Culture d'entreprise : découvrez les leçons des grands leaders de l'Histoire
03 févr. 2020
7min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
LE BOOK CLUB DU TAF - Dans cette jungle (encore une !) qu’est la littérature traitant de la thématique du travail, difficile d’identifier les ouvrages de référence. Autrice et conférencière sur le futur du travail, notre experte du Lab Laetitia Vitaud a une passion : lire les meilleurs bouquins sur le sujet, et vous en livrer la substantifique moelle. Découvrez chaque mois, son dernier livre de chevet pour vous inspirer.
Aujourd’hui, plongée dans « What You Do Is Who You Are : How to Create Your Business Culture » (William Collins, 2019), le passionnant dernier ouvrage de Ben Horowitz où il plonge dans l’Histoire pour rapporter des exemples de cultures puissantes dont s’inspirer en entreprise.
La culture, cette force incroyable
Qu’est-ce que la culture d’entreprise ? Et comment la façonner pour servir votre mission ? Ben Horowitz, auteur à succès et professionnel du capital-risque dans la Silicon Valley, insiste sur le fait que « ce sont nos actes qui nous définissent » et que la culture de notre entreprise en dépend. « La culture, ce n’est pas un ensemble de valeurs que vous collez sur un mur. Ce n’est pas ce que vous dites dans les discours et les réunions. Ce n’est même pas ce en quoi vous croyez. C’est ce que vous faites et qui vous êtes. »
Ben Horowitz est cofondateur et associé général de la célèbre société de capital-risque Andreessen Horowitz. Ce livre n’est pas son premier : The Hard Thing About Hard Things (2014), publié en France en 2018 (Dunod) sous le titre Hard Thing. Entreprendre dans l’incertitude, est un récit sincère et drôle de ses années d’entrepreneur et de manager, devenu un classique sur l’entrepreneuriat. Cette fois, toujours avec un talent narratif indéniable, Horowitz emmène ses lecteurs dans un voyage à travers l’Histoire pour leur prodiguer de précieuses leçons de culture et de leadership.
« La culture de votre entreprise, c’est la façon dont les décisions sont prises quand vous n’êtes pas là. C’est l’ensemble des principes que vos employés utilisent pour résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés chaque jour. C’est la manière dont ils se comportent quand personne ne les regarde. Si vous ne créez pas votre culture d’entreprise avec méthode, alors elle reposera en majeure partie sur des accidents, dont certains seront malheureux. »
La culture c’est aussi l’un de ces concepts dont tout le monde aime parler, mais dont personne n’arrive à donner une définition précise. Qu’est-ce que la culture ? Horowitz, comme tout le monde, trouve qu’il est plus facile de dire ce qu’elle n’est pas plutôt que ce qu’elle est. « Est-ce que les chiens au bureau et le yoga dans la salle de repos, c’est de la culture ? Non, il s’agit d’avantages. » Bien que les intentions que l’on y met soient bonnes, elles sont loin d’être suffisantes pour soutenir une culture saine. En effet, la culture peut être modifiée par accident : « On dit dans l’armée que si on voit quelque chose de médiocre et qu’on ne fait rien, alors on a établi une nouvelle norme. »
Horowitz propose une définition courte et efficace de la culture : « La culture, ce n’est pas un ensemble de règles magiques qui font que tout le monde se comporte comme on le voudrait. C’est un système de comportements que vous espérez que la plupart des gens suivront la plupart du temps. » Et c’est une grande force, poursuit-il. Même si elle change avec le temps et qu’elle ne suffit pas, la culture « est la grande force de l’univers ».
Les 4 modèles de cultures dont s’inspirer
Pour faire valoir son point de vue, Horowitz a choisi quatre « modèles » qui ont réussi à mettre en place les cultures qu’ils voulaient :
Les leçons de Toussaint Louverture
François-Dominique Toussaint Louverture (1743-1803) était un général haïtien qui a mené la première et la seule insurrection d’esclaves ayant abouti. À l’époque napoléonienne, il fit de Saint-Domingue une colonie autonome de facto, dont il devint le gouverneur.
Horowitz détaille « les 7 tactiques clés » de Louverture, qui expliquent son succès selon lui :
- Conserver ce qui fonctionne : pour gagner, Louverture a utilisé les forces culturelles existantes. Les chansons vaudou que les esclaves chantaient étaient utilisées comme une technologie de communication avancée. De même, lorsqu’il a repris le contrôle d’Apple, Steve Jobs s’est appuyé sur les aspects de la culture de l’entreprise qui l’avaient distinguée dans le passé (design, intégration hardware/software…).
- Créer des règles surprenantes : la « règle surprenante » de Louverture consistait à interdire à ses officiers d’avoir des concubines. L’idée était de faire de la confiance le ciment de la culture du groupe : « Le mariage, l’honnêteté et la loyauté étaient les symboles de la société que Louverture aspirait à diriger. » Une « règle surprenante » génère des questions qui sont l’occasion de clarifier la culture. Par exemple, la règle d’Amazon : « Pas de présentations powerpoint dans les réunions » est une « règle surprenante ».
- S’habiller pour le succès : Louverture et ses soldats portaient les uniformes militaires les plus sophistiqués, car un code vestimentaire affecte le comportement. Ils voulaient s’habiller comme ceux qui les avaient dominés.
- Intégrer des leaders de l’extérieur : plutôt que d’exécuter les chefs vaincus, Louverture a souvent formé une alliance avec eux et les a laissés gouverner une région en utilisant leur connaissance de la culture locale. Une grande culture doit s’adapter aux circonstances, explique Horowitz. Et cela implique de « faire appel à un dirigeant extérieur venant de la culture des marchés / secteurs que vous souhaitez conquérir ».
- Prendre des décisions qui démontrent les priorités culturelles : Louverture a laissé vivre les propriétaires de plantations parce que le bien-être économique du pays était plus important que la vengeance. Il y a dix ans, Netflix a exclu tous les cadres en charge de l’activité DVD de la réunion hebdomadaire de la direction pour faire évoluer la culture vers le contenu et le streaming.
- Passer à l’action : « Aucune culture ne peut s’épanouir sans la participation enthousiaste de son leader ». Même les actions accidentelles d’un leader peuvent définir la culture. Par exemple, le choix d’Hillary Clinton de privilégier son confort personnel plutôt que la sécurité (dans la façon dont elle a traité ses emails) a éloigné la culture de sa campagne des questions de cybersécurité. Indirectement, cela a provoqué le piratage du compte de son chef de campagne.
- Expliciter les principes éthiques : Louverture a progressivement imposé des standards de conduites plus exigeants à son armée d’esclaves. Ce n’est pas cela qui s’est produit chez Uber où les problèmes culturels sont devenus visibles du monde entier après que Susan Fowler a publié un article qui révélait à quel point la culture de l’entreprise de services de transport était peu éthique.
Les vertus des Samouraïs
Les samouraïs, membres de la classe guerrière du Japon féodal, avaient un code de conduite qui leur a permis de régner sur le Japon pendant 700 ans. S’inspirant du shintoïsme, du bouddhisme et du confucianisme, la « voie du guerrier » (Bushido), « s’applique extraordinairement bien » à « l’approche méticuleuse de la construction d’une culture à 360 degrés » selon Horowitz. Les samouraïs ont défini la culture comme un ensemble de vertus. Les valeurs se résument à nos croyances tandis que les vertus transparaissent dans nos actes. Et ce sont nos actes qui comptent.
La culture japonaise se caractérise par une minutie exceptionnelle et un souci extrême de la qualité. La « règle surprenante » du Bushido consiste à rappeler constamment qu’il ne faut jamais oublier la mort. « Si vous avez conscience que chacun de vos actes peut être le dernier, alors votre travail se fait plus précis. Toutes les vertus du Bushido ont fonctionné de concert, comme un système.
L’honneur était considérée comme la partie immortelle de chaque guerrier. « Votre réputation individuelle devrait être en jeu dans tout ce que vous faites (…) êtes-vous prêt à engager votre honneur ? » La politesse est un ensemble complexe de règles qui déterminent comment le samouraï doit se comporter dans chaque situation. Et la sincérité est « la fin et le début de toute chose ».
L’onboarding du prisonnier Shaka Senghor
Shaka Senghor (James White de son vrai nom) a été emprisonné pour meurtre pendant 19 ans. En prison, il a réussi à diriger un gang, et a finalement utilisé sa position de dirigeant pour inciter les membres à œuvrer pour le meilleur.
Au début de son incarcération dans la prison d’État, Shaka a d’abord été maintenu en quarantaine. Le jour même où il en est sorti, il a vu quelqu’un se faire poignarder dans le cou. C’était son « orientation » (onboarding) dans la culture de cette prison.
Cette anecdote amène Horowitz à réfléchir à l’importance de la première impression au travail. « Les gens en apprennent plus sur ce qu’il faut pour réussir dans votre entreprise ce jour-là, que n’importe quel autre. Ne laissez pas cette première impression être fausse ou accidentelle. »
La culture inclusive de Gengis Khan
Gengis Khan (1162-1227) fut le fondateur et l’empereur de l’Empire mongol, qui devint le plus vaste empire de l’Histoire. Il est arrivé au pouvoir en réunissant de nombreuses tribus nomades d’Asie du Nord-Est qui lui sont toutes devenues fidèles. Pour Horowitz, « Khan était le chef militaire le plus efficace de l’Histoire ».
Son succès doit beaucoup à sa capacité à créer une « culture inclusive ». Les trois piliers de la culture réussie de Khan sont :
- La méritocratie : « L’armée de Gengis était entièrement composée de cavaliers, donc ils étaient tous égaux et se déplaçaient tous rapidement ». En convertissant son armée en une méritocratie, Khan l’a débarrassée de tous les exécutants médiocres qui empêchent la victoire.
- La loyauté : en élevant la loyauté à un principe supérieur, il a créé un avantage militaire décisif. Il était extrêmement loyal envers ses soldats, et eux-mêmes l’étaient envers lui.
- L’inclusion : Gengis Kahn a incorporé des hommes des troupes vaincues dans son armée et « s’est établi comme un employeur favorisant le principe de l’égalité des chances ». Il a également encouragé les mariages mixtes pour intégrer les tribus.
L’importance de créer SA propre culture d’entreprise
Il n’y a pas d’approche unique pour créer une culture d’entreprise. Elle doit correspondre à un but, une mission, une stratégie et un modèle d’affaires. De plus, elle n’est pas statique : elle doit évoluer avec le temps pour aider une entreprise à relever de nouveaux défis. « La culture, c’est le reflet de ce à quoi vous aspirez. »
Horowitz encourage ses lecteurs à être eux-mêmes. « La clé du leadership : vous devez être vous-même. Si vous essayez d’être quelqu’un d’autre, non seulement vous serez incapable de diriger, mais vous aurez honte quand les gens vous imitent. » Ses conseils rappellent une citation célèbre souvent attribuée à Oscar Wilde : « Soyez vous-même, tous les autres sont déjà pris. »
Chaque culture doit refléter la personnalité des fondateurs de l’entreprise et être conçue de cette façon. Mais chaque culture aura aussi des caractéristiques différentes. En fonction de leur mission, différents groupes peuvent développer différentes sous-cultures. Par exemple, les équipes sales et les équipes produit ont souvent des sous-cultures différentes au sein des entreprises. « Lorsque vous posez une question à un·e ingénieur·e, son instinct lui dicte d’y répondre avec la plus grande précision. Quand vous posez une question à un·e commercial·e, il/elle va essayer de comprendre la question qui se cache derrière la question. »
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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