SOS Managers en détresse : « Le jour où j'ai manqué de courage managérial »
09 mai 2022
8min
Consultant, auteur et conférencier spécialiste en management, spécialiste de la confiance et de l’engagement
Rédacteur & Photographe
SOS MANAGERS EN DÉTRESSE - Quand vous avez été promu manager, vous étiez (avouez-le) loin d’imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, entre autres choses, relève dans certaines situations du parcours du combattant. Dans cette série, notre expert du Lab Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l’eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !
Ravaler ses couleuvres par peur de froisser son/sa collaborateur·rice, faire l’autruche devant un conflit interne, donner sa langue au chat plutôt que d’annoncer une décision difficile, être franc comme un âne qui recule devant l’obstacle… Cela paraît bête et banal, mais tôt ou tard, nous manquons tous de courage managérial. En témoignent Léa, Chloé et Martin, trois managers confrontés à cette expérience douloureuse.
« J’ai fait l’autruche et cela a fait du tort à mon équipe… »
Léa est directrice commerciale d’une startup dans le e-commerce. Elle manage cinq recrues aux caractères bien trempés. « L’équipe est très soudée, l’ambiance est bonne et la performance au rendez-vous », observe-t-elle. Un jour, elle s’aperçoit que Loïc, un commercial d’ordinaire très performant, n’a pas rempli ses objectifs du mois. « Je me suis dit que c’était exceptionnel », se souvient-elle. Mais le mois suivant, à nouveau, Loïc n’est pas au rendez-vous. Elle poursuit : « On a fait le point et j’ai senti qu’il était moins investi. J’ai tenté de le remotiver et j’ai attendu le mois d’après. Sauf que là, non seulement les objectifs n’étaient toujours pas atteints, mais la performance comme la cohésion de l’équipe commençait à en pâtir. » Loïc, qui avait toujours été un élément efficace, qui stimulait les autres par son caractère drôle et ses bons résultats, commençait à jouer les détracteurs. « Il manifestait peu d’entrain et ne se montrait pas affecté par sa baisse de performance. Il était de plus en plus dénigrant envers l’image et la culture de l’entreprise, ses produits, ses valeurs, sa direction. Je sentais que son influence n’était pas bonne… »
Petit à petit, l’évidence s’impose à Léa : Loïc n’est plus engagé et démotive ses collègues. « J’ai observé son comportement, et je voyais bien qu’il ne tirait pas l’équipe vers le haut. Au contraire, il la démotivait. Mais, en parallèle, à chaque moment de convivialité en équipe, c’était flagrant qu’il était très intégré et apprécié. Alors je doutais en me disant que ce n’était pas le bon timing, qu’au fond Loïc était sympa et que la performance allait repartir ». Alors, elle attend. Un mois, puis deux, puis trois… « J’ai tenu comme ça 5 mois. Jusqu’au jour où je me suis rendue à l’évidence. Non, ce n’était pas une illusion, Loïc était un véritable frein pour l’équipe. » À contrecœur, Léa s’en sépare. « Ça ne lui a fait ni chaud, ni froid, s’étonne-t-elle. Je crois qu’au fond c’est ce qu’il attendait pour se tourner vers d’autres projets. » Mais pour stimuler la motivation des troupes, la manager doit redoubler d’efforts. « Avec le recul, convient-elle, je me dis que j’ai attendu trop longtemps avant de prendre la bonne décision. Il a fait beaucoup de tort à l’équipe et à sa performance parce que je n’ai pas eu le courage d’agir quand il le fallait. »
- L’œil de l’expert :
« Nous sommes dans la situation typique où la manager laisse le temps faire son œuvre », analyse Ludovic Girodon. Cacher la poussière sous le tapis, faire l’autruche… « On peut appeler cela comme on veut, c’est toujours un mauvais calcul, car les choses ne s’arrangent pas. En résumé, s’amuse-t-il, l’équation “laisser faire” + le temps qui passe = galères qui s’exacerbent. » Reporter le problème le rend non seulement plus compliqué, mais aussi plus contagieux. Son impact s’étend au-delà d’une personne ou d’un poste, il devient global. « C’est ce que j’appelle le phénomène de la “brebis galeuse”, précise-t-il, quand on laisse s’installer chez un collaborateur un comportement qui n’est pas vertueux, cela se traduit par un impact managérial négatif sur l’ensemble de l’équipe. Le plus dur, c’est que ça concerne souvent des collaborateurs qui sont bons techniquement. On se dit “ça va s’arranger”, on est aveuglé par les performances de la personne or, c’est piégeux. Car précisément ces collaborateurs sont les plus écoutés et ils ont une influence néfaste plus importante sur le groupe. »
Alors que faire ? « Le courage managérial, reprend l’expert, c’est être capable de faire tout de suite ce qui sera plus compliqué d’entreprendre plus tard. » Dans un premier temps, imposez-vous de faire des points réguliers pour tenter de remédier au problème, avant d’en venir à une décision plus radicale. « Souvent on s’aperçoit qu’il existe un gros décalage entre notre perception de la situation et la manière dont la vit le collaborateur, reprend-il. Il faut comprendre son contexte et ses difficultés pour voir si on ne peut pas les résoudre rapidement. Puis, avec le collaborateur on peut mettre en place des actions pour arranger la situation et se fixer un délai d’intervention. » Ludovic Girodon recommande notamment de poser des jalons, « pour éviter de subir la situation dans le temps, mais aussi pour rythmer le sujet et être sûr qu’il ne nous échappe pas. » Demandez-vous au-delà de quelle date la situation doit impérativement être réglée. « Noter ces échéances sur votre agenda vous permettra de vous mettre face à vos responsabilités », conseille-t-il.
« En voulant être bienveillante, je n’ai pas osé recadrer ma collaboratrice… »
Chloé a également vécu une difficulté similaire. Marketing manager d’une startup dans la décoration, elle a toujours cultivé la communication non violente au travail. « La bienveillance est vraiment au cœur de notre ADN, explique-t-elle. Nous laissons beaucoup de place à l’écoute et au dialogue, notre gouvernance est transversale… Tout cela permet de maintenir une bonne ambiance au travail, ce qui nous tient beaucoup à cœur ». D’ordinaire, elle parvient à user de bienveillance, y compris dans les situations difficiles. « C’est souvent un atout d’ailleurs », assure-t-elle. Mais un jour, cette dernière s’érige en obstacle.
« Ma N-1 ne respectait pas le cadre que je lui avais fixé pour son travail, déplore-t-elle. Les process internes, les horaires, je voyais que pour elle tout cela était secondaire… J’avais beau lui faire des remarques délicates sur le fait qu’elle arrivait en retard ou qu’elle ne suivait pas mes recommandations, rien n’y faisait. » Chaque fois qu’elle aborde le sujet, elle a l’impression de marcher sur des œufs. « Je ne parvenais pas à aborder les sujets qui fâchent. Toutes les fois où j’ai pensé qu’il fallait mettre les points sur les “i” et la recadrer, je me suis réfrénée. Je me disais que ce n’était pas positif, qu’elle faisait du bon travail par ailleurs. Mais selon moi, la bienveillance doit pouvoir rimer avec exigence. Et là précisément, ce n’était plus le cas. » Mais elle laisse filer. Jusqu’au jour où sa N+1 en vient à prendre les choses en main. « Ma boss est intervenue et l’a recadrée à ma place, avoue-t-elle l’air contrarié. Elle l’a fait très fermement mais en douceur. Et ça a marché ! J’ai vraiment regretté de ne pas l’avoir fait moi-même car c’était mon rôle. Par peur de blesser, d’être rejetée, je n’ai pas réussi à agir en manager. »
- L’œil de l’expert :
« Voilà encore une situation où la manager s’en veut de n’avoir pas pris le taureau par les cornes plus tôt », observe Ludovic Girodon. Dans ce contexte, la culture de la bienveillance n’a pas aidé Chloé à oser dire les choses franchement. « C’est un mot valise, un peu galvaudé, rebondit l’expert. Ici, Chloé en fait une mauvaise interprétation. La bienveillance c’est vouloir faire progresser l’autre. Cela implique de le féliciter et de le remercier quand il fait du bon travail, mais aussi de lui dire franchement ce qu’on pense, lui dire quand il peut mieux faire, toujours dans le seul but de le faire progresser. La bienveillance se fait donc sans complaisance et avec exigence. » Ce n’est pas le monde des bisounours, bien au contraire.
« Le courage managérial est non seulement compatible avec la bienveillance, mais il fait surtout partie de son ADN », explique-t-il. Pour en user à bon escient, Ludovic recommande de fixer un cadre managérial pour redéfinir les valeurs et les règles de fonctionnement de l’équipe. « Chloé pourra ainsi remettre le dialogue franc et bienveillant au cœur du mode de communication de l’équipe », conseille-t-il. Une fois le cadre posé, il sera alors bien plus facile de “recadrer” tel ou tel collaborateur qui s’en échappe. Un cadre valable entre le manager et ses collaborateurs, mais aussi entre les membres de l’équipe. « En posant ce cadre, le manager diffuse la culture du courage, ajoute-t-il. On parle beaucoup du courage managérial, mais c’est important d’insuffler aussi une culture du courage collaborateur. » Moins évidente, elle est tout aussi importante. Exprimer ses frustrations, faire des feedbacks à son manager ou à ses collaborateurs, est aussi fondamental que d’apprendre à se dire merci… cela demande du courage !
« Je n’ai pas assumé mes convictions face à une décision difficile… »
Martin est le CEO d’une PME dans la restauration. Sa fonction l’habitue à prendre des décisions difficiles, à trancher des questions délicates. Il n’est pas de ceux qui coupe les cheveux en quatre. « En temps normal j’y arrive facilement », soutient-il. Pourtant, dans un cas en particulier, il affirme avoir manqué de courage managérial. « Nous avions un problème de stock, se souvient-il. Certains produits disparaissaient régulièrement. Un membre de l’équipe logistique m’a affirmé avoir contrôlé les stocks. Or, je me suis aperçu qu’il me mentait. Non seulement il ne les avait pas contrôlés, mais en plus, je le soupçonnais d’avoir lui-même pioché dedans. »
Sans plus attendre, Martin convoque ses responsables avec la ferme intention de se séparer de cet élément qu’il ne jugeait « pas fiable ». Mais devant ses accusations de vol et de mensonges, ses N+1 prennent peur. « Nous étions quatre à cette réunion, relate-t-il. Trois sur les quatre ont pensé que je me montrais trop dur. J’étais persuadé qu’il fallait le licencier, mais je me suis senti seul contre tous dans cette démarche. Je n’ai pas osé insister et je me suis rangé du côté de la majorité. » Par la suite, d’autres vols sont signalés et un coup d’œil à la caméra de surveillance prouve que ce salarié était bien le responsable de ces méfaits. « Nous l’avons poursuivi et licencié. Mais le mal était fait. J’aurais dû le renvoyer dès le premier jour », conclut-il.
- L’œil de l’expert :
« Cette fois, reconnaît Ludovic Girodon, j’ai le sentiment que Martin a fait le job. Il fait preuve de courage managérial en prenant tout de suite les choses en main. Même s’il n’est pas allé au bout du licenciement, sa posture était la bonne. Il a adopté un discours très tranché avec les managers de ce collaborateur pour construire la solution ensemble et s’est rangé du côté de la majorité. C’est, il me semble, un signe de maturité managériale assez forte. » Alors pourquoi Martin ressent cette insatisfaction ? Comme s’il restait sur sa faim ? « Pour ne pas subir la situation, ajoute l’expert, il aurait fallu mettre des jalons et se dire “Quel élément déclencheur pourrait justifier un licenciement ?”. L’idée est de mettre en place un plan d’actions pour éviter d’avoir la même discussion stérile six mois plus tard. » Une action comme celle entreprise par Martin : installer une vidéosurveillance pour limiter la casse. « Il reste un point qui, à mon sens, manque à la démarche de Martin, reprend-il. Je pense qu’après avoir consulté les managers de ce collaborateur, il aurait dû s’entretenir directement avec lui, lui dire franchement les choses, poser des questions et comprendre son contexte, avant de mettre en place des solutions constructives. »
Vous avez manqué de courage managérial ? Rassurez-vous, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Il s’agit d’un épisode on ne peut plus banal dans une vie de manager. « Soyez indulgent avec vous-même », conseille Ludovic Girodon. Ne culpabilisez pas, le manager infaillible est un mouton à cinq pattes… il n’existe pas ! L’important c’est de comprendre et d’analyser ce qui fait que vous vous êtes défilé. Demandez-vous plutôt : « Quelle leçon en tirer pour faire mieux demain ? », questionne l’expert. Redoublez d’attention et, à l’avenir, efforcez-vous de prendre le taureau par les cornes. Courage !
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps,
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