Smart drugs, ces substances qui rendent performant et dépendant ?
23 févr. 2018
5min
Fatigué ? Prenez un petit café ! Épuisé ? Prenez un petit Modafinil ! Ritaline, Modafinil (« moda pour les intimes »), Aricept… Ces noms savants ont un point commun : ils peuvent augmenter vos capacités cognitives. C’est-à-dire vous aider à être plus créatif, plus concentré, moins fatigué, mieux parler en public, rester attentif pendant plusieurs jours, et tout cela, en certifiant qu’il n’y a pas de conséquences directes sur votre santé. Une jolie promesse qui séduit de plus en plus de jeunes actifs en quête de performance et de productivité.
Ces produits miracles, on les englobe sous le nom smart drugs, littéralement « médicament qui rend intelligent ». Efficacité immédiate, molécules a priori non-toxiques, effets secondaires mal connus, achat simple et sécurisé : leur succès commence à inquiéter les autorités de santé. Qu’appelle-t-on les smart drugs ? Quelle molécule pour quelle amélioration ? Y a-t-il des effets secondaires physiques ? Psychiques ? Doit-on vraiment se doper pour être plus performant ? Welcome to the Jungle fait le point sur ces (faux) amis.
Smart drugs, nootropiques, et brain-booster
On peut définir les smart drugs comme des médicaments détournés de leur fonction première par des sujets sains pour augmenter leurs capacités cognitives. Lorsqu’ils sont prescrits par des médecins, ces médicaments traitent les troubles de la mémoire, de l’attention, du sommeil, de l’humeur, ou encore de l’hyperactivité. Certaines smart drugs, ou nootropiques (du grec noos [esprit] et tropos [façonner, courber], ndlr) ne nécessitent pas de prescription médicale et peuvent être achetées en livre service. Des substances plus communes comme la taurine (qui compose le Red Bull) ou la caféine et même le chocolat noir peuvent entrer dans la catégorie des nootropiques lorsqu’elles sont consommées à haute dose, pour modifier la performance cognitive ou retarder les symptômes du sommeil.
Les smart drugs agissent sur le cerveau en le stimulant, en augmentant la circulation sanguine et la production de neurotransmetteurs et en agissant directement sur la mémoire. Dans la jungle de ces médocs qui rendent invincibles, voici les plus répandus :
- Les antiasthéniques : les antifatigues. Guronsan ou Sarvit et même Redbull réduisent la sensation de fatigue grâce à la caféine qu’ils contiennent. Mais comme le café, le cerveau s’accoutume à la substance et diminue son efficacité à terme.
- Ritalin (chlorhydrate de méthylphénidate) : est un traitement contre l’hyperactivité chez les enfants. Il améliore la concentration et stimule le système nerveux.
- Alertec, Provigil (modafinil) : prescrit dans des cas de narcolepsie (assoupissements incontrôlés) comme l’hypersomnie (besoin excessif de sommeil). Il prolonge l’éveil et améliore l’attention. Le modafinil est la smart drug la plus consommée, car elle aurait moins d’effets indésirables que le méthylphénidate ou les amphétamines (anxiété, paranoïa, déprime).
- Aricept (chlorhydrate de donépézil) : ce médicament est prescrit aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer pour ralentir les déficiences de mémoire et de désorganisation cognitive.
Enfin d’autres smart drugs, sans ordonnance ni détournement médical se cachent derrière un faire-valoir naturel : ginseng, vitamines (B6 notamment), millepertuis, créatine, caféine, Ginko biloba, etc.
Nouveaux médocs, nouveaux consommateurs, nouveaux réseaux
Les principaux consommateurs de smart drugs sont soumis au stress de l’apprentissage intense - comme les étudiants - ou en proie à des objectifs professionnels et des challenges stressants, comme les jeunes actifs. On ne prend pas de smart drugs pour se dépasser mais pour s’optimiser. Cette nuance a pour conséquence de séduire beaucoup de sujets qui n’auraient jamais songé à prendre des drogues dures, se déculpabilisant car ils les achètent sur Internet, via des sites sécurisés (en apparence).
Et les smart drugs n’intéressent pas que les milieux professionnels. Certains athlètes de haut niveau ont eux aussi cédé aux sirènes du Modafinil, qui leur permet de s’entraîner jour et nuit. Reconnu depuis comme un produit dopant, il a été condamné par les autorités sportives. L’armée aurait également mis à l’essai ces pilules magiques pour permettre aux soldats français engagés dans la guerre du Golfe de rester éveillés plus de 48 heures d’affilée !
Mais, contrairement aux idées reçues sur ces substances, Félix Denis - doctorant en sociologie l’EHESS ( Hautes Etudes en Sciences sociales ) - observe qu’elles ne sont pas nécessairement dues à une pression hiérarchique de performance. « La consommation a toujours un sens : la volonté d’être meilleur bien sûr, de ne pas s’écouter pour performer mais parmi les sujets que j’ai observés et interrogés, tous ne subissaient pas forcément de pression extérieure. On commence souvent quand on observe soi-même les limites de son corps et que l’on entend parler de pilules en pharmacie capable d’améliorer ses faiblesses. »
Des sites trendy et une légalité ambiguë
La consommation est compliquée à quantifier car aucune réglementation officielle ne condamne ces molécules sur les « bien portants », ce qu’on peut interpréter comme de l’automédication. Selon Félix Denis « beaucoup de consommateurs se revendiquent comme ayant des problèmes comportementaux non diagnostiqués : troubles de la concentration, perte d’attention, anxiété face à une situation stressante sans le cadre du travail, etc. »
Et, comme certaines smart drugs sont vendues en libre-service dans des pharmacies, délivrées sur simple ordonnance ou peuvent se commander le plus simplement du monde sur Internet, cela inquiète les autorités de santé. Car ces médicaments ont des indications pathologiques précises et ne doivent être pris que sous contrôle médical. « Les clients sont des consommateurs avisés, ils savent faire le tri sur les produits en vente, ont accès à des tutos de ‘stack’ [cocktail énergisant à composer soi-même] connaissent les nouveautés, échangent sur les forums librement, etc. L’aspect marketing a une place primordiale dans la consommation des smart drugs, Les sources et les études scientifiques invoquées par les sites vendeurs de smart drugs comme Nootropicsdepot, hvnm, liftmode ou peaknootropics mettent en confiance le consommateur, et le déculpabilise. Ils jouent la transparence totale sur leurs produits : composition des gélules, les certificats officiels… On est loin de l’aspect dark de la drogue. »
Effets secondaires et réglementations
Mais alors… où est le problème ? Si on peut retarder les effets de la vieillesse sur notre peau, en nous gavant de gélules et de crèmes révolutionnaires, améliorer ses défenses immunitaires en ingurgitant des cocktails de plantes tout l’hiver, pourquoi doit-on s’inquiéter des gélules qui améliorent le bon fonctionnement de notre cerveau ?
Parce que la frontière entre soin ponctuel et drogue est trouble. Plusieurs études ont voulu mettre en garde contre les effets secondaires notamment du modafinil : urticaires graves, troubles mentaux, psychose. Une consommation répétée de ces molécules mène droit à la dépendance psychique (sauf la caféine qui n’induit qu’une dépendance physique). Beaucoup de consommateurs affirment avoir souffert de crises d’angoisse et d’irritabilité. Mais surtout, se doper aux smart drugs risque d’habituer le cerveau à recevoir des boosters pour optimiser son efficacité et ne plus réussir à le faire lui-même. C’est dans ces termes que la dépendance peut s’installer.
Et pourtant, la législation autour des smart drugs est ambiguë et ne permet pas de bien encadrer la vente et la consommation de ces substances. Mais voila, doit-on considérer normal de prendre des médicaments pour tenir le coup au boulot ? On pourrait penser qu’il s’agit du choix libre est consenti de chaque consommateur, mais lorsque toute une équipe est concernée, qu’en est-il ? Et si notre cerveau n’est pas assez compétent pour accomplir une mission en temps et en heure, doit-on accepter de modifier ses compétences physiques et psychiques pour y parvenir ?
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Photo by WTTJ
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