Comment tirer son épingle du jeu dans une culture d'entreprise machiste ?
22 avr. 2021
6min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d'être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la "bonne élève" qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.
Il y a deux semaines, nous avons tous regardé, un brin atterrés, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, se retrouver bras ballants de stupéfaction face à Charles Michel, président du Conseil européen et Recep Tayyip Erdogan, le président turc, alors que ces deux derniers s’asseyaient tranquillou, suite à leur réunion à trois, sur les deux seuls fauteuils mis à disposition face aux photographes. C’est tout aussi atterrés que nous avons vu la même Ursula von der Leyen se rabattre sagement sur le canapé quatre mètres plus loin. Sans que personne, tout gentlemen qu’ils sont, ne bouge. Là se repose la question que n’importe quelle femme dans un milieu hyper-masculin s’est posée : comment faire pour exister quand on est la minorité ?
Être “des leurs”
L’incident du sofagate semble indigner tout le monde. Pourtant, nous avons toutes été un peu Ursula quand on nous coupe la parole en réunion, quand on nous mansplaine notre propre idée, quand on nous demande « d’être gentille et aller chercher le café », quand on se force à rire à une blague sexiste pour ne pas faire la rabat-joie, quand on voit son N+2 copain comme cochon avec notre collègue Bertrand qui en fait trois fois moins que nous mais se la raconte trois fois plus. Des actions qui ne sont pas forcément dirigées contre nous, mais qui nous rappellent que cet espace ne fonctionne pas toujours de façon inclusive. Bref, travailler avec des hommes, dans une ambiance d’hommes, c’est un challenge supplémentaire.
Le sofagate, c’est juste l’énième illustration qu’une femme dans un milieu majoritairement masculin est encore perçue par certains comme une sorte d’anomalie et surtout, comme une présence assez superficielle, voire non essentielle.
Il n’y a pas besoin d’être en minorité numérique pour cela. Cette forme de masculinité excluante peut aussi s’exprimer au sein d’équipes mixtes à travers une culture d’entreprise très indulgente envers les propos sexistes, coutumière de la blague potache, ou adepte des réunions à 18h30 pas très parent-friendly.
Quoi qu’il en soit, quand on se trouve dans cette configuration et dans ce type d’entreprise à la culture « masculine », ce qui est juste ou non n’est pas vraiment la question. On a un travail, des ambitions et des factures à payer. La question, c’est comment faire pour s’intégrer en tant que femme. Comment s’imposer et faire comprendre que nous sommes bien « des leurs » pour ne pas être traitée différemment ?
Certaines femmes tentent de montrer patte blanche en dénigrant leurs semblables, en les mettant, par exemple, au placard une fois devenues mères. C’est fort dommage et surtout non nécessaire. La stratégie de l’adaptation par mimétisme est une tactique pauvre : non seulement nous comptons évoluer en écrasant les autres, mais nous nous travestissons et perdons ainsi une partie de notre valeur ajoutée. Ce qui nous a donné satisfaction dans l’immédiat devient usant, jusqu’à finir par nous faire dire « merci, mais non merci ».
Comment s’intégrer sans se trahir ?
Pour savoir comment survivre sur le long terme en eaux troubles, voici quelques conseils.
1. Vous n’avez pas besoin de la validation de tous
La meilleure stratégie pour s’intégrer, c’est de ne pas chercher à s’intégrer et plaire à tout prix à ses collègues masculins. C’est un peu comme au collège : à force de vouloir faire partir de la bande des « cools », vous n’y entrez jamais. Vous devenez juste le petit vassal qui fait la quête et sans lequel ils ne bénéficieraient pas de ce statut supérieur.
C’est un peu pareil dans la vie pro, et encore plus dans les secteurs où la présence des femmes est encore un sujet de conversation (leur physique, leur voix, leur attitude et les déductions tirées quant à leur vie privée…) qui permet de renforcer l’entre-soi. En courant derrière l’approbation des autres, vous leur donnez un trop grand pouvoir, qu’ils ne sont pas prêts de lâcher de si tôt.
La vérité, c’est que vos collègues ne sont pas un jury bis. L’entretien d’embauche, vous l’avez déjà passé, votre contrat est signé. Pas besoin de refaire vos preuves et être adoubée par tous vos collègues pour bien être certaine que, « vraiment, c’est ok, tout le monde est d’accord que j’ai bien ma place ici même si je suis femme ? » (ou comment s’auto-désigner comme une intruse). Vous n’avez rien à démontrer, vous n’avez pas à vous excuser, ni à vous justifier d’être là, ni à gagner leur estime, ni à vous faire accepter.
Vous êtes là, c’est tout. C’est à eux de l’accepter et de respecter votre légitimité. Là réside la différence entre vouloir être aimée et être respectée. Une fois qu’on a compris ça, on gagne beaucoup d’assurance.
2. Vous pouvez dire ce que vous pensez (vraiment)
Ça peut être intimidant d’avoir un avis qui tranche avec la majorité. Si bien que nous préférons parfois mettre notre pensée sous le tapis, en concluant que les autres ont sans doute raison. On se le dit d’autant plus aisément que les experts légitimes présentés dans les médias sont la grande majorité du temps des hommes.
Au contraire, soyez fière : vous apportez de la diversité, donc de la richesse. Votre pensée a de la valeur, cela fait partie de votre travail. Sitôt que vous avez de bons résultats, vous avez tout autant le droit au bâton de parole. C’est en parlant sans gêne à vos collègues que vous vous érigez en égale. Y compris pour leur demander pourquoi ils ne vous invitent pas à leur afterwork brandy du jeudi soir. Surtout, pour ne pas les laisser supposer à votre place et affirmer vous-mêmes vos ambitions. Rappelez-vous : “On ne laisse pas Bébé dans un coin” (Dirty Dancing, pour les amnésiques). Pour vous, c’est pareil : n’oubliez pas de vous faire monter sur scène.
Pour parler avec assurance, on utilise la communication assertive : on dit ce qu’on pense, simplement, en restant droite, tout en restant ouverte aux opinions des autres. Un avis n’a pas à écraser l’autre, il y a de la place pour tout le monde : un compromis est possible.
3. Recadrez les attitudes sexistes
En cas de mansplaining (on vous explique la vie, et particulièrement votre propre idée) ou maninterrupting (on vous coupe la parole), reprenez la main en remettant l’église au centre du village : « Merci Michel d’avoir si brillamment développé l’idée dont j’ai parlé » ou « Sois rassuré, il y aura du temps pour les questions, maintenant je vais finir ma présentation ».
On peut le faire très simplement, avec le sourire même, comme Kamala Harris qui rétorque à Mike Pence « Mr.Vice President, I’m speaking », en utilisant brillamment le silence pour souligner sa phrase, avant de la répéter.
Quand à la phrase purement sexiste (« Elle va bientôt nous faire un mioche et on ne la reverra plus celle-là », « Allez Caro, ouvre ton chemisier, parce qu’on s’ennuie là »), plutôt que de désamorcer la bombe en changeant de sujet, pointez du doigt explicitement le caractère sexiste de la remarque pour mettre l’auteur face à sa responsabilité. « Tu ne dirais jamais ce genre de chose à Jean-Michel, c’est un manque absolu de professionnalisme, tu n’élèves pas le niveau, je te remercie de t’abstenir à l’avenir et de me respecter en tant que collègue ».
Ce n’est pas toujours évident. Celles qui ont peur de paraître trop cassantes peuvent s’appuyer sur l’humour pour faire passer la pilule : « C’est marrant, ce que tu dis est passible d’une sanction disciplinaire, mais allez, paie moi plutôt un Snickers pour cette fois ».
4. Zen, restez zen
On peut donc tout dire, tout recadrer, faire passer ses messages, mais pas n’importe comment. Dans un monde idéal, Ursula von der Leyen aurait pu se lever et se casser, en mode « ok les mecs, débrouillez-vous sans moi et tapez-vous la honte » plutôt que de s’asseoir gentiment sur le canapé d’à côté. Mais que se serait-il passé ? Loin de souligner l’attitude grossière de ses collègues, toute l’attention, les doutes, les reproches se seraient concentrés sur la présidente de la Commission européenne. Effet backlash garanti : on l’aurait traitée d’hystérique, d’émotive, de gamine, qui fait passer son ressenti avant les intérêts géopolitiques.
Même si la colère et l’indignation sont légitimes, il nous faut absolument rester calme pour ne pas devenir l’accusée et détourner l’attention du réel problème : les autres. Si vous criez après un énième mansplaining de Jean-Mi, les gens ne parleront pas de Jean-Mi, mais de vous. C’est triste, c’est sexiste, mais c’est encore comme ça en 2021.
J’aimerais ne pas avoir à vous dire cela mais parler calmement vous ôte tout soupçon d’aigreur et d’hystérie, on ne peut pas vous discréditer. Et puis, avec une voix posée et un débit habituel, les mots ont encore plus de poids.
5. Reposez-vous sur le collectif
Évidemment, souvent, on ne peut pas changer toute une culture d’entreprise seule. C’est un travail ingrat, épuisant et parfois risqué pour la personne en minorité. En cas de pratiques, propos ou abus sexistes, vous pouvez vous rapprocher du CSE ou d’un réseau féminin interne (pourquoi ne pas le créer, même ?) pour amorcer des actions collectives de sensibilisation ou de sanction.
Je vous rassure : travailler avec des hommes peut aussi être très sympathique. Parfois, il n’y a pas besoin de devoir se battre pour se faire respecter, ni de sortir le sifflet en permanence (#notallcolleagues). Plein d’hommes sont des collègues agréables et professionnels la plupart du temps, loin du cliché du monstre macho en cravate. Il n’en reste pas moins que le fait d’avoir toujours travaillé dans un entre-soi leur a fait prendre des habitudes et des aises qui mettent leurs collègues féminines mal à l’aise. Ils ne s’en rendent pas toujours compte. Il faut de la patience, du temps pour comprendre et déconstruire ces pratiques pour en apprendre de nouvelles. Mais en aucun cas, ce n’est à nous de faire oublier que nous sommes des femmes. En se faisant respecter, nous rendons service à tout le monde puisque nous participons à rendre le monde professionnel plus inclusif.
Photo by WTTJ
Édité par Elea FOUCHER-CRETEAU
Inspirez-vous davantage sur : Lucile Quillet
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
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