Zoom sur la culture de la créativité unique chez Pixar
21 août 2018
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
L’auteur de Creativity, Inc. est aussi le cofondateur de Pixar Animated Studios (avec Steve Jobs et John Lasseter). Creativity, Inc. est un livre passionnant consacré au management – oui, un livre qui parle de management peut être passionnant ! – qui s’intéresse aux méthodes que les managers peuvent utiliser pour créer de la valeur avec des employés originaux et créatifs. Il apporte également une occasion unique de découvrir Pixar de l’intérieur, comprendre son fonctionnement interne, ses story meetings, ses sessions post-mortem et « Braintrust » où l’art prend vie.
Catmull a consacré toute sa carrière à cultiver la créativité des autres. Et en matière de travail créatif, Pixar est un exemple : l’entreprise domine le monde de l’animation depuis deux décennies avec des succès au box-office comme Monstre et Cie, Nemo, Les Indestructibles, Là-haut. Des récits joyeux, des scénarii inventifs, une animation brillante : Pixar est aussi créatif qu’une entreprise créative peut l’être.
Dans son livre, Catmull révèle les modèles et techniques de RH qui ont fait de Pixar une société admirée et rentable. Pour nourrir la créativité sur le long terme, Pixar a d’abord dû créer une culture de la créativité…
Comment développer une culture de la créativité ?
Ed Catmull et ses collègues ont créé un environnement de travail unique basé sur une philosophie de leadership et de management conçue pour protéger le processus créatif. Voici quelques-uns des grands principes qu’ils ont mis en place :
- Le travail d’un manager n’est pas de prévenir les risques. Son travail consiste à s’assurer que tout le monde est suffisamment à l’aise pour prendre des risques. « [Beaucoup de gens] pensent que cela signifie accepter l’échec avec dignité et aller de l’avant. Plus l’interprétation est bonne et subtile, plus l’échec est une manifestation de l’apprentissage et de l’exploration. Si vous ne faites pas l’expérience de l’échec, vous faites une erreur bien plus grave : c’est le désir de l’éviter qui vous dirige. Pour les dirigeants en particulier, cette stratégie – essayer d’éviter l’échec en se focalisant dessus – vous condamne à échouer ».
- Un environnement hostile à l’échec finit par être plus onéreux qu’un environnement ouvert aux risques. Essayer constamment d’éviter les erreurs vous obligera également à éviter tout ce qui est innovant. Vous ne pouvez pas être créatif si vous voulez à tout prix éviter les erreurs. « Dans une culture fondée sur la peur et qui est effrayée par le risque, tout le monde va éviter le risque, consciemment ou inconsciemment. Les employés chercheront plutôt à répéter quelque chose de sûr et d’éprouvé qui s’est révélé plutôt efficace par le passé. Leur travail sera un dérivé, il ne sera pas innovant. Mais si vous pouvez favoriser une compréhension positive de l’échec, c’est exactement le contraire qui se produira ».
- La surplanification étouffe l’innovation. Si vous voulez que vos employés défrichent des chemins inexplorés, ne planifiez pas trop ! Comme l’a dit Steve Jobs, « vous ne pouvez pas connecter les points en regardant devant vous ; vous ne pouvez les connecter qu’en regardant en arrière ». « Donc, si votre objectif principal est de disposer d’un plan précis où tout est parfaitement prévu, vous augmentez uniquement vos chances de ne pas être original. Et vous ne pourrez pas non plus planifier la façon de résoudre d’éventuels problèmes. Même si la planification est essentielle, et nous en faisons beaucoup, il y a vraiment peu de choses que vous pouvez contrôler dans un environnement créatif ».
- Tout le monde doit pouvoir communiquer avec chacun des autres membres de l’entreprise. En aucun cas la structure de la communication ne doit refléter celle de l’organisation. « Toute personne devrait pouvoir parler à n’importe qui, à n’importe quel niveau, à tout moment, sans craindre d’être réprimandé. La communication ne devrait plus passer par des voies hiérarchiques ».
- Les erreurs n’ont pas d’importance, c’est la réaction qui compte. Tout le monde doit pouvoir intervenir et apporter des solutions. « Vous n’avez pas à demander la permission de prendre des responsabilités ».
Embaucher des personnes avec du potentiel plutôt qu’avec des compétences
La plupart des recruteurs sont ouverts à l’idée d’embaucher des personnes avec du potentiel, mais ils accordent plus d’importance aux candidats qui ont déjà réalisé ce qu’ils devront réaliser dans le futur. Ce n’est pas évident d’évaluer le potentiel d’une personne, peu importe ce qu’ils ont déjà réalisé.
Après de nombreuses années de recherche sur les accomplissements et la réussite, la psychologue de l’Université de Stanford, Carol Dweck, est parvenue à trouver une distinction simple et profonde entre un état d’esprit « fermé » et « ouvert ». Ed Catmull ne mentionne peut-être pas les recherches de Dweck dans son livre, mais tout ce qu’il écrit confirme l’applicabilité de ce principe en RH, il vaut mieux opter pour un esprit ouvert.
Les personnes fermées croient que le talent et l’intelligence sont des traits de caractère fixes. Ils pensent également que le talent engendre la réussite plus ou moins sans effort. Selon Catmull, c’est tout le contraire ! Les capacités d’un employé se développent grâce à son dévouement et à un travail acharné. Par conséquent, quiconque est résilient et aime apprendre dispose de ce qu’il faut pour accomplir de grandes choses. Les personnes intéressantes ont TOUJOURS une mentalité ouverte.
Les recruteurs ne doivent jamais recruter sur la base de connaissances. En réalité l’ignorance peut même être une bonne chose si elle est associée à un esprit ouvert.
RIEN NE VAUT l’ignorance associée à un besoin impérieux de réussir pour apprendre rapidement.
Les recruteurs doivent donc accorder une attention particulière à l’état d’esprit des candidats. Et les managers doivent s’assurer que cet état d’esprit soit encouragé, nourri et valorisé dans leurs équipes. Lorsque vous vous développez, vous faites des tonnes de fautes en cours de route, ce qui est parfaitement normal.
Apprendre de toutes vos erreurs
Chaque projet (film) nécessite des années et des années de dur labeur. Une fois le travail terminé, les équipes voudraient rapidement passer à leur prochain projet. Mais les équipes de Pixar doivent d’abord faire une réunion « post-mortem » avant de pouvoir continuer. Ils doivent identifier toutes les leçons qui peuvent être tirées du projet précédent, comprendre tout ce qui a mal tourné, mais aussi tout ce qui s’est bien passé. Chaque participant est invité à nommer les 5 choses qu’il ferait de la même manière et les 5 choses qu’il ferait différemment.
Personne ne doit quitter la session « post-mortem » avec un sentiment d’amertume. Aucun malentendu ne doit perdurer. Parce que certains des problèmes peuvent avoir été d’ordre personnel, certains employés peuvent tout d’abord être réticents à l’idée de s’engager dans ce processus « post-mortem ». C’est la raison pour laquelle il est si important d’institutionnaliser le processus, de le transformer en une sorte de rituel. Il est ensuite plus facile de se préparer à l’avenir.
L’originalité est aussi fragile qu’un bébé : il faut la protéger
Dans une grande organisation, l’originalité est toujours menacée, car l’efficacité et les processus sont toujours favorisés. C’est ce que Catmull appelle la « Bête affamée ». La Bête est en demande : elle veut que les budgets et les délais soient strictement respectés, ce qui, bien sûr, est nécessaire dans toute organisation.
Mais la Bête ne doit pas être autorisée à tuer ce que Catmull appelle le « Bébé Moche ». Le rôle du manager est d’empêcher la Bête de menacer le potentiel créatif qui produit des créations incomplètes qui ont besoin de temps pour se développer et devenir parfaites. Au début, toutes les créations sont moches et imparfaites. Laissez-leur le temps de grandir et de s’améliorer ! Ne nourrissez pas la Bête !
Les nouvelles idées sont un peu comme un bébé moche, vous l’aimez, mais vous êtes bien le seul. Il a besoin de temps et d’espace pour grandir.
Pour protéger le Bébé Moche, il faut travailler en équipe, tout comme il faut un village pour élever un enfant :
Vous ne pouvez pas élever ce bébé moche tout seul. Il faut tout un village.
Conclusion
La leçon essentielle de Créativity, Inc. est qu’aucun environnement inducteur de créativité ne peut être créé sans une structure et une culture qui favorise une expression individuelle et un haut niveau d’autonomie.
Selon Catmull, chaque organisation devrait opter pour une approche itérative. Pour survivre, nous devons être capables de nous adapter rapidement et d’apprendre en permanence. Ce qui est vrai pour les individus est également valable pour les équipes. Les leçons de Creativity, Inc. sont très précieuses dans l’ère d’innovations que nous vivons !
Illustration : Pablo Grand Mourcel
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