Espionnage des salariés sur Slack : paranoïa générale ou réalité flippante ?

06 oct. 2022

5min

Espionnage des salariés sur Slack : paranoïa générale ou réalité flippante ?
auteur.e
Gabrielle de Loynes

Rédacteur & Photographe

contributeur.e

Vous avez bien rigolé, en canal privé avec Louison votre collègue préférée ou sur une chaîne publique en équipe, parce que vous vous sentiez en petit comité. Persiflage sur le patron, confidences intimes, projets perso et critiques en tout genre, chacun y va de son petit mot sur Slack, la messagerie professionnelle où l’on se sent à l’aise comme à la machine à café. Mais rira bien qui rira le dernier. Car ici, votre employeur c’est un peu Big Brother. Le remake de Caméra Café à l’insu des salariés. Il voit et sait tout… Mais justement a-t-il vraiment le droit de tout regarder ?

Couleurs pops, design intuitif, ambiance conviviale, échanges fun et décontractés, la messagerie Slack a la cote au travail. Pourtant, méfiez-vous, ici comme au bureau, les murs ont des oreilles. Sous ses airs sympathiques, Slack enregistre tous vos messages privés et publics. Perçue comme un outil de communication friendly par un grand nombre de salariés, la messagerie professionnelle attire aussi la sympathie des patrons. Rapport de connexion et d’activité, enregistrements des messages publics et privés, export de données, recherche par nom de salarié et infos confidentielles… Slack, c’est comme un mouchard glissé dans votre ordinateur de bureau qui cafte tout au patron.

Alors, comment se comporte mon entreprise sur Slack ? Suis-je espionné sur Slack ? Peut-on utiliser ces données contre moi ? Est-ce autorisé par la loi ? Et surtout, comment se prémunir des mésusages de Slack ?

Mon entreprise m’espionne-t-elle sur Slack ?

Vous pensez que le top management ou le service RH vous observe ? Sachez qu’il existe un moyen facile de le vérifier. Il vous suffit d’entrer dans votre navigateur Internet l’URL suivante : https://NomDeLEquipe.slack.com/account/team ou https://NomDeLEquipe.slack.com/stats. Le nom de votre équipe, c’est un peu le « sésame » qui vous ouvre la boîte de Pandore du Slack d’entreprise. Avec cette URL, vous allez accéder aux statistiques d’utilisation de Slack au sein de votre entreprise. Quelles sont les chaînes de discussion les plus populaires ? Quel pourcentage de messages sont envoyés en privé ? Et quel forfait Slack mon employeur a-t-il souscrit ? Des informations que vous fournira également la page « paramètres de l’espace de travail » qui autorise ses membres à connaître le forfait souscrit par l’entreprise, les politiques de conservation des messages et les options d’exportation des données.

Autant d’indices qui vous aideront à prendre la température de la confiance qui règne sur le Slack de votre entreprise. Selon le forfait choisi, votre employeur y sera plus ou moins omnipotent. Ainsi, toutes les formules - y compris l’offre gratuite – l’autorisent à exporter et à enregistrer toutes les données des messages et fichiers échangés sur les canaux publics. Ce n’est donc pas le lieu pour aborder des thèmes sensibles. Mais qu’en est-il des canaux privés ? D’apparences intimes, ces conversations tenues à l’écart entre deux collaborateurs, peuvent elles aussi être regardées. Un usage que seul le forfait Business + permet à l’employeur de télécharger toutes les données contenues sur les chaînes privées, comme publiques. Moralité ? Le comportement de votre employeur sur Slack n’est pas toujours très moral. Plus le forfait choisi est onéreux, plus l’usage de vos données est pour lui illimité…

Slack : mine d’or pour l’employeur, terrain miné pour le salarié…

On confond, parfois à tort, Slack avec Messenger, WhatsApp ou le chat d’Instagram. Son design évoque les mêmes règles du jeu, mais sa finalité est toute autre. Si Slack s’autoprésente comme votre « QG numérique », ce n’est pas un espace détente – ou relax comme l’évoque la traduction française du mot « slack » – mais bien un espace numérique professionnel. Une messagerie sur laquelle le client, ici votre employeur, est roi et ne joue pas avec les mêmes règles du jeu que vous, simple salarié. Ce dernier, considéré comme « le propriétaire de l’espace de travail », jouit d’une politique de confidentialité très favorable. À cet égard, la messagerie est transparente : « Un client dispose de la propriété et du contrôle de tout le contenu envoyé dans son espace de travail. Slack traite les données du client pour le compte du client. »

Cessons donc de mélanger les genres et appelons un chat un chat. Slack n’est pas un simple chat privé sur un réseau social. C’est une messagerie professionnelle sur laquelle votre employeur est omniscient. Tout ce qui s’échange sur Slack relève de son contrôle et lui appartient. Pire, Slack a bonne mémoire et ne supprime aucun message. Une simple recherche par mots-clés, permet à votre employeur de remonter votre historique de discussions que vous pensiez être privées.

Slack : un outil sans foi ni loi ?

Élise Fabing, experte du Lab et avocate spécialiste en droit du travail, n’est pas dupe. Sous ses airs relax Slack reste « un outil mis à disposition par l’employeur, donc qui lui donne accès à tout ». Comme pour votre ordinateur pro, votre téléphone pro ou votre boîte mail pro, vous êtes tenu d’en avoir un usage strictement professionnel. Dès lors que cet outil vous est confié par l’entreprise, votre employeur y a accès, peut consulter son contenu et pourra même l’utiliser contre vous dans le cadre d’un litige. « Tout ce qui n’est pas estampillé message “personnel et confidentiel” ou “privé et confidentiel” peut être lu et exploité par votre employeur », assure l’avocate spécialiste en droit du travail. Mission impossible sur Slack puisque la messagerie ne permet pas de préciser l’objet de ses messages comme étant “personnel” ou “privé”.

Certes, l’article L1121-1 du Code du travail n’autorise l’intrusion de l’employeur dans la messagerie privée d’un salarié que si celle-ci est légitime, justifiée et proportionnée au but recherché. Mais, souligne l’avocate, « la Cour de cassation a récemment jugé que le droit à la preuve peut justifier la production d’enregistrements clandestins d’une conversation d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. Il faut donc être très vigilant en utilisant Slack, car son contenu pourrait être utilisé comme une preuve contre vous. »

Un salarié averti en vaut deux…

Afin d’échapper à cette surveillance de tous les instants, des salariés ont tenté de riposter. Certains contre-attaquent avec des outils capables de berner Slack. Par exemple, l’outil Présence Scheduler permet d’apparaître comme actif sur Slack durant ses horaires de travail, évitant ainsi la désagréable sensation de flicage de son activité en télétravail.

D’autres, jouent la carte de la prudence. C’est le cas de Julien, salarié dans le secteur de la food. « Au début, j’étais naïf, reconnaît-il. Je ne me souciais pas du tout de l’utilisation de mes données sur Slack. Je prenais ce chat pour un espace privé où je pouvais me confier, critiquer le management ou partager des sujets perso avec mes collègues. » Une attitude qui a progressivement laissé la place à la méfiance. « Des collègues partis dans des conditions un peu floues m’ont mis en garde sur l’usage de Slack, explique-t-il. Depuis, je suis très vigilant sur tout ce qui peut s’apparenter à une critique de la boîte ou qui concerne un sujet personnel. Pour ces échanges privés, je privilégie les réseaux personnels comme WhatsApp, Messenger ou Insta, même sur mon temps de travail. Je n’utilise plus Slack comme avant. Je suis devenu très prudent. J’ai cessé de croire que l’entreprise est une grande famille et Slack un banal outil de convivialité. Je suis lucide, leur but est économique avant tout. »

Pour autant, faut-il bannir Slack et revenir tout bêtement aux ragots de la machine à café ? Pas nécessairement. Slack, mails pros, téléphone et ordinateur professionnels ont leurs avantages, il faut simplement en faire bon usage. « Soyez vigilant, conseille Élise Fabing, redoublez de l’appellation “personnel” et “privé” quand vous le pouvez. Privilégiez les échanges privés sur un outil personnel, hors du temps de travail. Et soyez rusé : vous aussi, vous pouvez utiliser cet outil comme une preuve dans un litige qui vous oppose à votre employeur ! » Tel est pris qui croyait prendre… Sur Slack, rira bien qui rira le dernier.

Article édité par Romane Ganneval ; Photo de Thomas Decamps.