Ces pays riches où le travail des enfants est toujours une réalité
18 juil. 2023
6min
Journaliste indépendante
C’est une pratique qu’on croyait réservée aux pays les plus pauvres, pourtant, les États développés ne sont pas épargnés par l’existence du travail des enfants. Aujourd’hui 160 millions de mineurs travaillent encore à travers le monde. Soit un jeune sur dix, selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT). Récemment, plusieurs scandales ont été révélés en Occident et certains tentent même de favoriser ce retour au travail infantile. Tour d’horizon de ces pays développés où le travail des enfants est toujours une réalité.
Aux États-unis, certains États détricotent les droits des enfants…
« Nous traversons un moment consternant aux États-Unis : cette année, au moins neuf états américains ont modifié ou tentent de modifier la réglementation du travail infantile » déplore Reid Maki, coordinateur du Children Labor Coalition. C’est le cas de l’Iowa. Dans cet État du Midwest, un projet de loi a été adopté pour revenir sur plusieurs droits fondamentaux. Parmi eux : abaisser l’âge légal à 14 ans, étendre les secteurs où ils peuvent travailler, comme la blanchisserie, ou encore autoriser les horaires de nuit. Dans le pays, plusieurs indicateurs inquiètent : une hausse de près de 300% des violations des règles du travail des enfants depuis 2015, d’après The Economic Public Institute. En 2022, plus de 800 entreprises employaient 3 800 enfants en dehors de tout cadre légal du travail infantile.
Où bossent ces enfants ? Dans la restauration mais aussi dans des chaînes de conditionnement logistique, ou pire encore, dans des entreprises de conditionnement de viande où des ados, parfois âgés d’à peine 13 ans, utilisent des produits chimiques, comme le rapporte le Département du Travail des États-Unis. Mais c’est dans l’agriculture qu’ils sont le plus nombreux. Des enfants dans les champs de fruits et légumes mais, aussi, dans la culture du tabac ; « c’est un point qui nous effraie particulièrement parce que ça a des conséquences sur leur santé » ajoute Reid Maki. Dans ces plantations, des enfants parfois âgés de 10 ans, comme dans cette enquête du The Atlantic en 2018 et en grande majorité de parents immigrés ou migrants eux-mêmes venus d’Amérique du Sud et qui tentent de survivre. Pour inverser la tendance, Children Labor Coalition se bat entre autres contre les lobbys agricoles, contre l’assouplissement du droit du travail des enfants mais, aussi, pour que l’État américain embauche plus d’inspecteurs du travail. Aujourd’hui, ils sont 800 pour 161 millions de travailleurs et 11 millions d’employeurs.
Le travail des enfants en Italie : « répandu mais invisible »
Plus proche de nous, en Italie, l’ONG Save the Children fait elle aussi un triste constat. Dans son enquête « Ce n’est pas un jeu », publiée en avril dernier, on découvre que 336 000 enfants ont déjà travaillé dans le pays. Un jeune sur quinze pour les 7-15 ans, un taux qui monte à un enfant sur cinq pour la tranche 14-15 ans.
On retrouve ces ados essentiellement dans la restauration (25,9%), dans la vente en magasin (16,2%) mais aussi dans les travaux agricoles (9,1%). Autre tendance, celle du travail en ligne, que ce soit pour produire du contenu ou pour vendre des objets via internet.
La crise covid, la situation économique déjà compliquée dans le pays et les conséquences de la guerre en Ukraine ont entraîné inflation et pauvreté en Italie. D’après l’ONG Save the Children, 14,2% des enfants vivent sous le seuil de pauvreté, soit plus d’1,3 million de personnes. Une tendance inquiétante pour l’ONG, qui craint que la précarisation ne pousse de plus en plus de très jeunes à travailler. Aider matériellement ses parents, c’est bien une des motivations des jeunes interrogés (32%) même si la majorité (56,3%) assure travailler pour subvenir à leurs propres besoins. Une part importante affirme aussi le faire « par plaisir » (38,5%).
Et cette pauvreté pourrait se transmettre. Save The Children alerte sur une corrélation troublante : moins les mères ont de diplôme, plus leurs enfants travaillent avant l’âge légal, fixé à 16 ans, comme en France. Il n’est pas question ici de petit boulot comme le baby sitting mais bien d’un travail prenant avec des conséquences sur la santé des enfants, mais surtout sur leur déscolarisation. Les enfants qui travaillent auraient même plus de chances de devenir criminels. D’après l’étude, 40% des enfants suivis par les services de justice avaient travaillé avant l’âge autorisé.
En Australie, l’île face au manque criant de main d’oeuvre
Alors que l’Australie a renoué avec le plein emploi en 2022, avec un taux de chômage autour de 3,5%, on assiste aussi à un manque criant de main d’œuvre dans le pays depuis la crise Covid. Résultat, ces derniers mois le gouvernement a assoupli les conditions d’immigration et les employeurs multiplient primes et avantages pour attirer les candidats. Dans le même temps, c’est une petite entreprise symbole du problème qui a créé la polémique.
Un café de Jugiong, petit village au nord-ouest de Canberra et à 3h40 de Sydney, dans la campagne de la Nouvelle-Galles du Sud. 255 habitants mais beaucoup plus le week-end, quand affluent les touristes, comme le raconte le média australien ABC News. Le succès de ce café tient notamment dans sa boutique de confitures maisons. Mais ici, de la préparation au service, l’équipe est surtout composée d’enfants et d’ados du village, employés dès leurs 11 ans. Dans cette province, il n’y a pas d’âge limite pour commencer à travailler, seule une autorisation des parents est nécessaire pour les moins de 12 ans. Dans l’article, le propriétaire du café, Monsieur Robb, explique son choix : « On avait aucune chance d’attirer des personnes compétentes et talentueuses en dehors de la ville et pour un endroit comme Jugiong. Donc pour construire notre équipe, on est parti de zéro. Ils travaillent dur mais c’est vraiment fun » a -t-il déclaré. Dans cet article, largement critiqué ensuite, les enfants racontent, tout sourire, qu’ils et elles ont intégré l’entreprise parce qu’ils « s’ennuient trop le week-end » et qu’ils sont « fiers de travailler ».
Au total, plus de 500 000 enfants travaillent dans le pays selon les estimations, dont 214 500 entre 11 et 15 ans. Face à ces polémiques, l’Australie vient de ratifier la convention 138 de l’OIT (Organisation International du Travail), qui impose notamment aux Etats de fixer une limite d’âge minimum pour le travail des enfants.
Face aux accidents mortels, le Québec fixe enfin des règles
Il aura fallu l’intervention du ministre québécois du Travail, Jean Boulet, pour agir contre le travail des plus jeunes. Jusqu’ici, aucune limite d’âge n’interdisait aux enfants de travailler dans cette province canadienne, seule une autorisation parentale suffisait pour les moins de 14 ans. Il était donc normal - et donc légal - d’être servi dans un restaurant par des ados de 11 ou 12 ans ou de les croiser en train de ranger des cartons dans les supermarchés. Au Canada, le problème de main-d’œuvre est considérable, et les projections alarmistes : plus d’ 1,4 million d’emplois seraient à pourvoir d’ici 2026, selon le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Un contexte qui justifie d’embaucher des enfants, selon plusieurs employeurs.
Mais c’est la hausse spectaculaire des accidents du travail chez les ados qui a poussé le gouvernement à légiférer. Chez les moins de 14 ans, les accidents ont bondi de 392% entre 2012 et 2021d’après la CNESST, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. On compte aussi cinq jeunes de moins de 19 ans tués au travail depuis 2014 dans le pays. Début juin, la loi fixant la limite minimale à 14 ans au Québec a finalement été adoptée à l’unanimité, avec une limite de travail hebdomadaire à 17 h pour les 14-16 ans. Pour autant, huit secteurs échappent encore à cette loi, au grand dam des associations locales : notamment les entreprises agricoles, la distribution de journaux ou encore les entreprises familiales de moins de dix salariés. « La pénurie de main-d’œuvre, ça ne repose pas sur l’embauche des enfants » a tenu à rappeler le ministre Jean Boulet.
En France, les mineurs non accompagnés, principales victimes
En France, on est loin des années 1840, quand les enfants représentaient environ 20% de la main d’œuvre. Merci l’obligation de la scolarisation avec les lois Ferry de 1881 et 1882. Jodie Soret, responsable du service programme, plaidoyers et affaires publiques à l’UNICEF confirme « en France, cette pratique est très rare. Et c’est parce qu’on est proche des 100% de scolarisation. Ici, les rares cas de travail des enfants sont principalement liés à des affaires de traite d’êtres humains » détaille-t-elle. En 2021, le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a interrogé 44 associations d’aide aux victimes qui ont permis d’obtenir des précisions sur le profil de près de 3 000 victimes. Dans ce rapport, “La traite des êtres humains en France”, on apprend que 11% des victimes accompagnées sont mineures et parmi elles, 63% sont des mineurs non accompagnés. Elles font l’objet d’exploitation sexuelle ou encore de mendicité forcée. « Ces réalités sont liées à la pauvreté, à l’isolement, à l’absence de protection et à la non-scolarisation de ces publics. Notamment les enfants qui vivent dans des bidonvilles, qui sont souvent particulièrement vulnérables et en situation de marginalisation » explique Jodie Soret.
D’autres phénomènes plus récents inquiètent également, comme ces jeunes qui dès 15 ans sous-louent des comptes sur les plateformes de livraison de repas à domicile. Des jeunes complètement hors des radars comme l’expliquait le directeur de recherches au CNRS Thierry Berthet à Libération en 2019. Le travail des enfants influenceurs a aussi attiré l’attention, avec une nouvelle loi votée en 2020 pour encadrer les modalités de travail dans le secteur. Pour rappel, en France, on peut travailler dès 16 ans, avec des exceptions pour les moins de 14 ans dans les compétitions de jeux vidéo, le mannequinat ou encore le cinéma.
Article édité par Clémence Lesacq - Photo Tatiana Gonzalez / Unsplash
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