“Stresslaxation” : quand essayer de nous détendre nous stresse encore plus !
30 juin 2022
6min
Journaliste @Welcome to the jungle
Lorsque l’on ressent du stress, généralement on n’a qu’une obsession : faire disparaître cette sensation. Un problème que l’on aimerait d’ailleurs bien expédier - en deux temps de méditation et trois mouvements de yoga -, pour retrouver une certaine quiétude et la pleine possession de ses moyens. Sauf que bien évidemment, gérer ses émotions n’est pas aussi simple et il n’est pas rare d’éprouver des difficultés à se relaxer…ce qui peut encore plus nous stresser ! Un cercle vicieux nommé “stresslaxation” outre atlantique. “Le stress de la relaxation” donc, soit l’échec de ne pas arriver à se détendre et qui va nous faire redoubler d’anxiété. Décryptage de ce mécanisme nocif pour la santé et la carrière.
C’est paradoxal et pourtant, d’après l’étude sur l’anxiété induite par la relaxation, 30 à 50% des individus ressentent de l’anxiété quand ils essaient de se détendre, avec des symptômes extérieurs comme la transpiration et une accélération du rythme cardiaque. Des effets générés par un cycle infernal, semblable à celui des insomnies (où le fait de conscientiser d’être insomniaque va renforcer l’insomnie), que l’on peut expliquer ainsi :
- Une situation provoque en nous un pic de stress
- On se sent stressé, on a besoin de se détendre
- On n’y arrive pas
- On stresse encore plus
- Nos pensées sont encore plus négatives (jusqu’à engendrer des crises de panique dans les cas plus graves)
Une situation aussi ironique que désarmante que nombre d’entre nous ont déjà expérimenté tant les occasions de stresser ne manquent pas dans le merveilleux monde du travail moderne.
Une réaction en chaîne
Pourtant, à la base, le stress a une certaine utilité comme aime à le rappeler Cécile Pichon : « La fonction première du stress c’est de nous faire réagir face à un danger. Dans notre société actuelle, il va davantage nous pousser à mobiliser nos capacités pour assurer lors de situations à enjeux, précise la psychologue. Ce dont il est question avec le stress de la relaxation, c’est moins du stress que de l’anxiété. On est dans l’anticipation d’une menace, c’est-à-dire que l’on est préoccupé par une situation qui pourrait arriver. » Ainsi, stresser de ne pas arriver à se relaxer, comme stresser de ne pas arriver à s’endormir d’ailleurs, c’est projeter qu’on ne va pas arriver à surmonter ses difficultés.
On peut prendre l’exemple concret d’une présentation orale importante pour sa carrière. On imagine aisément, que l’on peut appréhender de parler en public, avoir peur de ne pas trouver ses mots ou qu’on nous pose des questions pièges… L’épreuve à venir est déstabilisante, et le stress ressenti face à cette situation est jusque-là tout à fait normal. Ce qui est dommageable, c’est d’y ajouter une deuxième couche de stress, en appréhendant que ce stress transparaisse sur scène. On s’imagine rouge, balbutiant, ridicule… Et cette image de nous “stressant” va alors nous bloquer et nous empêcher de nous détendre comme l’analyse notre experte : « On se retrouve à stresser à la fois de la cause primaire (la situation à enjeux), mais également du résultat de la cause primaire. Et c’est problématique car cela nous coupe de notre stress premier qui lui, a des vertus. »
Et oui, car le stress premier n’est pas vain, il a bien un but ! Si l’on reprend l’exemple de la présentation orale, ce n’est pas forcément un mauvais stress, car pour y répondre, on va davantage se concentrer, préparer son discours, répéter… Finalement, pour apaiser ce stress, on va mettre toutes les chances de notre côté pour réussir notre prestation. Là où il peut nous booster, le deuxième stress en revanche est uniquement néfaste car il nous fait sur-réagir, et c’est trop ! Nos comportements vont alors être disproportionnés. On peut par exemple, totalement éviter de se confronter aux situations qui nous stressent (comme ne pas monter sur scène alors que c’est notre tour de prendre la parole), ce qui va nous créer de nouveaux problèmes et ainsi de suite…
Les injonctions au bien être en cause
« Il faut absolument que je déstresse ! » Cette phrase, la coach et psychologue Cécile Pichon l’entend régulièrement dans son cabinet. « Mes patients se mettent une pression énorme pour se relaxer, ce qui est complètement paradoxal, s’étonne-t-elle. Et bien sûr, contre-productif : ils essaient de contrôler leurs émotions alors qu’au contraire, ils auraient besoin de lâcher prise. » La faute selon elle à la prédominance actuelle des préceptes issus du développement personnel qui nous enjoignent à être zen en toutes circonstances. « C’est tout à fait normal de stresser face à une grosse échéance. Ça ne sert à rien de s’évertuer à enlever tout mal être dans de telles situations. On voudrait nous faire croire qu’il est possible de faire en sorte que les émotions négatives nous coulent dessus, s’agace-t-elle. Alors que c’est impossible : on va tous traverser des moments plus difficiles et c’est ok. Il faut au contraire le normaliser. » Surtout que c’est l’arbre qui cache la forêt, car l’idée germe en nous qu’on peut garder le contrôle en décidant nous même d’aller bien. Le graal serait d’être sans faille et de ne jamais apparaître vulnérable aux yeux des autres.
Pourtant, tenter de combattre une émotion négative sans chercher à la comprendre est une mauvaise stratégie selon l’experte : « Nos émotions ont toujours quelque chose à nous dire. C’est important de les accepter et d’essayer de les analyser… Tenter d’être heureux et détendu en permanence est illusoire. La vie est au contraire un rééquilibrage permanent : le stress vient de temps en temps nous déstabiliser pour nous glisser à l’oreille : attention, reste sur tes gardes, demain tu dois te dépasser ! »
Ce qui est dommageable avec l’idée de rejeter toute forme de stress, c’est que certaines personnes vont se sentir anormales d’être stressées, alors que finalement c’est un sentiment humain et commun à tous. Vouloir chasser toute émotion négative à tout prix n’est pas souhaitable selon notre experte, d’autant que c’est aussi ce qui fait le relief de la vie ! Ne pas stresser la veille de présenter sa thèse, de passer un entretien d’embauche décisif ou de se marier, ce serait louche non ?
Attention à la surchauffe
Si ressentir du stress et des émotions négatives à certains moments de notre vie est tout à fait normal, la psychologue nous met tout de même en garde : « Ce qui est gênant c’est quand cela prend trop de place, que le stress est disproportionné ou que cela perdure dans le temps. » Si la tension est permanente, que le stress est généralisé ou que le décalage est trop grand entre la situation vécue et les émotions traversées, il faut commencer à s’inquiéter et surtout consulter un professionnel. « Si c’est un fonctionnement généralisé, cela signifie que c’est lié à nos structures psychiques et psychologiques. Une tendance que l’on a naturellement par rapport à notre personnalité ou notre histoire, comme la pression que l’on peut se mettre si on a un profil perfectionniste, qui va nous pousser à toujours vouloir avoir le contrôle en toute situation. » Ainsi, en thérapie on pourra travailler au côté d’un psychologue pour assouplir un mécanisme trop rigide, qui fait que l’on perd les pédales dès qu’on n’est plus en maitrise.
Si l’on poursuit avec l’exemple de la prise de parole en public, la limite se situerait entre le stress normal de celui qui monte sur scène et la phobie d’y aller. Dans ce dernier cas, ça vaut le coup de se pencher sur ce déclenchement qui nous pèse et qui prend racine dans des sujets profondément ancrés en nous, comme la peur du ridicule, du rejet, une mauvaise image de soi… souvent hérités de l’enfance.
À noter que, si les personnalités perfectionnistes sont plus sujettes au “stress de la relaxation”, n’importe qui peut ressentir cette anxiété. D’autant que parfois, un stress d’anticipation survient à cause d’un épisode traumatisant. « Si on a raté l’examen du permis de conduire quatre fois, on imagine bien dans quel état d’anxiété on va être au moment de le passer la cinquième fois. On aura moins peur de mal conduire que de perdre ses moyens finalement. Comme on a déjà vécu cette situation d’échec, on aura tout simplement peur de la revivre », précise Cécile Pichon. Mais alors comment gérer dans ce type de circonstances pour tout de même faire redescendre la pression sans en rajouter une couche supplémentaire ?
Les solutions pour faire face
Si tenter d’éliminer tout mal être avec des huiles essentielles et trois salutations au soleil est une chimère, la coach et psychologue propose une approche en trois étapes pour faire face à la spirale infernale du stress de ne pas arriver à se relaxer :
1- Accueillir l’émotion, même négative. Écoutez le besoin qui se manifeste derrière votre émotion, elle réclame quelque chose !
2- Agir sur les causes. C’est faire tout ce qu’on peut pour réduire la zone d’incertitudes liée à la situation stressante. Typiquement, si on appréhende d’oublier quelque chose la veille pour le lendemain, on peut faire une to-do list avant de se coucher. C’est simple, là où on a le contrôle, on agit; là où on n’a pas le contrôle, on l’accepte.
3- Trouver ce qui nous fait du bien. Et ce n’est pas une solution plaquée par le monde extérieur ! On est tous différents, et on a tous nos “trucs” pour lâcher prise. Pour certains ça sera d’aller courir, pour d’autres parler à un ami ou un collègue, méditer, cuisiner, chanter etc. Mais attention, quoique qu’on entreprenne, il faut le faire pour son bien et non pour se mettre une pression sur le fait de se relaxer !
D’une manière générale, un bon moyen d’essayer de se détendre est tout simplement de ralentir. Temporiser sa respiration, parler plus doucement, freiner ses actions, faire les choses lentement. C’est une aide naturelle pour faire redescendre les tensions. Exit le “je vais vite faire 20 minutes de yoga comme ça j’enchaîne sur un bain”. On essaie de s’affranchir des timings toujours plus serrés dictés par nos agendas surchargés et cette volonté d’optimiser toujours plus chaque minute de son temps. De même, si personne n’aime l’image de soi stressé, il faut accepter qu’on ne peut pas avoir la maîtrise sur tout et que c’est très bien ainsi.
Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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