“Working” : comment la série Netflix d’Obama résonne en France
05 sept. 2023
5min
Journaliste Modern Work
Dans “Working : What We Do All Day” (à découvrir en quatre épisodes sur Netflix), Barack Obama part à la rencontre de l’Amérique au travail et découvre les rêves, les difficultés et les sacrifices d’une fresque de travailleurs et travailleuses. Le documentaire fait la part belle aux invisibles et résonne en France à travers des thèmes comme le délitement de la classe moyenne, les difficultés du secteur de la santé ou encore la place des syndicats.
« Interroger des gens ordinaires sur leur vision du travail. » Voilà la mission que Barack Obama s’est donné à travers le documentaire Netflix “Working: What We Do All Day”. Inspiré par le travail de l’historien et journaliste de radio Studs Terkel (et par son ouvrage “Working”), l’ancien Président des Etats-Unis, nous entraîne dans les coulisses et couloirs de trois industries : l’aide à domicile, la tech et l’hôtellerie.
Faire l’introspection d’une entreprise
Chaque épisode dépeint une catégorie spécifique de travailleurs : des emplois alimentaires jusqu’aux postes à hautes responsabilités en passant par les métiers-passion, seuls les lieux et les entreprises restent les mêmes. On dissèque ainsi chaque firme à travers ses différentes strates. C’est le cas de l’hôtel new-yorkais The Pierre, un établissement de renom qui toise Central Park du haut de ses 44 étages, que Barack Obama nous invite à découvrir « de la porte de service jusqu’aux suites de luxe. » Le documentaire fait la focale sur les petites mains qui font vivre le lieu, à commencer par celles d’Elba, au service d’étage depuis 22 ans. « Parfois, quand vous saluez quelqu’un dans les couloirs, il ne vous répond pas », relate-t-elle alors qu’elle nettoie une chambre. À l’inverse, quand le propriétaire de l’hôtel arpente les couloirs, tout le monde le salue, à commencer par le personnel. Cette différence de traitement souligne l’invisibilisation d’une partie de la classe ouvrière, dont les maux trouvent peu de résonance dans les médias et dans les agendas politiques. Comme aux États-Unis, en France, les classes populaires représentent pourtant près de la moitié des emplois d’après une étude de l’Observatoire des inégalités. Ils seraient ainsi 12 millions dans l’Hexagone à se sentir laissés pour compte.
Dans le documentaire, cette précarité se retrouve davantage encore avec Home Care Mississipi, une société d’aide à domicile du sud des États-Unis. On y rencontre les auxiliaires de vie, une responsable d’équipe puis Jeanette, la CEO. Cette dernière, touchante d’exemplarité, amoindrit son salaire chaque mois pour maintenir son entreprise à flot. Victime du manque de subventions, sa société subit les difficultés liées au secteur de la santé.
En tant que spectateur français, le parallèle est tristement facile. Les métiers du “care” (soins à la personne, souvent à domicile) sont les grands oubliés du Ségur de la Santé, cette grande consultation nationale des acteurs du système de soins français, initiée en 2020 par le gouvernement et qui avait permis une revalorisation des salaires du personnel de l’hôpital public. Mis au ban, le métier d’auxiliaire de vie cumule pénibilité et faible rémunération malgré son caractère essentiel : les assistantes maternelles comme les aides à domicile (c’est un métier très féminisé) répondent aux besoins des personnes dépendantes. En 2021, le député insoumis François Ruffin sortait un documentaire sur ces travailleuses invisibilisées : Debout les femmes ! “Working : What We Do All Day” se veut plus nuancé, en basculant aussi du point de vue des managers pour illustrer les difficultés d’encadrer une équipe qui travaille dans des conditions difficiles.
La question de la représentativité
Dans “Working”, les femmes au travail occupent une place importante. Qu’elles soient agents d’entretien comme Elba, livreuses UberEats comme Carmen ou CEO d’une entreprise comme Jeanette, elles ont pour point commun d’additionner leur activité professionnelle et leur rôle de mère dans une société patriarcale. Randi doit même arrêter son activité d’aide à domicile pour pouvoir s’occuper de sa fille. Au fil des épisodes, et alors que l’on grimpe les échelons de la hiérarchie, un autre constat s’impose au regard : plus les postes sont “à responsabilités” (et bien payés !) plus les femmes disparaissent au profit de leurs homologues masculins. Une réalité visuelle qui rejoint celle des chiffres français : seuls 21% des dirigeants salariés sont des femmes en France d’après une étude de l’INSEE de 2019.
A contrario, la série occulte presque entièrement la question des travailleurs immigrés aux États-Unis, alors même qu’ils représentent environ 17% de la force de travail outre-Atlantique. En plein nettoyage d’une chambre du Pierre Hôtel, Elba raconte brièvement ses débuts difficiles à New-York en tant qu’expatriée dominicaine : « Je ne parlais pas anglais, juste espagnol. Je ne savais pas utiliser l’aspirateur. Mes bras étaient toujours endoloris, car je n’avais pas d’expérience. » Le secteur de l’hôtellerie-restauration peine à recruter depuis la crise sanitaire et l’afflux de main d’œuvre (qualifiée ou non) venue d’Amérique Centrale et du Sud est une aubaine pour ce secteur en crise. En France la problématique est similaire et pour faire face à une pénurie de personnel dans les cafés, hôtels et restaurants, les établissements n’hésitent plus à embaucher des mineurs le temps d’un été ou encore à se tourner davantage du côté des travailleurs immigrés. Mais les solutions sont encore à trouver : faut-il créer un titre de séjour “métiers en tension” ? ou proposer la suppression du délai de carence pour que les demandeurs d’asile puissent travailler dès leur arrivée sur le territoire français ?… Les débats risquent en tout cas de s’intensifier dans les mois à venir, à l’aube du futur projet de loi immigration. D’après le ministère de l’Intérieur, les immigrés représentent près d’un actif sur dix dans l’Hexagone.
Défendre le bien-être des salariés
Interrogée sur son salaire, Elba affirme gagner environ 4 000 dollars par mois pour son activité de femme de ménage en hôtellerie. Un revenu stable qu’elle dit devoir en partie au syndicat de l’hôtel, qui défend les droits des employés au sein de l’entreprise. Beverly, déléguée du syndicat au Pierre Hôtel, lutte contre les suppressions de poste chez les réceptionnistes : « Ça n’arrivera pas ici. Pas facile de nous éliminer, c’est à ça que sert le syndicat. », scande-t-elle à ses collègues à l’heure du déjeuner. Pourtant aux États-Unis, le taux de syndicalisation dans le secteur privé est sous la barre des 10% depuis une vingtaine d’années, contre environ 35% dans les années 1950. Même constat en France, malgré une longue tradition de luttes syndicales et des mobilisations de masse pour les droits des travailleurs. Aujourd’hui, les syndicats cherchent à renouveler leur image et à défendre les droits des travailleurs au regard de nouvelles problématiques, comme l’enjeu climatique. C’est le cas de Printemps écologique, un éco-syndicat qui interroge la place des salariés en entreprise à travers des grilles de lecture environnementales.
À l’inverse, aux États-Unis, le lobbying se substitue à l’action syndicale. Cette pratique, décomplexée dans le pays, consiste à représenter les intérêts d’un groupe privé auprès de décideurs politiques afin d’influencer leurs décisions. “Working” nous emmène aussi du côté de Washington DC, au Capitole, pour suivre Kenny, lobbyiste au service de Home Care Mississippi, l’entreprise d’aide à domicile de Carmen. Cet ancien sénateur cherche à sensibiliser ses confrères d’hier sur le manque de subventions destinées au secteur du “care”, dont pâtissent les auxiliaires de vie. Les lobbyistes, ou représentants d’intérêts, ont parfois mauvaise presse en France du fait des origines de la pratique, qui tendait vers des négociations de couloirs aux contours parfois flous, comme l’expliquait Claire Lhéritheau-Calmépour Welcome To The Jungle.
Barack Obama conclut son exploration des strates du monde du travail par une rencontre avec Natarajan Chandrasekaran, propriétaire du Pierre Hôtel et CEO du groupe indien Tata. Ce dernier lui confie que le bien-être des salariés est l’une de ses priorités sans pour autant évoquer les actions syndicales menées au sein de son entreprise. Les deux hommes s’accordent sur la similitude des problèmes rencontrés dans différents secteurs d’activité à travers le monde. À Mumbai, Pittsburg ou Paris, beaucoup de métiers essentiels n’attirent plus car ils ne sont pas assez valorisés par le salaire, les conditions de travail ou l’apport de compétences. L’universalité de la question du bien-être au travail alerte l’homme d’affaires indien : « La prospérité économique ne se mesure pas seulement au PIB. Si on ne règle pas cela, un désastre à long terme se profile. »
Article édité par Clémence Lesacq - Photo Netflix
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