Transidentité : comment aller plus loin en entreprise ?
11 déc. 2023
7min
L'inclusion est au cœur des défis du futur du travail. L'expérience collaborateur doit assurer une justice sociale offrant à chaque personne, indépendamment de sa culture, de son âge ou encore de son identité de genre, la possibilité d’évoluer dans un cadre équitable. Mais où en est-on sur les questions de transidentité en entreprise ? Et comment agir pour offrir un environnement de travail toujours plus inclusif ? Décryptage.
Si les discours d’inclusivité déferlent via les rhétoriques de marque employeur, dans les faits, au sein des entreprises, il existe une marge de progression. Notamment pour les personnes transgenres, dont le recrutement, puis l’intégration sont jalonnés par de nombreux tabous, et parfois même certains actes de violence. Pour preuve, selon 87 % des candidat‧es, être « ouvertement trans reste souvent un obstacle à l’embauche », d’après l’étude Indeed France de juillet 2023 « Inclusivité et Transidentité au travail ». Un avis également partagé par 80 % des recruteurs. En cause ? Le fait que la transidentité demeure « tabou dans les entreprises » pour plus de 8 personnes sur 10.
Les organisations -publiques, privées ou associatives- en tant que microcosmes des enjeux de notre époque, s’avèrent des courroies transformatives clés pour combattre toutes formes de discrimination. D’ailleurs, toujours selon la même étude, 84 % des candidats estiment que « les entreprises ont un rôle à jouer pour faire avancer le changement des mentalités à l’égard des personnes trans ». Et 75 % d’entre eux affirment être sensibles à l’inclusivité de l’entreprise dans laquelle ils postulent. Alors, comment mieux adresser la transidentité… pour qu’elle ne soit plus un « sujet » ? Comment assurer ce changement culturel tangible dans les comportements et les modes de fonctionnement ?
Transidentité en entreprise : sur le chemin sinueux de l’inclusion
Salarié : mener sa transition face à la pression culturelle et administrative
Auteur de l’ouvrage « Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre » (Éditions La Découverte, 2021), le sociologue Emmanuel Beaubatie, propose une exploration de la diversité des parcours trans. Il identifie notamment trois « classes » de personnes trans :
- les « conformes » qui tentent de se fondre dans le genre désiré et adhèrent aux représentations portées par les standards ;
- les « non-binaires » qui ne s’identifient à aucune catégorie de sexe ;
- et les « stratèges » qui contournent les normes, « instrumentalisent les protocoles » ou se conforment de manière à faciliter leur transition.
Cyrielle se proclame de la catégorie des « stratèges » : diplômée de Normale Sup et dotée d’une riche expérience entrepreneuriale, elle intègre un prestigieux cabinet d’audit alors qu’elle démarre sa transition. « Dès l’intégration, j’ai subtilement testé mon environnement, laissant transparaître des allusions sur qui j’étais et ce que je vivais. Étonnamment, cela a été bien accueilli, même dans un contexte que l’on peut qualifier de très corporate », se souvient-elle. Son parcours professionnel atypique et « son capital culturel » lui permettent de se frayer un chemin en propre : « L’utilisation de mon intelligence émotionnelle a été un allié. Surtout lors des moments initiaux de ma transition, qui constituaient une perte de repères sur tous les plans, à la fois professionnels et personnels. » Après une période d’adaptation au métier ultra normé de consultant, la dissonance entre l’identité de genre et professionnelle lui est de plus en plus insupportable : « Évoluer en costard avec mon ancien prénom (“dead name”) était devenu un défi. J’ai donc accéléré les étapes en décidant d’assumer qui j’étais.* »
La consultante change alors son allure vestimentaire, en dépit du regard parfois insistant de ses collègues. « Tout le monde me scrutait, j’étais le sujet de discussion principale à la machine à café, se remémore Cyrielle. C’était une période très difficile, mais je voulais aller au bout. Finalement, les gens s’habituent très vite : après quelques jours plus personne n’y prêtait attention. » Autre point d’achoppement : le changement de nom et le dédale administratif afférent. « En France, la loi oblige à fournir des témoignages, notamment de l’employeur. Or, le service informatique RH me disait qu’il fallait d’abord que je change mon état civil. Un ping pong administratif qui a été très pénible : entre ma signature et mon email, mes interlocuteurs ne savaient plus à qui ils s’adressaient », rembobine-t-elle.
Au sein du cabinet, certaines personnes ont néamoins joué un rôle essentiel : les rôles modèles LGBT+, notamment au sein de la direction. « La responsable inclusion et diversité a également été très à l’écoute, me demandant d’expliquer ce qu’était la transidentité et de lui faire part de mes besoins. » En parallèle, Cyrielle décide de communiquer à plus grande échelle sur le groupe LGBT+ international, au sein du réseau social interne de l’entreprise, afin d’augmenter sa visibilité et son impact. Elle participe également à de nombreux événements liés au sujet en externe. Des étapes marquantes de son parcours, qui l’ont néanmoins menées au burnout : « La pression constante et le fait d’être devenue référente involontaire pour les questions LGBT+, m’ont conduit à l’épuisement. » Pour autant, Cyrielle ne regrette pas un instant ce parcours, qui lui a permis d’assumer pleinement qui elle est aujourd’hui.
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RH : garantir un cadre équitable et une écoute individualisée
« Aucun parcours trans ne se ressemble, cela implique une écoute attentive des histoires individuelles », explique Delphine Boussion, leader RH du cabinet Onepoint de Nantes. Pour sa part, elle a eu l’occasion d’accompagner une personne transgenre, qui l’a avisé de sa transition dès son recrutement. « Dès qu’elle m’a fait part de cette information, nous nous sommes interrogés collectivement sur les meilleures pratiques à adopter. L’Autre Cercle [une association qui œuvre à l’inclusion des personnes LGBT+ au travail, à l’aide de formations notamment, ndlr] ¨nous a beaucoup aidés », explique-t-elle. En interne, la première étape a été de sensibiliser le management et de répondre aux questions. Ensuite, l’équipe RH a été à l’écoute des besoins de la personne qui ne souhaitait pas être appelée par son nom de naissance. « Ça n’a pas été un problème puisque le SI interne permet à chacun de choisir sa propre appellation. Quant à l’équipe, elle l’a toujours connue avec le prénom qu’elle a choisi* », ajoute Delphine.
Un investissement de longue date dans les enjeux d’inclusion pour le cabinet Onepoint, plus spécifiquement sur les sujets LGBT+. « En tant que signataire de L’Autre Cercle, nous avons créé un collectif de travail interne. Sur la base du volontariat, tous les salariés peuvent y contribuer », explique Loubna Meliane, leader égalité & pluralité. Leurs actions ? Mener une sensibilisation auprès des équipes, comprenant des conférences et la rédaction d’un guide sur les sujets LGBT+ en entreprise abordant différents aspects : le sens des termes, la signification de la démarche et les comportements attendus. « Nous déployons également une formation axée sur l’éthique des relations, obligatoire pour toutes et tous. Nous cherchons à sensibiliser nos équipes aux attitudes et comportements envers autrui, reconnaissant nos propres biais, afin de les surmonter collectivement », ajoute Loubna Meliane.
Et justement, pour gérer les points de blocage potentiels, il est primordial d’identifier où la personne trans en est dans sa transition. Delphine Boussion se souvient bien : « Nous avons traité divers aspects avec elle, en fonction de son propre rythme : la question vestimentaire, l’accès aux douches et même aux toilettes, qui sont mixtes dans notre entreprise. » Un autre enjeu collectif : celui de ne pas trop en faire pour éviter les maladresses. « Pour cela, il est essentiel de faire confiance au collectif tout en restant vigilant », recommande encore la leader RH.
Un constat partagé par Bénédicte Tilloy, DRH et ex-DG de SNCF Transilien, qui a, elle aussi, accompagné la transition de l’une de ses collaboratrices. « Je recommande de passer au moins autant de temps à accueillir la personne dans sa nouvelle identité de genre qu’à résoudre les colles administratives que la transition peut poser. […] Il faut savoir par exemple que certains documents légaux comme le bulletin de paie ne peuvent être modifiés qu’avec le changement d’état civil. D’autres, comme le badge et l’adresse mail, peuvent être plus facilement mis à jour et sont la preuve pour l’état civil que la personne est bien intégrée dans son nouveau genre », enjoint-elle.
Transidentité : 4 leviers pour agir et transformer son organisation
Étape n°1 : respecter le droit, une base… parfois éludée
La non-discrimination est la première étape cruciale dans le milieu du travail. « Ceci exige de garantir le respect des droits des personnes trans », souligne Casper Dufaux, expert des questions de genre et de la discrimination au travail. Les entreprises doivent donc intégrer des politiques de non-discrimination claires dans leur plan d’action et leurs procédures internes sur les enjeux trans au travail. Notamment concernant l’identité de genre : « Les personnes trans ont le droit d’être “out” au travail, mais également de ne pas l’être si elles ne le souhaitent pas, dans le respect de leur vie privée, de leur santé physique et mentale, ainsi que de leur sécurité au travail. » De la documentation est aujourd’hui disponible pour accompagner les acteurs de l’entreprise : le gouvernement a créé un guide sur le droit des personnes trans, tout comme l’ANDRH avec la supervision de L’Autre Cercle.
Étape n°2 : vraiment porter le sujet en tant qu’organisation
« L’aspect organisationnel nécessite une approche proactive, allant au-delà du principe de non-discrimination, pour créer un environnement de travail prenant vraiment en compte les enjeux que peuvent traverser les personnes trans au travail. Il y a aussi les personnes intersexes qui sont très peu protégées par le droit dans le monde du travail », insiste Casper Dufaux. Cela implique des ajustements concrets dans les procédures internes, ainsi qu’une sensibilisation continue pour promouvoir une culture d’égalité et de respect. « Il est important de garantir la santé et la sécurité au travail, en prenant en compte les besoins spécifiques des personnes concernées. Comment ? En créant un environnement où les personnes voient leurs droits et leur vie privée respectés, se sentent en sécurité et sans crainte de discrimination ou de violence », pose encore l’expert.
Étape n°3 : dresser un diagnostic sur les questions LGBTI+
Pour transformer son organisation, il faut oser effectuer un diagnostic approfondi sur les questions LGBTI+, sur le recrutement, le déroulement des carrières, la formation, ainsi que d’autres processus internes. Il s’agit de repérer les éventuelles barrières ou points de friction et d’adapter les processus, notamment administratifs, communicationnels et RH, pour les rendre respectueux du droit et inclusifs. Côté RH, plus spécifiquement, si un niveau de confidentialité équivalent pour tous les salariés est un socle, des mesures spécifiques doivent être prises pour garantir la confidentialité des personnes trans. Cela peut inclure des procédures adaptées pour le changement de prénom dans les systèmes internes, par exemple.
Étape n°4 : reconnaître et bannir les discriminations, le harcèlement et les violences sexuelles
« Les personnes trans qui subissent des discriminations hésitent à les signaler par peur d’être “out”. 62 % ne les signalent pas, car elles pensent que rien ne changerait en interne et 47 % car “cela arrive tout le temps” », alerte Casper Dufaux. La méconnaissance du sujet et du droit conduit aussi à une forme de banalisation de ces violences. Comment les éradiquer ? En favorisant le dialogue, en formant les référents harcèlement au sein des CSE et/ou les RH, et en sensibilisant l’ensemble du personnel. « Chacun et chacune peut agir à son niveau et en fonction de ses missions, mais également dans ses pratiques professionnelles et ses comportements », renchérit l’expert.
Pour terminer, rappelons la citation lapidaire de Dan Schulman, CEO de Paypal, « Diversity is a fact, but inclusion is a choice » qui résume plutôt bien le pallier collectif et sociétal qui nous incombe tous, salariés, entreprises et citoyens.
Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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