Don’t Look Up : 5 leçons de leadership au féminin

27 janv. 2022

9min

Don’t Look Up : 5 leçons de leadership au féminin
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Le dernière production Netflix qui cartonne s’appelle Don’t Look Up. Si cette satire du monde contemporain met l’accent sur le déni écologique, elle recèle aussi d’idées et de concepts autour des femmes (de pouvoir). Notre experte Laetitia Vitaud a décortiqué ce film d’actu pour en tirer 5 leçons de leadership au féminin. (Attention, spoilers !)

Don’t Look Up : Déni cosmique, d’Adam McKay, disponible sur Netflix depuis fin décembre 2021, est l’un des films les plus vus et discutés de ce début d’année. L’intrigue a frappé nos esprits : alors qu’une comète se dirige vers la Terre et menace de nous anéantir, deux scientifiques (Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence) se démènent pour alerter le public et pousser les politiques à agir. Ils font face au déni, à l’indifférence, aux fake news, aux exigences absurdes de médias abrutissants et au court-termisme extrême des leaders au pouvoir. L’idée qui ressort, c’est que le système politico-médiatique et la défense de la planète et de l’intérêt général sont structurellement incompatibles.

Le film a avant tout été pensé comme une satire dont l’objet est de dénoncer notre inaction face à l’urgence climatique. Tourné en pleine pandémie, alors que le cirque de la réalité politique semblait dépasser la fiction, le film a pris des allures prophétiques, notamment sur l’emballement des fake news face à un danger imminent. Il a suscité de nombreux débats, souvent passionnants, sur le fait de savoir si la comète était une métaphore bien choisie pour représenter la menace climatique. Pour les critiques, elle est trop éloignée du caractère complexe et multifactoriel du réchauffement de la planète (il ne suffit pas d’une action d’un pays pour en venir à bout). Pour d’autres, elle montre bien notre folie collective.

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Le film m’a beaucoup plu pour la richesse de ses personnages, la représentation critique et apparemment réaliste des cirques médiatiques et politiques qui caractérisent notre (folle) ère numérique, où chacun·e d’entre nous a une capacité de concentration qui n’est plus que de quelques secondes. Mais le film a plusieurs couches et thématiques secondaires que je voudrais analyser ici. En particulier, quelques personnages féminins bien trempés (dont un Donald Trump au féminin haut en couleur joué par Meryl Streep) permettent de développer un thème qui me tient à cœur : le leadership au féminin. Voici 5 leçons tirées de Don’t Look Up.

Blâmez la femme : la « falaise de verre » des femmes de pouvoir

Dans le film

Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), doctorante en astronomie dans une université du Michigan, est la première à détecter la comète et à comprendre, avec l’aide du professeur qui dirige sa thèse (Leonardo DiCaprio), que sa trajectoire menace notre planète. Alors qu’elle alerte ses pairs en prenant la parole dans les médias avec son mentor, ce dernier baptise en direct la comète du nom de Dibiasky, selon la tradition scientifique en vigueur (dont il aurait clairement pu se passer compte tenu le contexte). De cette façon, la catastrophe et elle ne font désormais plus qu’une. Sur Internet, les réseaux sociaux font alors d’elle leur cible de choix, comme si tout était de sa faute à elle… Si les femmes sont donc à blâmer quand les choses vont mal, il semblerait à l’inverse qu’on remercie davantage les hommes quand elles vont bien. Lors de la mission de déviation orchestrée par la Présidente (Meryl Streep), celle-ci propose à Randall Mindy de faire passer un message au monde entier, car il est, selon elle, à l’origine de la découverte de la comète, qui justifie cette opération de sauvetage de la Terre. Le scientifique hésite, il sait que cette paternité (ou maternité devrait-on dire) ne lui revient pas et regarde Kate, mais la soif du pouvoir est plus grande et il prend le micro ainsi tendu.

Dans la vie

Dans l’entreprise comme en politique, les femmes leaders sont plus rares, mais on aime en avoir sous la main pour les accuser de tous les maux. Notre société garde des traces du récit biblique qui fait porter la faute originelle à une femme, Eve, coupable d’avoir causé sa chute et celle d’Adam en mangeant la pomme de la connaissance, qui leur a valu d’être expulsés du paradis. Dans la mythologie grecque, ce n’est guère mieux : c’est Pandore cette fois, qui, par excès de curiosité, ouvre la boîte contenant tous les maux qui s’abattent alors sur l’humanité. Avez-vous également remarqué comment certaines personnes s’improvisent linguistes pour vous sermonner quand vous dites le Covid ? Il faut dire la Covid, forcément ! La cata, c’est une femme. Quel rapport avec le leadership ? J’y viens. En 2004, deux chercheurs britanniques, Michelle K. Ryan et Alexander Haslam, de l’Université d’Exeter, ont examiné le lien entre la performance des entreprises cotées et la nomination de femmes au conseil d’administration. Ils ont constaté une chose étonnante : quand les entreprises vont mal (crise, mauvais résultat, catastrophe…), les femmes ont plus de chances d’être nommées que quand elles vont bien. Ils ont baptisé ce phénomène la « falaise de verre » (Glass Cliff), en écho au célèbre « plafond de verre ». C’est ainsi que les conservateurs britanniques ont choisi Theresa May quand le chaos post-Brexit était insoluble. Quand Yahoo a entamé sa chute, on a mis Marissa Mayer à sa tête. Il va sans dire que ces deux femmes en ont pris plein la figure…

Attention à l’hystérique : le syndrome de Cassandre toujours d’actualité

Dans le film

Kate Dibiasky a fait toutes les observations et tous les calculs : il y a 99,78% de chances que la comète se fracasse sur Terre et anéantisse l’humanité. Évidemment choquée et affolée, elle tente d’alerter ceux/celles qui veulent bien l’entendre de cette menace imminente. Il est encore temps d’envoyer une fusée et quelques bombes pour faire exploser la comète en petits morceaux avant qu’elle ne détruise tout. Hélas, personne ne veut l’écouter. Plus elle prend la parole sur le désastre imminent, plus elle est moquée, vilipendée et critiquée. On la dépeint comme une hystérique. Des mèmes viraux circulent sur Internet pour la décrédibiliser, tandis que son binôme masculin (Leonardo DiCaprio), lui, se fait (un peu) mieux respecter. Mais c’est aussi parce qu’il est en position d’autorité (il est professeur alors qu’elle n’est que doctorante).

Dans la vie

La situation de Kate n’est pas sans rappeler la figure de Cassandre dans la mythologie grecque, à qui Apollon accorde le don de prophétie. Regrettant vite son cadeau, il y ajoute alors une malédiction : elle connaîtra l’avenir mais rien de ce qu’elle dira ne sera pris au sérieux. Personne ne la croira jamais. Beaucoup de femmes se sentent parfois proches de Cassandre quand on doute de leur expertise ou qu’on questionne leur légitimité. Parfois, même quand elles savent, on ne les entend pas. Dans son ouvrage The Authority Gap: Why Women Are Still Taken Less Seriously Than Men, and What We Can Do About It (2021) (« Le fossé de l’autorité : pourquoi les femmes sont moins prises au sérieux que les hommes et ce qu’on peut faire », non traduit), Mary Ann Sieghart a rassemblé données et études pour analyser la manière dont les compétences des femmes sont sous-estimées et leur autorité est déniée. « Le fossé de l’autorité est une mesure du degré de sérieux que nous accordons aux hommes par rapport aux femmes. Nous avons tendance à supposer qu’un homme sait de quoi il parle jusqu’à preuve du contraire. Alors que pour les femmes, c’est trop souvent l’inverse, et par conséquent, les femmes ont tendance à être davantage sous-estimées. Elles ont tendance à être plus interrompues, plus critiquées. Elles doivent davantage prouver leurs compétences et nous nous sentons souvent mal à l’aise lorsqu’elles sont en position d’autorité », explique-t-elle.

La sororité n’a pas encore remplacé la rivalité

Dans le film

Brie Evantee (interprétée par Cate Blanchett) est co-présentatrice d’une émission de télé appelée The Daily Rip. Beau personnage de femme puissante, on comprend que cette journaliste intelligente, ambitieuse et cynique a vendu son âme au diable pour la célébrité. Rien d’autre ne compte que l’audience. Pour faire buzzer les réseaux sociaux, elle reçoit des stars de la pop et les fait parler de leur vie sentimentale. Pour les femmes de sa génération (à l’image de la journaliste Katie Couric, dont le personnage est vaguement inspiré), il fallait éliminer ses rivales pour réussir à la télé. On le sent avec Brie, la « sororité », ce n’est pas une aspiration. C’est une femme qui aime séduire les hommes, au travail comme dans sa vie privée. Quand elle reçoit le duo Dr Mindy (Leonardo DiCaprio) et Dibiasky (Jennifer Lawrence), elle développe très vite une aversion pour la femme invitée tandis qu’elle trouve le professeur charmant.

Dans la vie

Depuis quelques années, le concept de « sororité » est à la mode quand on parle de leadership au féminin. De nombreuses femmes affirment vouloir en aider d’autres à gagner en pouvoir. Le féminisme d’aujourd’hui critique l’idée que les femmes entretiennent forcément des relations de rivalité entre elles. C’est pourquoi, déjà dans les années 1980, la dessinatrice lesbienne Alison Bechdel avait mis au point le fameux « test Bechdel » pour critiquer la vision hétérocentrée des relations femmes-hommes dans le cinéma. Hélas la rivalité existe toujours dans les univers sexistes où les femmes sont rares (la finance, la tech, par exemple). Là où les places sont chères et les codes genrés traditionnels dominants, la sororité n’existe pas. En réalité, les deux modèles – rivalité et sororité – coexistent. Ils sont tous les deux symptomatiques d’un monde qui reste encore souvent hostile aux femmes. Christine Lagarde raconte notamment disposer d’un carnet dans lequel elle répertorie le nom des femmes à recommander à ses collègues masculins. Après tout, s’il faut soutenir tout particulièrement les autres femmes quand on en est une, c’est parce que l’environnement ambiant empêche davantage leur ascension. Et s’il faut leur tirer dans les pattes pour pouvoir réussir, c’est que la réussite féminine est pratiquement impossible.

Les pionnières sont souvent conservatrices

Dans le film

Meryl Streep incarne le personnage truculent de Janie Orlean, une présidente des États-Unis qui n’est rien d’autre qu’un Donald Trump au féminin. Populiste, narcissique, malhonnête, manipulatrice et (délicieusement) odieuse, elle fricote sans cesse avec les grands patrons qui financent ses campagnes électorales. Séduisante (avec un brushing digne des stars américaines des années 1980), elle a beau être une femme de pouvoir, elle n’est en rien féministe. En fait, elle préfère ne s’entourer que d’hommes, d’influence cela va de soi. Elle a même fait de son fils son Chief of Staff ! On imagine sans peine qu’elle a gravi les échelons du parti républicain et gagné le cœur des électeurs conservateurs en jouant de ses atouts, tout en affirmant son attachement aux traditions les plus sexistes.

Dans la vie

Dans les pays où une majorité de la population reste attachée aux codes genrés, il est fréquent que les pionnières au pouvoir soient des conservatrices. Ce n’est pas un hasard si la première femme premier ministre au Royaume-Uni, Margaret Thatcher, était issue du parti conservateur (d’ailleurs la seconde aussi, Theresa May). On peut dire la même chose de la seule et unique femme chancelière de l’histoire allemande, Angela Merkel. En France, les seules femmes qui peuvent raisonnablement espérer gagner l’élection présidentielle sont issues de la droite et de l’extrême-droite. Au Japon, la femme qui a récemment failli devenir cheffe du gouvernement, Sanae Takaichi est ultra-conservatrice. En revanche, là où des femmes de tout bord peuvent prétendre arriver au sommet, la culture est déjà plus égalitaire (comme en Scandinavie, par exemple). Les pionnières, celles qui brisent les plafonds de verre qui ne l’ont jamais été, y parviennent souvent avec le soutien de l’ordre établi. Pour y parvenir, elles acceptent les codes dominants et courtisent les puissants… qui sont rarement progressistes et révolutionnaires ! C’est la même chose dans le monde des affaires. Une pionnière progressiste ou iconoclaste, cela représenterait en quelque sorte une double révolution. Le conservatisme n’est pas que politique et économique, il est aussi culturel. Les pionnières acceptent une définition somme toute traditionnelle de la féminité. Elles ne se risquent pas à paraître trop « masculines ». Elles peuvent incarner un archétype maternel ou jouer de leurs atouts « féminins » pour nouer des alliances. Dans le monde entier, de nombreuses féministes ont des sentiments mitigés quant aux succès des figures féminines conservatrices.

Une femme au sommet, à la fin, se fait bouffer

Dans le film

Quand le PDG milliardaire d’une entreprise de la tech, Peter Isherwell, une sorte d’Elon Musk avec les accents messianiques d’un Steve Jobs, demande à la Présidente des États-Unis de renoncer à détruire la comète parce qu’elle est constituée de ressources précieuses, elle cède à ses caprices. De toute façon, quand l’entreprise tech échoue à sauver l’humanité, elle a sa place parmi les milliardaires dans le vaisseau qui quitte la Terre avant la catastrophe. Dans une hilarante scène à mi-générique, 22 740 ans plus tard, le vaisseau arrive sur une planète qui semble habitable. Les passagers, nus, sortent de leurs capsules cryogéniques pour fouler la terre vierge de cette nouvelle planète. C’est alors que celle qui fut présidente (Meryl Streep) s’approche d’un oiseau géant au grand bec pour le caresser. La bête ouvre son bec et la croque. Isherwell note qu’elle a été dévorée par un “Brontéroc”, comme l’algorithme secret mis au point par son entreprise l’avait prédit.

Dans la vie

Les animaux chimériques au grand bec ne menacent pas les femmes de pouvoir sur Terre. Mais ici-bas aussi les femmes de pouvoir finissent trop souvent par se faire croquer toutes crues. Étant donnée la « falaise de verre », de nombreuses femmes se voient confier les rênes du pouvoir en situation de crise. Quand elles échouent, le public est sans pitié pour elles. Les erreurs ou les gaffes font l’objet de critiques souvent plus sévères. On se souvient, en France, de la seule femme première ministre de l’Histoire, Edith Cresson, qui a été décrite tantôt comme une courtisane de Mitterrand, tantôt comme une incompétente illégitime. Quant à Ségolène Royal, la seule avant Marine Le Pen, à avoir été en lice au second tour d’une élection présidentielle, elle s’est faite « manger » par les médias et les anciens de son parti.

En conclusion, la vision du leadership féminin dans Don’t Look Up est franchement sombre. Je suis convaincue que c’est une des critiques fortes du film. On ne sauvera la planète et l’humanité qu’en remettant en question la réalité sexiste du pouvoir et du leadership.

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Photo © Netflix
Article édité par Mélissa Darré

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