Au travail, ils mettent leurs valeurs au placard. Témoignages

26 févr. 2020

7min

Au travail, ils mettent leurs valeurs au placard. Témoignages

Pas évident d’être toujours aligné à 100% avec soi-même… et encore moins avec les valeurs de son entreprise. Qu’elle soit grande, petite, traditionnelle ou nouvelle, l’entreprise n’offre pas toujours un cadre propice à l’épanouissement personnel pour les collaborateurs qui la composent. La difficulté principale ? Un décalage souvent trop grand entre leur vision, leur personnalité et celles de l’entreprise ou des managers pour lesquels ils travaillent. Cette “battle” de valeurs invite souvent à la réflexion, et parfois au silence et à la résignation.

Pour en savoir davantage, nous sommes allés à la rencontre de trois salariés qui mettent leurs valeurs au placard au bureau. Ils nous ont raconté les raisons qui les poussent à agir ainsi, la manière dont ils géraient la situation et les solutions qu’ils ont mis en place pour bien le vivre.

« Le choix des projets et les manières de travailler me dérangent, mais je reste car c’est mon premier emploi »

Pour son premier emploi en tant qu’architecte, Alexandre veut se sentir utile. Il souhaite depuis toujours travailler pour un projet social et donner accès à des logements de qualité au plus grand nombre. Or il est « tombé dans la mauvaise entreprise, avec les mauvais clients. » Il explique : « Nous travaillons avec des gens qui ont de l’argent et qui veulent que cela se voie. En plus, les promoteurs avec lesquels nous sommes en relation sont des ordures » explique-t-il, blasé. Mais ce n’est pas le choix des projets qui le dérange le plus, ni la mauvaise ambiance. C’est le rythme effréné de production, qui empêche la majorité de l’équipe de travailler en profondeur, de prendre le temps. Résultat, son patron est « odieux et ultra stressé » car victime de la pression que lui imposent les clients. Par conséquent « il est ultra stressant et ne nous explique rien. » Aucune valeur de transmission ni de partage ne sont au rendez-vous.

« L’unique but est d’être plus rentable, tout le temps. Il faut vendre toujours plus, à une cadence excessive… Tout est fait dans l’urgence. » Pour Alexandre, et comme pour beaucoup de personnes de sa génération, cette croissance infinie n’a aucun sens. L’ambition de l’entreprise le pousse à mettre ses valeurs de côté. Dans sa vie professionnelle, il participe à des objectifs de croissance et de rentabilité, alors que dans sa vie personnelle, il s’engage à un mode de vie plus raisonné et veille à moins consommer. Un non-sens qu’il a du mal à accepter.

Comment gère-t-il au quotidien ? « Je ne le vis pas très bien, mais je sais que je ne vais pas rester très longtemps, donc cela me fait relativiser sur ma situation. J’essaye de prendre tout le positif, c’est-à-dire le fait que j’apprends le métier, que je me forme un minimum… je cherche à apprendre seul et à être plus efficace. » Quand on lui demande pourquoi il reste, il répond — sagesse oblige — que c’est son premier emploi et que cette expérience lui ouvre les yeux sur le monde de l’entreprise. Dans la vie, parait-il, il faut avoir eu un bon et un mauvais manager, pour ensuite savoir comment manager avec justesse…

« Je ne le vis pas très bien, mais je sais que je ne vais pas rester très longtemps, donc cela me fait relativiser sur ma situation » - Alexandre

« Je dois lancer des saisies immobilières (…) je sais que c’est constamment mal vu, donc j’ai toujours mon petit argumentaire »

Armelle, 26 ans, travaille quant à elle en tant que juriste chargée des recouvrements contentieux dans une banque depuis trois ans. En d’autres termes, elle défend les intérêts de la banque envers ses clients et anciens clients qui n’ont pas remboursé leurs emprunts ou leurs découverts. « Quand le dossier arrive dans mes mains, c’est que ça s’est mal passé. Je lance les actions judiciaires telles que des saisies immobilières… Au quotidien cela me heurte, car ce sont des actes violents. Derrière, il y a des familles complètes qui basculent dans des situations très compliquées. »

Quand elle explique son métier en soirée, elle se tient toujours prête à se justifier, tant l’image du métier est déplorable. C’est d’ailleurs parce qu’elle ne saisissait pas comment un tel métier pouvait être exercé qu’elle a mis un pied dedans. Elle explique : « J’ai fait un master de droit des contrats et recouvrement de créances. Je me souviens avoir été très intriguée lorsque l’on m’a présenté cette filière. Je savais que j’aimais la procédure, que je trouvais ça intéressant, mais je me demandais : est-ce que je serais capable de faire “ça”, d’aimer ce travail malgré le fait d’annoncer des mauvaises nouvelles et de faire basculer la vie d’inconnus ? Le métier d’huissier m’attirait beaucoup pour ces mêmes raisons, j’étais interloquée. En fait, je l’ai fait un peu comme un défi et je me suis rendue compte petit à petit que ce métier demandait beaucoup d’empathie, mais il faut en même temps garder une certaine distance. Il y a une part de mon métier qui me plait énormément car nous avons un contact permanent avec les gens. En revanche, il y a un aspect très dur qui peut être gênant. »

Pour bien le vivre, Armelle se concentre sur la qualité de la relation humaine qu’elle tisse avec ses interlocuteurs. « En contrepartie, je veille systématiquement à m’entretenir avec mes clients avec douceur, sans brutalité, je limite les dégâts du mieux que je peux. Je fais les choses dans le moindre mal. » Elle déplore le fait que son métier ne soit jamais associé aux qualités relationnelles, pourtant primordiales. « C’est un métier qui peut parfois être mal fait, c’est pour ça que je mets toute mon énergie dans le fait de bien faire. En fait, si je fais ce métier, c’est que je préfère que ce soit moi qui le fasse, plutôt qu’une personne qui mettrait moins les formes. » Pour Armelle, la notion de sacrifice n’est pas loin. C’est sans doute grâce à cette responsabilité qu’elle tient et qu’elle accepte de mettre certaines de ses valeurs au placard.

« Si je fais ce métier, c’est que je préfère que ce soit moi qui le fasse, plutôt qu’une personne qui mettrait moins les formes » - Armelle

« Oui, envoyer un courrier à la banque de France pour contester un client est loin d’être agréable, et dénoncer, pointer du doigt n’est pas quelque chose que je fais spontanément. Mais dans ce cas précis, j’en comprends l’utilité. C’est d’ailleurs ce qui me sauve. Ça a un vrai sens pour moi » confie Armelle. « Je crois en ce que je fais, je crois en l’importance du droit, dans le fait que nous avons besoin de ces règles. On ne peut pas accepter que les contrats ne soient pas respectés. »

Pour elle, l’image du métier est sans doute mis à mal par certains comportements, qui la mettent d’ailleurs mal à l’aise, notamment face à l’environnement cynique dans lequel elle évolue, ainsi que le rapport à l’argent. « Dans les couloirs, j’entends souvent des termes qui me choquent vraiment à propos des clients. Certains collaborateurs les traitent de “casos”. Mais je pense que c’est leur façon de se blinder, de déshumaniser l’autre. Il y a un aspect très dur. D’ailleurs, j’ai vraiment évolué en personnalité. J’ai appris à inhiber des réflexes humains. »

Quand Armelle parle de ses réflexes humains, c’est de ses émotions qu’il s’agit. Elle a appris à les bloquer, à chasser son élan naturel à consoler l’autre. Sa mission l’oblige à ne pas trop s’épancher. « Quand tu as quelqu’un en face de toi qui est en détresse, c’est très dur de le regarder dans les yeux et de ne pas réagir à sa souffrance. Je dois continuer, malgré son désespoir, à lui expliquer comment sa maison va être saisie, par exemple. C’est un peu contre nature, mais je le fais car c’est mon rôle. »

« Je supporte mal ne pas pouvoir être moi-même »

Manon est quelqu’un de direct, qui n’aime pas tourner autour du pot et qui déteste par dessus tout l’hypocrisie. Quand elle atterrit dans une start-up, elle pense avoir trouvé la culture d’entreprise en phase avec sa personnalité. Mais très vite, cet “esprit start-up” la bloque. « J’ai été gênée par le fait que l’on nous encourage à être amis, que l’on nous propose d’aller boire des verres ensemble mais qu’une hiérarchie soit imposée et omniprésente une fois que l’on retourne travailler. J’étais donc très proche de mes managers mais je devais ensuite toujours faire attention à ce que je leur disais. Il faut presque avoir une double personnalité ! » Dans son travail précédent, Manon vouvoyait ses managers. La limite entre la sphère perso’ et pro’ était nette, la relation, elle, était hiérarchisée et formelle. Dans la start-up qu’elle intègre, c’est tout l’inverse.

« J’ai été gênée par le fait que l’on nous encourage à être amis, mais qu’une hiérarchie soit imposée et omniprésente une fois que l’on retourne travailler » - Manon

Le problème selon elle ? La volonté pour la start-up d’encourager des relations amicales, spontanées, naturelles entre managers et collaborateurs tout en voulant maintenir une hiérarchie verticale. « Compte tenu de l’amitié tissée au fil des mois, je veux parler à mon boss comme je parle à un ami. Or, ce n’est pas accepté, ce qui est en contradiction avec les valeurs prônées par la start-up. » Elle précise : « On me dit d’être moi-même, de dire ce que je pense, mais en fait, il ne faut surtout pas faire du grabuge. On parle très peu de sujets qui fâchent, de politique, ou de tout ce qui pourrait amener à un débat pour éviter les disputes et les débordements. J’ai plusieurs fois été en désaccord avec des opinions, des manières d’être, j’ai même assisté à des scènes de sexisme ordinaire, mais comme c’est mon travail, et que je dois faire mes preuves, je n’ose pas dire que je ne suis pas d’accord. » Pour cultiver ses bonnes relations dans l’entreprise, Manon n’a pas d’autre solution que de se taire alors qu’en temps normal, elle aurait débattu. « Et finalement, je ne suis pas moi-même, dans une entreprise qui pense que je le suis. »

D’après la jeune communicante, cette manière d’être et cet état d’esprit viennent tuer la spontanéité des collaborateurs. Et l’ambiance générale, pour elle, devient vite hypocrite. « On est finalement obligé d’agir d’une manière particulière pour que la vie en communauté se passe bien. Il faut finalement faire attention à tout pour cultiver une harmonie dans le travail et une bonne ambiance. » Pourtant, l’entreprise affiche haut et fort des valeurs de transparence. Comment a-t-elle réussi à gérer ? Manon a choisi de démissionner de la start-up, ne se sentant pas à l’aise avec le milieu traditionnel de l’entreprise. Comme Alexandre, Manon rêve d’explorer d’autres manières de collaborer, que ce soit en tant qu’indépendante ou au cœur d’un collectif.

« Et finalement, je ne suis pas moi-même, dans une entreprise qui pense que je le suis. » - Manon

Comme en témoignent ces 3 profils, le monde du travail peut parfois se montrer peu accueillant pour nos valeurs personnelles. Il est donc important de savoir s’analyser pour identifier celles que nous ne souhaitons pas sacrifier et ainsi mieux faire notre choix d’entreprise…

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Photo d’illustration by WTTJ

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