Alcool, drogues, jeu... comment gérer un collaborateur addict quand on est manager ?
30 juin 2021
6min
SOS MANAGERS EN DÉTRESSE - Quand vous avez été promu·e manager, vous étiez (avouez-le) loin d’imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, en autres choses, relève dans certaines situations du parcours du combattant. Dans cette série, notre expert du Lab Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l’eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !
Tabac, chocolat, écrans, sport… Nous avons tous nos petites accoutumances. Le problème, c’est quand l’addiction de l’un de vos collaborateurs prend une autre dimension et déteint dangereusement sur son travail ou sur l’équipe. Prise de drogue, consommation d’alcool à outrance, addiction aux jeux… Quand la dépendance s’empare de l’un des membres de votre équipe, c’est la panique. Découvrez nos conseils pour y faire face.
“Mon livreur fume de l’herbe au travail”*
Maxime est CEO d’une startup dans le luxe. Il a l’habitude de travailler avec des chauffeurs-livreurs chargés de remettre ses produits en mains propres aux clients. « C’est essentiel pour l’image de l’entreprise que nos employés aient une tenue irréprochable », affirme-t-il. Lorsqu’il recrute Kévin, il lui accorde sa confiance les yeux fermés. « Il avait belle allure, se souvient-il, il paraissait propre sur lui, ne rechignait pas à porter un costume, bref il faisait le job. » Les semaines passent. Peu à peu, Maxime a comme un mauvais pressentiment. « J’ai l’odorat assez fin, précise-t-il. Quand il passait à côté de moi, sous son parfum, j’avais l’impression de percevoir non pas l’odeur du tabac froid, mais celle du cannabis. »
Le doute s’installe… Petit à petit, d’autres indices viennent renforcer son intuition. « Dans le camion j’ai retrouvé des feuilles à rouler, explique-t-il, il y avait une forte odeur de joint et je trouvais le regard de Kévin très symptomatique. » Pour Maxime, ce n’est pas un problème en soi que son employé fume occasionnellement de l’herbe. « Ça ne me regarde pas, reconnait-il, chacun fait ce qu’il veut dans son intimité. Mais ce qui me gêne, c’est qu’il fume de l’herbe au travail. Et surtout, quand son travail consiste à conduire un camion. Conduire sous l’emprise de stupéfiants c’est absolument illégal, et c’est dangereux ! » Par chance pour Maxime, Kévin est encore en période d’essai. « J’ai rompu sa période d’essai immédiatement, sans véritablement justifier cette décision. C’était délicat, mais je pense qu’il en a perçu la raison », conclut-il.
L’œil de l’expert : « En mettant fin à sa période d’essai sans se justifier, Maxime a pensé bien agir mais il a pratiqué la politique de l’autruche, analyse Ludovic Girodon. C’est dommage, car le dialogue aurait peut-être pu délier le problème ». Pour briser la glace, il suggère « une discussion franche ». Il ne s’agit pas de rentrer dans le vif du sujet avec ses gros sabots, mais de discuter en toute simplicité avec son collaborateur. « Il faut s’appuyer sur les éléments factuels et relever l’impact du comportement du collaborateur sur son travail et sur l’entreprise, recommande-t-il. Dites-lui par exemple que vous avez retrouvé des feuilles à rouler – c’est un élément tangible – et que vous voulez vous assurer qu’il est bien en pleine possession de ses moyens pour exercer son travail. Voyez sa réaction et guettez s’il y a un changement de comportement par la suite. C’était peut-être un écart qui n’arrivera plus. » Si, au contraire, l’incident se reproduit, alors c’est une faute grave qui justifie la rupture du contrat de travail.
“Mon commercial a un penchant pour l’alcool”
Astrid est directrice commerciale. Elle manage une équipe de six commerciaux aux caractères bien trempés. « On s’entend vraiment bien, raconte-t-elle. L’équipe est très soudée, on rigole beaucoup et on déjeune très régulièrement ensemble. » À l’occasion de ces repas, elle s’aperçoit que Damien prend systématiquement une bière ou un verre de vin. « Ça m’est égal, tant qu’il est en forme pour travailler dans la foulée », explique-t-elle. Le problème c’est qu’il ne s’agit pas que de l’heure du déjeuner. « Le matin, il n’est pas rare que Damien sente l’alcool, observe Astrid. Il prétend qu’il a fait la fête la veille, mais c’est troublant. »
Lentement, les déjeuners d’équipe se transforment en afterwork, à l’initiative de Damien. « Là il se lâche, il paie sa tournée, raconte Astrid. Le problème, c’est qu’il entraîne toute l’équipe avec lui. Les autres boivent beaucoup et ne tiennent pas l’alcool comme lui ! Résultat, je ne compte plus les matinées où certains membres de l’équipe arrivent en retard, avec une gueule de bois phénoménale. C’est difficile à gérer parce que je ne peux rien lui reprocher directement, il n’a pas commis de faute professionnelle. Il a le droit de boire des verres avec ses collègues après le travail. Le souci, c’est qu’il entraîne les autres sur une mauvaise pente. Il a une mauvaise influence… Je suis un peu démunie. À part recadrer mon équipe sur les horaires, je ne vois pas tellement ce que je peux faire, d’autant que les chiffres sont au rendez-vous. »
L’œil de l’expert : « Le plus souvent, observe Ludovic Girodon, l’addiction relève de la sphère personnelle et privée. Ce n’est pas le rôle du manager de s’immiscer dans la vie privée. Le manager qui joue les psys outrepasse ses fonctions. En revanche, il doit veiller à ce que la dépendance suspectée ou avérée d’un collaborateur n’entraîne pas de conséquence négative sur son travail, sur l’équipe ou sur l’image de l’entreprise ». Dans le cas d’Astrid, Ludovic Girodon estime qu’elle est restée à sa place : « elle a eu raison de ne pas aller sur le terrain délicat de l’addiction, ce n’est pas son rôle ». C’est uniquement lorsque le comportement du collaborateur a un impact négatif sur l’équipe et ses performances qu’il faut agir.
« S’il y a un impact négatif, précise-t-il, alors c’est le comportement global de l’équipe, en tant que collectif qui doit être mis en cause et non la prétendue dépendance à l’alcool de tel collaborateur. Il ne s’agit pas de faire un recadrage collectif. Ce pourrait être vécu injustement car il y a nécessairement des différences de comportement entre les membres de l’équipe. Mais, en tête à tête, Astrid peut aborder ses frustrations avec chacun des membres de l’équipe pour appréhender l’origine du problème, comprendre comment chacun le vit et expliquer l’impact que cela peut avoir sur elle ou le collectif… »
“Mon employé est addict aux jeux”
Elliott est Chief Operating Officer (COO) d’une startup dans la mode. Il est responsable des opérations et manage l’équipe logistique. Pour le seconder, il a recruté dans son équipe Michaël, assistant logistique. « Il avait la tchatche, se souvient Elliott. Il a tout de suite adopté l’équipe et réciproquement. » Un jour, Michaël vient le trouver pour lui demander une avance sur salaire. « Il m’a expliqué avoir des soucis d’argent, raconte-t-il. En creusant un peu, j’ai compris qu’il avait joué au casino le weekend avec des amis et qu’il avait perdu une belle somme. Lorsque je l’ai interrogé là-dessus, il m’a dit que c’était ‘’exceptionnel’’, que ça lui avait ‘’servi de leçon’’ et qu’il ‘’n’y jouerait plus’’. » Mais les problèmes financiers de Michaël ne semblent pas s’arranger. « En discutant avec mon équipe, j’ai compris qu’il jouait au casino bien plus souvent qu’il ne le laissait entendre, poursuit-il. Il était carrément addict. »
Une dépendance qui aurait pu rester anecdotique, si Elliott n’avait pas constaté par la suite des comportements déviants. « Les problèmes sont arrivés peu à peu, déplore-t-il. D’abord, des objets de valeurs ont disparu au sein de l’entreprise, puis de l’argent appartenant à des collaborateurs. J’avais de fortes suspicions, mais aucune preuve pour l’accuser. C’était vraiment délicat ! » Jusqu’au jour où Elliott s’aperçoit que les stocks sont incomplets et que des produits ont disparu. « Ça allait trop loin, souffle-t-il. La gestion des stocks était sous sa responsabilité. J’ai alors saisi cette occasion pour lui parler. Je lui ai dit que, s’il ne faisait pas la lumière sur ce trou dans les stocks, je serais obligé de le dénoncer à la police. Il a bien sûr nié en bloc, mais je crois qu’il a paniqué. » À compter de ce jour, Michaël n’est pas reparu dans l’entreprise et n’a plus donné signe de vie.
L’œil de l’expert : « Dans un premier temps, observe Ludovic Girodon, Elliott a bien agi. Il est allé discuter avec les membres de son équipe et a pris des renseignements avec discrétion. Toute discussion avec vos collaborateurs sur ce type de problématiques doit évidemment se faire en one-to-one. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler à chacun le caractère confidentiel et bienveillant des échanges. » C’est par la suite que la situation lui a échappée. « Elliott a trop tardé, déplore l’expert. Il a laissé pourrir le problème. Le manager a le devoir d’agir, d’anticiper et de signaler un problème qu’il soupçonne. C’est à lui de relever les signaux d’un danger et d’avertir les équipes compétentes (la direction des ressources humaines et le service juridique) pour prendre conseil sur l’attitude à adopter. » Si vous vous trouvez dans une petite structure, adressez-vous à un avocat, un conseil RH ou même à la médecine du travail. « Le manager n’est pas avocat ou magistrat, ce n’est pas son rôle de juger si tel comportement est illégal ou non, ajoute-t-il. Son rôle est, au contraire, de prendre le pouls de son équipe, et discuter avec chacun de ses membres de manière bienveillante et confidentielle. Si une relation de confiance a déjà été établie, alors il sera plus facile de gérer ce type de problématiques. »
Alcool, drogues, jeux… toutes les addictions n’engendrent pas les mêmes conséquences ! Si elles relèvent de l’intime, le manager ne doit pas s’en mêler. “Le manager ne doit agir ni en autruche, ni en psy, ni en avocat, met en garde Ludovic Girodon. Attention à ne pas outrepasser votre rôle.” Mais, si cette dépendance a un impact sur les performances de l’équipe, il est tenu à un devoir d’alerte. Guidé par les équipes RH et juridique, il dispose de toutes les cartes en main pour régler la situation. Avec bienveillance et confidentialité, l’anticipation et la discussion devraient lui permettre de sortir de cette impasse tout en préservant le lien de confiance qui unit son équipe.
Article édité par Paulina Jonquères d’Oriola, photo par Thomas Decamps
Suivez Welcome to the Jungle sur Facebook, LinkedIn et Instagram ou abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir, chaque jour, nos derniers articles !
Inspirez-vous davantage sur : L'effet cocktail
L'effet cocktail, ou la série qui se penche sur les questions d'addiction au bureau...
« Tu viens plus aux afterworks ? » : et si on arrêtait la pression implicite ?
Bah alors, tu viens plus aux soirées ? Notre experte Sandra Fillaudeau vous apprend à lutter contre la pression sociale des after work.
12 juin 2023
Managers : ils ont tout lâché lors d’une fête d’entreprise
Quand l'alcool agit comme un sérum de vérité.
15 déc. 2021
Alcool au travail : entre patriarcat et culte de la performance ?
Une culture d'entreprise qui encourage la consommation d'alcool sur le lieu de travail peut-elle être inclusive ?
15 oct. 2021
Alcool et business : 5 deals de comptoir inoubliables
Notre cuvée de success stories alcoolisées.
28 sept. 2021
L’afterwork, objet ultime de team building ?
Tournée générale !
02 juil. 2021
Inside the jungle : la newsletter des RH
Études, événements, analyses d’experts, solutions… Tous les 15 jours dans votre boîte mail.