Connaissez-vous l’effet de compensation morale ?
10 déc. 2019
2min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
NOUS SOMMES TOUS BIAISES - C’est un fait : nous sommes tou·te·s victimes des biais cognitifs. Vous savez ces raccourcis de pensée de notre cerveau, faussement logiques, qui nous induisent en erreur dans nos décisions quotidiennes, et notamment au travail. Dans cette série, notre experte du Lab Laetitia Vitaud identifie les biais à l’oeuvre afin de mieux comprendre comment ils affectent votre manière de travailler, recruter, manager… et vous livre ses précieux conseils pour y remédier.
Explication
Est-ce qu’il vous est déjà arrivé, après une séance de sport intense (et pénible) de vous dire que, quand même, vous aviez bien mérité ce pain au chocolat ? Ou bien d’envoyer bouler quelqu’un sans précaution parce que vous aviez été particulièrement gentil avec quelqu’un d’autre plus tôt dans la journée ? L’effet de compensation morale (moral licensing, en anglais), c’est le biais qui concerne l’effet d’une bonne action à l’instant T sur les actions faites à T+1.
On pourrait penser que des actions entreprises à différents moments sont déconnectées, mais, en réalité, de nombreuses études ont montré qu’une bonne action pourrait nous « désinhiber » par la suite pour en commettre de « mauvaises ». La réalisation d’un acte moralement valorisable « légitime » en quelque sorte un acte moins valorisable commis plus tard. Une fois qu’on a pu faire la preuve (à soi-même et au monde) de ses bonnes valeurs morales, on peut se sentir légitimé à enfreindre ces valeurs par la suite.
On trouve des illustrations de cet effet dans le monde du marketing. Par exemple, les programmes des compagnies aériennes qui offrent aux clients la possibilité d’acheter des crédits carbone pour limiter le rôle des avions dans le changement climatique ont surtout réduit la culpabilité des clients et contribué à augmenter le trafic aérien.
Conséquences pour les ressources humaines
L’effet de compensation morale permet de comprendre pourquoi les programmes visant à mieux faire connaître les biais cognitifs échouent à changer les comportements et n’ont pas pour effet d’augmenter la diversité des équipes. En 2016, un dossier du magazine Harvard Business Review intitulé « Pourquoi les programmes de diversité ne marchent pas » (« Why Diversity Programs Fail ») était consacré à ce sujet. « Les effets positifs des programmes de formation sur la diversité ne durent en général qu’un jour ou deux, et de nombreuses études ont montré qu’ils peuvent même renforcer les biais cognitifs », peut-on lire dans ce dossier.
Ce biais cognitif explique également pourquoi les entreprises qui parlent le plus de méritocratie sont souvent les moins méritocratiques. « Brandir la méritocratie comme une valeur, cela engendre des comportements discriminatoires », explique cet article de Fast Company « Des études de neuroscience et de psychologie expliquent que les gens qui croient fortement dans la méritocratie ont tendance à être plus égoïstes, à ne pas faire leur auto-critique et à agir de manière discriminatoire », explique encore cet article. C’est le « paradoxe de la méritocratie » : quand un.e manager croit dur comme fer que c’est le mérite qui explique le succès, il / elle est moins susceptible de faire son auto-critique.
Comment y remédier ?
Prendre conscience de l’existence des biais cognitifs ne suffit pas. Pire, les programmes qui s’arrêtent à la prise de conscience peuvent avoir des effets pervers. Il faut donc aller plus loin.
Les solutions pour augmenter la diversité sont multiples et nécessairement ambitieuses :
- Ne faites pas de la méritocratie une « valeur » mais faites la transparence sur les chiffres relatifs aux effectifs, aux règles du jeu ou aux salaires.
- Fixez des objectifs chiffrés en matière de diversité et offrez des primes aux managers qui atteignent ces objectifs.
- Transformez votre processus d’évaluation.
Inspirez-vous davantage sur : Laetitia Vitaud
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l'âge et du travail des femmes
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