire face à un choix délicat : la démission (sans droit au chômage), l’abandon de poste, ou rester contre vents et marées et s’exposer à un licenciement. Ces alternatives sont assurément moins « confortables » que la rupture conventionnelle mais elles ont l’avantage de vous aider à sortir d’une impasse.
Un autre refus peut vous être opposé, celui de l’administration. En pratique, 6,2% des demandes d’homologation ne sont pas validées. Rassurez-vous, généralement il s’agit d’un refus pour cause de dossier incomplet ou de non-respect des conditions légales. Si vous êtes attentif à la procédure, cela ne devrait pas vous concerner !
- Un licenciement déguisé
Certes, la rupture conventionnelle présente des avantages, mais il faut tout de même rester vigilant avant de l’accepter tout de go, surtout si la demande vient de votre employeur. Elle ne doit pas être une parade pour vous licencier. S’il existe un véritable désaccord sur votre contrat de travail et que vous sentez le vent managérial vous pousser vers la sortie, rien ne vous oblige à accepter un mode de rupture amiable de votre contrat de travail. Vous avez parfaitement le droit de vous y opposer et le contraindre à un licenciement.
Lorsque une entreprise rencontre des difficultés économiques, elle peut être tentée de se séparer de ses employés via rupture conventionnelle afin d’éviter les licenciements pour motif économique qui lui coûteraient bien plus cher. Dans cette hypothèse, accepter une rupture conventionnelle vous priverait de certains avantages en comparaison au licenciement économique : congé de reclassement, bilan de compétence, indemnité de reclassement…
Ne tombez pas dans la paranoïa, mais soyez alerte et observez le contexte de votre entreprise avant d’accepter les yeux fermés la proposition de votre employeur.
J’ai obtenu une « rupture co’ » … et ensuite ?
Banco, vous avez obtenu une « rupture co’ » ! Et maintenant ? La bonne nouvelle c’est que vous ne sautez pas dans l’inconnu sans parachute. Voilà l’atout infaillible de la rupture conventionnelle par rapport à la démission.
En plus de percevoir les allocations chômage, qui vous seront très précieuses pour rebondir professionnellement, vous pouvez bénéficier d’une indemnité spécifique de rupture conventionnelle. Son montant varie en fonction de votre salaire brut, de votre ancienneté et ne peut être inférieur à celui de l’indemnité de licenciement. Par exemple, en 2019, la moitié des employés ayant obtenu une rupture conventionnelle, avec une ancienneté comprise entre 3 et 10 ans, a perçu une indemnité moyenne de 2 220. Enfin, sachez que vous pouvez recevoir une indemnité de congés payés si vous ne les avez pas tous posés avant la date de rupture de votre contrat de travail.
Il faut bien reconnaître que la rupture conventionnelle offre certains avantages. Mais la raison de son succès réside surtout dans sa flexibilité et la simplicité de sa mise en œuvre. Si elle repose sur votre consentement libre et éclairé et qu’il n’existe pas de situation plus favorable, tous les feux sont au vert : go pour la rupture co’ !
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