Attention émotions fortes ! Comment gérer l’hypersensibilité au travail ?

09 juil. 2019

9min

Attention émotions fortes ! Comment gérer l’hypersensibilité au travail ?
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Joie, colère, peur, tristesse, surprise, dégoût… Nous passons tous chaque jour par plusieurs états émotionnels. Ces émotions fondamentales nous sont utiles pour prendre une décision, faire un pas de côté, agir, extérioriser notre colère, nous protéger mais certains, dits “hypersensibles”, les éprouvent plus fortement que d’autres. Comment se manifeste cette sensibilité exacerbée ? Cette dernière a-t-elle des conséquences sur le travail et les relations professionnelles ? Quel est le quotidien méconnu de ces émotifs anonymes ? Décryptage éclairé de ce trait de caractère aussi précieux qu’invalidant avec Margaux, chargée de communication diagnostiquée hypersensible.

Une affaire sensible

Petite définition

L’hypersensibilité est un trait de personnalité caractérisé par une forte réactivité et une émotivité aux stimuli. Les hypersensibles ressentent, beaucoup plus intensément que la moyenne, les informations de leur environnement, leurs émotions propres et celles des autres. Aussi, leur réponse émotionnelle, positive ou négative dans une situation donnée peut être exagérée.
Les hypersensibles sont empathiques à l’extrême et possèdent souvent des dispositions naturelles comme l’intuition, la créativité, la compassion, l’attention portée aux autres, la pudeur, la délicatesse, le dévouement mais aussi la susceptibilité, l’irritabilité, l’anxiété, le repli, le sentiment d’être agressé, à vif et à fleur de peau. Ils sentent les émotions poindre et voient souvent venir le ciel bleu ou la tempête bien avant les autres.
Margaux raconte à ce titre percevoir souvent avant tout le monde les émotions des autres : « Il m’est arrivé bien trop de fois de me dire : “Tiens, telle personne fait la tête, je ne sais pas pourquoi mais je sens qu’un truc ne va pas.” Les autres me répondaient que tout allait bien mais cela finissait toujours comme je m’y attendais : mon ressenti se révélait exact… » Une personne hypersensible est donc ultraporeuse aux stimuli sensoriels; d’après la psychothérapeute Myriam Vandenbroeke, elle recevra vingt stimuli ou informations environ, là où une personne “normale” en recevra cinq.

Manifestations…

Cette sensibilité exacerbée conduit souvent ces profils à un sentiment d’inadaptation sociale, de malaise. Le milieu du travail, par sa rationalité et ses codes (formalisme, self-control, mesure, cohabitation) peut être particulièrement anxiogène pour les hypersensibles car il bannit, tacitement, les débordements émotionnels alors même que la nature du travail nous expose au stress, à la critique, à la sollicitation.
Les hypersensibles sont beaucoup plus rapidement sous tension et subissent une fatigue psychique et physique continue du fait de leurs grandes variations émotionnelles. Margaux explicite cette intensité extrêmement prégnante dans son quotidien : « Déjà, mon corps est hypersensible : j’ai toujours soit trop chaud soit très froid, j’ai développé pas mal de petits soucis de santé épidermiques notamment. En gros, mon corps a du mal à s’adapter à mon environnement… En ce qui concerne mes émotions, elles sont très vives – je peux passer de l’euphorie à la tristesse en une fraction de seconde –, j’ai du mal à accepter que je puisse décevoir les autres, à gérer les haussements de voix de la part de mes collègues et managers. Une critique un peu trop frontale peut me faire fondre en larmes. »

… et perception

Cette ultraémotivité rend les personnes hypersensibles extrêmement perméables à leur environnement de travail. Elles peinent bien souvent à trouver leur place dans le monde professionnel car c’est la grande loterie, comme le souligne Margaux : « Dans ma vie pro’ qui a été bien mouvementée - j’ai, à 29 ans, travaillé dans plus d’une dizaine de boîtes et exercé environ cinq métiers différents -, c’était soit parfait soit catastrophique mais jamais entre les deux. J’ai parfois trouvé des équipes bienveillantes qui fonctionnaient comme une famille et ça se passait bien. Mais souvent, je suis tombée dans des équipes où je me sentais incomprise, mise de côté. J’avais l’impression d’être un ovni car tout ce petit monde évoluait sans problème et moi, je n’arrivais pas à passer outre certaines choses ou certains blocages… »
Cette sensitivité, assez méconnue, suscite régulièrement des incompréhensions. Margaux témoigne de ses difficultés : « J’ai un besoin de reconnaissance plus important que la moyenne. À cause de cela, on peut vite passer pour une “lèche-bottes” ou quelqu’un qui parade… J’imagine que ça ne doit pas être évident de me cerner. Pour autant, les hypersensibles disposent aussi de tempéraments on ne peut plus recherchés dans la sphère professionnelle ; ils sont très investis et, en raison de leur attention très fine et de leur sens de l’observation inné, ils excèdent naturellement le périmètre de leur fiche de poste. Ils apportent beaucoup de “soft” et d’intelligence émotionnelle à une équipe, et encouragent la communication, la créativité, l’authenticité. »

Identifier l’hypersensibilité

Un diagnostic trop peu formalisé

L’hypersensibilité n’est pas reconnue comme une maladie même si on peut travailler sur ce sujet avec un psychiatre ou un coach. Comment, dès lors, savoir si l’on souffre ou non d’hypersensibilité ? Pour Margaux, cela n’a pas été immédiat : « Le déclic s’est fait lorsque je me suis rendu compte que ce que je trouvais injuste et inadmissible était perçu par d’autres comme normal et routinier. Je me disais : “Mais c’est fou, pourquoi personne ne dit rien alors que ce qui m’arrive me fait horriblement mal ?” Bref, j’ai commencé à en parler autour de moi et surtout à mon frère qui m’a encouragée à consulter un psychiatre pour comprendre d’où venaient tous ces “handicaps” relationnels… et j’ai compris ! » Le décalage entre son ressenti et celui des autres peut donc tenir lieu de boussole.

Des traits de caractère communs

Sans prétendre dresser une liste exhaustive de “symptômes” et établir un diagnostic, il semble possible d’évaluer sa sensibilité à l’aune des traits de personnalité régulièrement observés chez les personnes hypersensibles. Le Huffington Post a recensé, avec le concours de la chercheuse Elaine N. Aron, plusieurs caractéristiques communes à ces profils. On peut citer à cet égard les dix grands attributs suivants :

  • Les hypersensibles vont au bout des choses pour les comprendre
  • Ils sont très empathiques et à l’écoute de leur environnement et des autres
  • Ils préfèrent les activités (sportives, artistiques, professionnelles) individuelles car ils s’y sentent moins observés, moins jugés
  • Ils mettent plus de temps à prendre une décision car ils sont naturellement plus conscients des variables et pensent souvent avoir fait le mauvais choix
  • Ils ont le sens du détail
  • Ils travaillent bien en équipe : ils sont précis, consciencieux, perfectionnistes, à l’écoute
  • Ils sont souvent plus anxieux ou dépressifs
  • Ils pleurent plus fréquemment
  • Ils sont plus attentionnés que la moyenne
  • Ils sont plus sensibles aux critiques (ils s’efforcent de tout faire pour plaire et se critiquent de manière préventive)

Les facteurs aggravants

Un environnement de travail rapidement toxique

L’odeur, la lumière, le niveau sonore, la proximité, la circulation de l’air sont autant de détails qui peuvent être décisifs ou incommodants pour les personnes très sensibles. Aussi, les hypersensibles préféreront généralement travailler au calme, seuls ou dans un bureau fermé.
Au-delà de ces paramètres spatiaux, ces profils ont besoin d’évoluer dans un environnement professionnel bienveillant, amical, solidaire, gouverné par l’entraide et le plus éloigné possible des conflits, commérages et jeux politiques, comme l’explique Margaux : « J’ai un énorme besoin de reconnaissance et surtout de relations amicales avec mes collègues. » Les hypersensibles ne peuvent ainsi pas collaborer et être managés par n’importe qui ; il ont pour la plupart besoin de se sentir alignés avec l’ADN de l’entreprise mais aussi les valeurs et le comportement des équipes. Ce sont le sens, la délicatesse, l’alignement qui instruisent leurs préférences relationnelles et leur permettent de s’épanouir professionnellement. Il n’est pas rare pour eux de se retrouver plus aisément dans des métiers de service ou des secteurs qui portent des valeurs humanistes.

À écouter: notre podcast Le Bureau dédié au sujet Celle qui n’avait pas les mêmes valeurs que sa boite.

Une activité foisonnante

Les conditions de travail ou la nature même de l’activité peuvent aggraver l’hypersensibilité. Margaux a dû envisager une réorientation pour s’échapper d’un métier qui ne lui convenait pas : « Je pense que les activités doivent être différentes pour chacun. Pour ma part, j’ai trouvé mon talon d’Achille, c’est le commerce. J’ai exercé de nombreux jobs dans le commerce et ce qui rend ce secteur très difficile pour une hypersensible comme moi, c’est la confrontation relationnelle toute la journée. Parfois, cela générait chez moi de l’euphorie quand je satisfaisais mon équipe et mes clients. Seulement, les gens ont davantage tendance à dire ce qui ne va pas. En clair, je me mangeais des reproches tous les jours et je les prenais pour moi… C’était invivable et c’est pour cette raison que j’ai choisi de me reconvertir. »
Cet article, bien documenté, préconise également de prendre en compte d’autres paramètres : éviter les missions qui supposent de trop nombreux interlocuteurs, les missions risquées, tendues en termes de timing ou trop supervisées mais aussi les missions monotones qui ne correspondent pas à un tempérament d’intuitif, de perfectionniste, de créatif ou d’autonome.

L’hyper sollicitation de l’époque

L’hypersensibilité n’est pas étrangère à l’hypersollicitation. Elle est largement amplifiée par les notifications, messages, odeurs, images et masses de stimuli que nous recevons continuellement par le biais des e-mails, SMS, réseaux sociaux, applications et de notre entourage. Il est désormais bien plus difficile que par le passé de s’affranchir de notre environnement ; notre seuil d’attention et de tolérance est donc plus vite atteint et plus vite bafoué, nos émotions débordent.

Composer avec son hypersensibilité

« Connais-toi toi-même »

L’hypersensibilité, notamment dans le monde du travail, peut être compromettante, voire handicapante, mais l’ignorer est le pire des écueils. Margaux raconte la méconnaissance du sujet et les propos brutaux de ses collaborateurs : « Quand j’annonce aux gens mon hypersensibilité, beaucoup me répondent : “Ouais, en gros, tu pleures devant n’importe quelle comédie romantique.” Mais c’est loin d’être le cas. Ce n’est pas non plus de la faiblesse car je me rends compte que je résiste mieux à certaines situations difficiles que pas mal de monde. Il est difficile de faire accepter l’idée que l’on puisse être singulier, que l’on soit traité différemment alors qu’on a tout l’air de quelqu’un de normal au premier abord. On pense souvent que l’on exagère, qu’on le fait exprès, que c’est la manifestation d’un manque de caractère ou de confiance en soi mais non… Mon hypersensibilité, je suis née avec. »
Accepter et composer avec sa sensibilité accrue semble le meilleur moyen de faire de ce trait de caractère une force. Pour Margaux, l’acceptation et l’introspection ont constitué une voie de salut : « Ce qui m’a aidée à composer avec mon hypersensibilité, c’est d’abord de la connaître et de me connaître. Je crois que beaucoup de maux qui existent aujourd’hui peuvent disparaître ou devenir plus supportables si on prend la peine de les comprendre. J’essaie aujourd’hui d’anticiper les situations qui peuvent me faire du mal, de les éviter tout simplement ou de trouver une parade. »

  • Plusieurs clés de développement personnel peuvent aider à gérer l’emballement émotionnel : S’isoler ou se poser pour prendre de la hauteur sur un incident, une situation ;
  • Accueillir ses émotions et apprendre à exprimer ses besoins et ressentis ;
  • Lâcher prise et éviter de se focaliser sur ce qui ne va pas.
    Se connaître, c’est savoir s’écouter, comprendre ses préférences, ses limites et s’outiller pour mieux appréhender les défis de la vie courante.

Désactiver le circuit émotionnel

Une autre manière d’aborder une tâche ou une situation complexe consiste à la décharger émotionnellement. Au lieu d’intellectualiser et de projeter la tâche, il est possible de l’appréhender de façon méthodique, robotisée, planifiée. On débarrasse la situation de sa couleur négative, positive, difficile, inquiétante, ennuyeuse, épineuse en la circonscrivant à une plage horaire (un temps réduit pour ne pas s’octroyer la possibilité de trop penser) et en la programmant le plus tôt possible dans sa journée de travail.

Survivre dans la jungle

Le monde professionnel peut être particulièrement hostile pour qui a une sensibilité à vif. Voici pour finir quelques bonnes pratiques à importer dans son quotidien de travail pour trouver le bon équilibre entre sensation, émotions, situations et comportements :

  • Pratiquer une activité sportive et/ou artistique bien choisie pour extérioriser et mettre le ressassement continu en pause ;
  • Préparer son sommeil en précédant le coucher d’un temps de relaxation (douche, respiration, méditation, lecture) au calme, lumière tamisée ;
  • Faire des pauses fréquentes pour s’isoler, se libérer des tensions et se ressourcer ;
  • Apprendre à dire non pour ne pas se faire cannibaliser par les demandes.

Relativiser… même son hypersensibilité

Les circonstances que nous vivons sont neutres. Ce sont les pensées que nous projetons sur ces situations qui génèrent une émotion positive ou négative, comme l’explique très justement Clotilde Dusoulier dans son podcast de développement personnel (épisodes 2 et 4).
Nous pouvons donc choisir les émotions que nous ressentons en apprenant à orienter nos pensées. Margaux semble avoir fait l’expérience de cette théorie puisqu’elle a fait de son hypersensibilité un atout : « Aujourd’hui, j’aime mon hypersensibilité. Je me sens chanceuse de tout ressentir à 3 000 % même si ça fait parfois très mal, mais c’est aussi ce qui me rend extrêmement sensible à ce qui m’entoure, me rend bienveillante, m’a poussée à fonder mon association caritative… J’ai parfois l’impression que les gens se mettent des œillères pour que leur quotidien paraisse plus supportable… Moi, je n’en ai pas et je ne veux jamais en avoir. » Tout est relatif donc et il ne tient qu’à nous de prendre le recul nécessaire pour nuancer, temporiser ou déplacer ce qui semblait jusqu’alors être un problème. C’est la stratégie investie par Margaux pour braver son hypersensibilité : « Je commence à devenir indifférente aux sentiments des gens à mon égard : on m’aime bien tant mieux, on ne m’aime pas, tant pis. J’ai enfin pris conscience que j’ai le droit, comme toute personne, d’affirmer mes positions, mes émotions et surtout de dire non. »

Si notre société et, plus encore, le monde du travail valorisent bien souvent l’extraversion, la sociabilité, la confiance en soi et l’audace, l’hypersensibilité est incontestablement un atout professionnel. Être une éponge à émotions est éprouvant mais permet de regarder le monde différemment, avec une conscience aiguë des autres et de son environnement, un esprit alerte, délicat, empathique et aussi intuitif qu’analytique. En atteste le succès des livres qui racontent la singularité des hypersensibles : La Force des introvertis : De l’avantage d’être sage dans un monde survolté de Laurie Hawkes, Hypersensibles : Trop sensibles pour être heureux de Saverio Tomasella ou encore La Force des discrets : Le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard de Susan Cain. Tout est une question de sensibilité.

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Illustration by Antonio Uve

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