Valoriser l'Afrique grâce aux jeux vidéos : la mission de Teddy Kossoko
21 févr. 2019
9min
En 2018, alors qu’il n’avait encore que 23 ans, Forbes l’inscrivait dans son classement des 30 jeunes leaders qui veulent changer l’Afrique. Teddy Kossoko est aujourd’hui à la tête de Masseka Game Studio, et il a choisi d’utiliser les jeux vidéos pour passer ses messages et faire connaître l’Afrique, la vraie. Ses scénarios de jeu, le jeune entrepreneur les travaille avec des historiens du CNRS pour prodiguer à ses intrigues fictives, le paysage culturel le plus authentique possible. En parlant à Teddy, on ne peut s’empêcher d’être choqué par la maturité qu’il dégage, tant dans ses raisonnements que dans son envie de changer le monde…
Hello Teddy, pour commencer, pourrais-tu te présenter ?
Je suis Teddy Kossoko, j’ai 24 ans et je suis le fondateur de Masseka Game Studio, qui est le premier studio européen de création de jeux vidéos dédiés aux univers africains. En parallèle, je travaille chez Capgemini en tant qu’ingénieur logiciel.
Je suis né et j’ai grandi en Centrafrique, auprès d’un père strict qui m’a rapidement appris le sens des responsabilités. Très jeune, j’ai donc décidé d’être acteur de ma propre réussite et de tout faire pour me créer des opportunités. Mon père m’a beaucoup influencé tout au long de ma jeunesse, en me poussant à travailler dur.
Peux-tu nous raconter ton parcours scolaire en Centrafrique ?
Il faut savoir que j’ai eu beaucoup de problèmes dans mon lycée. En Centrafrique, si les professeurs veulent nuire à des élèves, ils en ont tout à fait le pouvoir. Ils peuvent aller jusqu’à empêcher un élève d’avoir son bac en utilisant leur réseau, même si les copies sont anonymisées. En première, avec des amis, nous avons dénoncé la corruption au sein du corps professoral à travers la première édition du journal du lycée. Vous pouvez imaginer que nous n’étions pas très appréciés par les professeurs. On a même été chassés de l’école pendant une semaine ! Nos parents ont dû porter plainte pour nous faire réintégrer. Le climat n’était donc pas franchement idéal au quotidien.
Je savais que depuis plusieurs années, aucun élève n’avait réussi à passer le bac français. J’ai donc décidé de relever le défi afin de me prouver à moi même que tout était possible à force de travail. J’étais également conscient, qu’en obtenant le baccalauréat français, je m’ouvrirais beaucoup plus de portes et j’aurais la garantie d’avoir un diplôme, même si mes professeurs souhaitaient me faire rater mon bac centrafricain.
C’est la période où j’ai le plus travaillé de ma vie, je pense. Les programmes sont totalement différents et j’ai dû, par exemple, apprendre l’espagnol en moins d’un an pour espérer réussir ce pari difficile.
>En Centrafrique, si les professeurs veulent nuire à des élèves, ils en ont tout à fait le pouvoir. En première, nous avons dénoncé la corruption au sein du corps professoral à travers la première édition du journal du lycée.
Peux-tu nous raconter ta première année en France ?
Après l’obtention de mes deux baccalauréats, j’ai choisi de rejoindre l’IUT de Blagnac en septembre 2012. À l’origine, je m’étais formé pour m’orienter vers la médecine, c’est d’ailleurs pour ça que j’avais rejoint la filière scientifique du lycée. Mais à ma sortie, je ne me voyais pas passer huit ans à faire des études avant de travailler. Je voulais rapidement créer et essayer de changer le monde. Je me suis donc dirigé vers l’informatique.
C’était ma première fois en France et je découvrais un tout autre monde. J’étais à la fois excité et effrayé. Mais je me suis rapidement senti chez moi, notamment grâce au soutien de mes professeurs, très présents. Ce fut tout de même une période très compliquée de ma vie parce que je n’y connaissais pas grand chose en informatique, même si ça me passionnait. Je connaissais les fonctions de base d’un ordinateur, mais à part ça… J’ai eu un 4 aux premiers partiels, la pire note de la promotion alors que j’avais l’habitude de faire partie des meilleurs.
Je savais qu’il fallait que je réagisse vite, pour ne pas perdre pied. J’ai donc redoublé d’efforts, je passais beaucoup de temps à apprendre mes leçons en avance, pour pouvoir poser toutes mes questions pendant les cours afin de vraiment bien tout comprendre. C’est comme ça que j’ai réussi à m’en sortir et à terminer parmi les 25 meilleurs de ma promotion de 100 personnes.
>C’était ma première fois en France et je découvrais un tout autre monde. J’étais à la fois excité et effrayé. Mais je me suis rapidement senti chez moi, notamment grâce au soutien de mes professeurs, très présents.
Quelle était ta première expérience professionnelle ?
J’ai intégré un Master MIAGE (Méthodes Informatique Appliquées à la Gestion des Entreprises), notamment pour respecter la promesse faîte à ma mère de faire de l’informatique appliquée aux entreprises. Je travaillais en alternance pour l’Institut National de la Recherche Agronomique.
À la fin de mes études, un ami qui travaillait chez Capgemini a fait passer mon CV en interne et j’ai été rappelé 5 minutes après l’avoir envoyé. J’y suis allé, et dès mon premier entretien, les recruteurs m’ont présenté tout un environnement entrepreneurial avec un laboratoire d’innovation. C’est ce qui a réussi à me convaincre de les rejoindre. C’était en Juillet 2017. À partir de ce moment-là, j’ai pu non seulement travailler dans des domaines super intéressants, comme le domaine spatial, dans lequel j’évolue aujourd’hui, mais aussi développer mes propres projets au sein du laboratoire d’innovation.
En parlant des tes projets, comment t’es venue l’idée de faire des jeux vidéos ?
Entre mon IUT et ma MIAGE, j’ai décidé de faire un tour d’Europe dans l’idée de découvrir de nouvelles cultures et de comprendre quelle était la vision des européens vis-à-vis de l’Afrique. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que, pour beaucoup, l’Afrique est comme une boîte opaque dans laquelle ils ne savent pas ce qui se passe réellement. En rentrant chez moi, j’ai pris la décision de présenter différemment au monde, le continent africain.
Durant mes premières années en France, je m’étais rendu compte de la puissance des jeux vidéos. Dans mon IUT par exemple, les gens étaient tout le temps en train de jouer, que ce soit sur portable, console ou ordinateur. C’était mon premier contact avec la “culture geek”, qui n’existe pas en Centrafrique. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire… Si les jeux vidéos ont une si grande capacité à capter l’attention des gens, je peux les utiliser pour passer mes messages et présenter l’Afrique sous un meilleur angle. Je me suis donc lancé dans le développement de Kissoro Tribal Game.
>L’IUT était mon premier contact avec la “culture geek”. Je me suis dit que si les jeux vidéos ont une si grande capacité à capter l’attention des gens, je peux les utiliser pour présenter l’Afrique sous un meilleur angle.
Peux-tu nous parler de tes jeux-vidéos ?
J’ai réalisé mon premier jeu vidéo en 2014 : Schmup, un jeu de tir qui m’a permis de me perfectionner dans le développement sur Android. J’ai ensuite appris à maîtriser le moteur de jeu Unity 3D, plus efficace pour créer des jeux plus complexes.
C’est dans le cadre du jeu Kissoro Tribal Game que c’est vraiment devenu sérieux. Le jeu met en scène le jeune Elikiya, qui doit sauver son royaume de la guerre en remportant un tournoi de Kissoro, un jeu qui a la particularité d’être présent dans tous les pays africains sous différentes formes. Nous avons eu 13 000 téléchargements en 2 mois et aujourd’hui ça continue à augmenter, au rythme de 50 téléchargements par jour.
En ce moment, nous développons un jeu qui s’appelle Les aventures de l’inspecteur Guimonwara, dans lequel le protagoniste, un inspecteur brillant mais alcoolique, va faire appel à un marabout pour remonter le temps et enquêter sur l’assassinat de sa soeur. Sauf qu’il va atterrir en plein empire SonghaÏ au XVème siècle, juste après la mort de Sonni Ali Ber, qu’il ne connaît pas mais dont le meurtre aurait un lien avec celui de sa soeur… Nous travaillons également sur un second projet de jeu : La légende de Mulu.
Où trouves-tu l’inspiration ? Où vas-tu chercher toutes ces informations ?
La grande partie des jeux qui sont en cours de production aujourd’hui est basée sur des faits réels transmis par de la tradition orale, qui était la norme en Afrique avant l’arrivée de l’écriture. À cela, nous ajoutons de la fiction, notamment au niveau des personnages et de leurs histoires, pour rendre le jeu intéressant et surtout amusant.
Parce qu’il y a très peu d’informations sur Internet, nous devons faire appel à des historiens afin de reproduire à la perfection les royaumes anciens dans lesquels nous faisons évoluer nos aventures. Nous travaillons aussi beaucoup avec le CNRS sur ces sujets. Nous faisons vraiment l’effort d’être le plus authentique possible dans les histoires que nous racontons afin de passer des messages qui ne soient pas en fracture avec la réalité.
>Nous devons faire appel à des historiens afin de reproduire à la perfection les royaumes anciens dans lesquels nous faisons évoluer nos aventures. Nous faisons vraiment l’effort d’être le plus authentique possible.
Quels messages souhaites-tu faires passer à travers ces jeux ?
Dans Les aventures de l’inspecteur Guimonwara, nous souhaitons faire découvrir l’Histoire de la région centrafricaine et prodiguer des informations quant à l’activité de marabout, souvent caricaturée dans les films occidentaux. Pour Kissoro, l’idée est de mettre en scène un conflit entre tribus, comme il y en a beaucoup eu dans l’Histoire de l’Afrique, et de présenter comment on pourrait les résoudre au travers de moyens pacifiques. L’objectif était de dire à la jeunesse, qu’elle doit être - comme le personnage principal - artisan de la paix et force de proposition.
En ce qui concerne La légende de Mulu, le but est de présenter les peuples primitifs d’Afrique qui aujourd’hui sont menacés par la mondialisation. Ces peuples qui vivent en harmonie avec la nature et y puisent connaissances, nourriture, médicaments, etc. L’idée est de permettre au joueur de voyager et de se mettre dans le peau de ces peuples, dont seules les saisons régulent la vie.
Peux-tu nous parler de ton studio Masseka ? Quelle est ta vision pour son futur ?
Chez Masseka, nous sommes trois en France ; Un graphiste, un scénariste et moi même et nous avons trois ressources supplémentaires au Cameroun. En termes de chiffre d’affaires, notre premier jeu n’a vraiment pas été développé dans une logique de rentabilité, mais nous travaillons les suivants afin de pouvoir générer un certain niveau de revenu. Nous cherchons actuellement à lever des fonds afin de pouvoir assurer les salaires de tout le monde jusqu’à ce que nous puissions vivre de nos jeux.
Ma vision est de réussir à développer tout un univers propre à l’Afrique, au même titre que les mangas au Japon et que les comics aux Etats-Unis à travers une entreprise de taille conséquente. C’est pourquoi nous conservons une certaine homogénéité graphique dans tous nos jeux, pour créer une forte identité de marque, reconnaissable par tous.
Nous avons également un autre projet ambitieux, en parallèle, qui est de concevoir un store d’applications, dédié à l’Afrique. Il faut savoir qu’en Afrique, très peu de personnes possèdent une carte de crédit mais de plus en plus d’Africains sont équipés d’un téléphone portable. Nous souhaitons leur proposer des moyens de paiement adaptés, afin qu’ils puissent avoir accès à tous types d’applications payantes sur leur mobile.
>Ma vision est de réussir à développer tout un univers propre à l’Afrique, au même titre que les mangas au Japon et que les comics aux Etats-Unis.
Comment jongles-tu entre ton activité de salarié et ton studio de création ?
Je fais régulièrement des journées de 20h, mais comme je le disais, je suis habitué à travailler dur depuis le lycée. Ensuite, malgré mes deux activités bien distinctes, je fais en sorte de les mélanger. Quand je suis chez Capgemini par exemple, je vais souvent faire la promotion de nos jeux vidéos. Etant donné que l’environnement est très axé entrepreneuriat, j’ai de nombreux retours, que ce soit d’utilisateurs, de potentiels investisseurs ou même d’architectes solutions qui viennent nous apporter leur expérience dans la création et la mise en production d’applications.
Ça s’est vraiment fait naturellement, mon entourage professionnel chez Capgemini voyait régulièrement mes communications sur LinkedIn et s’y est intéressé de près. Rien qu’au niveau de mon manager actuel, qui a également fait ses débuts dans les jeux vidéos. Il m’apporte un soutien régulier et comprend mes contraintes horaires ce qui me permet de mener mes deux activités de front.
Qu’est ce que cette aventure entrepreneuriale t’a apporté jusqu’ici ?
Localement, le studio Masseka a créé beaucoup d’engouement en Centrafrique. Les jeunes sont fiers de cette réussite et l’ambassade de France sur place cherche à utiliser cet enthousiasme pour réunir les jeunes et les encourager à voyager et à entreprendre. Cela me rend très heureux.
Plus globalement, je reçois beaucoup de retours positifs, de témoignages, des jeunes qui s’inspirent de mon parcours pour se lancer. Cela me rend doublement fier.
Sur un point de vue personnel, entreprendre, au delà des grosses difficultés que j’ai pu rencontrer, m’a permis d’en apprendre plus sur moi-même. J’en ai plus appris sur la valeur de l’argent, l’importance de s’ouvrir et d’aller à la rencontre d’un maximum de personnes, pour apprendre d’eux que ce soit sur des sujets créatifs, techniques ou financiers, afin de continuer à grandir au quotidien. Sans compter qu’en cherchant à la faire découvrir aux autres, j’ai pu redécouvrir l’Afrique.
>En cherchant à la faire découvrir aux autres, j’ai pu redécouvrir l’Afrique.
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