Je t’aime mais je te quiet quit : comment réengager vos salariés désengagés ?

05 avr. 2023

auteur.e
Lisa Lhuillier

Journalist Modern Work @Welcome to the Jungle

Baisse d’implication dans les projets de l’entreprise, caméra éteinte sur Zoom : ces comportements pourraient signifier que vos salariés sont désengagés. Spoiler : ce n’est pas une fatalité. Petit manuel de réengagement à destination des (top) managers.

À l’heure de la tentation du quiet quitting (« démission silencieuse » en français), comment raviver la flamme chez vos salariés désengagés ? Face à une telle question, et alors que Welcome to the Jungle publie un dossier complet sur l’engagement au travail, trois experts ont pris la parole lors d’une table ronde. Fabienne Simon, co-fondatrice de l’Observatoire de l’engagement ; Laure Miché-Roche, psychologue du travail chez Supermood et Pierre-Henri Multon, coach et consultant spécialisé dans l’engagement des équipes. Voici ce qu’il faut retenir de leur échange.

Définir le désengagement

Qu’est-ce que le désengagement et en quoi se distingue-t-il de la motivation ?

Selon Pierre-Henri Multon, « l’engagement est une énergie » que le salarié déploie. « Un salarié engagé, c’est finalement un salarié qui va au-delà de la notion contractuelle du travail. » Et même si cela s’en rapproche, il faut bien distinguer l’engagement de la motivation. La motivation, elle, se définit comme « l’ensemble des aspirations que le salarié souhaite combler », enchaîne Pierre-Henri. Elle peut donc être source de désengagement, si le salarié n’est pas en capacité de les nourrir. En psychologie, nous rappelle Laure Miché-Roche, il existe des motivations extrinsèques (le bulletin de salaire, par exemple) et des motivations intrinsèques (les volontés profondes de l’individu).

« Un salarié engagé, c’est un salarié qui va au-delà de la notion contractuelle du travail. »

Un fort enjeu de business et de marque employeur

Il existe un lien notoire entre engagement et performance durable, puisque des collaborateurs investis sont plus créatifs, plus épanouis, moins stressés… À l’inverse, les études se rejoignent toutes pour dire que le désengagement coûte cher. Selon une estimation du cabinet Mozart Consulting de 2022, basée entre autres sur le taux d’absentéisme, le désengagement représenterait en moyenne 10 070 euros par salarié. « C’est une spirale vertueuse » et vice versa , ajoute Fabienne Simon : « Si les collaborateurs sont désengagés, l’entreprise en fera les frais car ils sont censés en être les premiers fans ». Au-delà de la productivité, le désengagement peut impacter négativement la réputation d’une organisation, donc entacher sa marque employeur.

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Comprendre le désengagement

Il existe différents profils de salariés désengagés

Si comptabiliser le pourcentage de salariés « désengagés » reste complexe, ces derniers seraient tout de même 28 % en France, selon le Baromètre national de l’engagement au travail (BNET) de Supermood. Parmi eux, Pierre-Henri Multon distingue trois catégories de personnes : « Ceux qui de toute façon ne s’engageront jamais, pour qui le travail est alimentaire. Ceux qui ont vécu une expérience professionnelle désengageante, mais qui peuvent tout à fait retrouver goût au travail. Et enfin, ceux qui font leur travail correctement, mais qui ne cherchent pas à se dépasser. Ils aiment ce qu’ils font mais ne contribuent pas à l’empowerment de l’entreprise. » Si le désengagement est protéiforme, il dépend toujours du rapport qu’on entretient avec son travail.

Récemment, de nouveaux termes comme le quiet quitting, venu des USA, ont fait irruption dans la vie des travailleurs. Ou l’idée de ne plus faire que le minimum indiqué sur sa fiche de poste : bien, mais sans jamais en faire trop ! Une situation qui a finalement toujours existé, rappelle la psychologue Laure Miché-Roche, qui met en garde : si certains considèrent que quiet quitter c’est se protéger du surmenage, cette situation, à long terme, se traduit souvent par une grande souffrance.

Le salaire et le sens, premiers facteurs de désengagement ?

« Oui, globalement, c’est ce que l’on observe sur le terrain », confie Pierre-Henri Multon. Thomas Coutrot et Coralie Perez, dans leur ouvrage Comment redonner du sens au travail distinguent trois catégories de sens :

  • la notion d’utilité sociale,
  • la notion de cohérence éthique,
  • et la notion de développement personnel.

Il faut que les trois cases soient cochées pour un épanouissement professionnel total. L’incertitude, la fatigue, le stress ou encore le sentiment d’injustice peuvent être des facteurs de démotivation qui viennent briser l’harmonie. Ce sont des sujets sur lesquels les directions doivent être extrêmement vigilantes pour éviter de perdre leurs salariés.

« L’incertitude, la fatigue, le stress ou encore le sentiment d’injustice peuvent être des facteurs de démotivation qui viennent briser l’harmonie. »

Une occasion pour les entreprises de se questionner leurs pratiques

Depuis quelques années, avec l’arrivée du digital et les différentes crises (économique, sanitaire, écologique…), le rapport au temps et à l’espace de travail a été bouleversé. Cela questionne évidemment les modèles d’organisation et de management des entreprises. « Les gens ne travaillent pas moins, mais ils travaillent autrement », analyse Fabienne Simon. Il faut alors que les dirigeants s’adaptent aux nouvelles exigences de leurs collaborateurs tout en restant efficaces. « Évidemment, ça demande du courage », complète la co-fondatrice de l’Observatoire de l’engagement, « mais c’est indispensable pour survivre sur le marché du travail actuel, pour continuer à être performants, recruter et fidéliser les salariés ».

Identifier le désengagement

Quels sont les symptômes du désengagement ?

Passer sept heures par jour, toute la semaine, à faire semblant de travailler, ne peut évidemment pas être porteur de bien-être pour notre santé mentale. Le travail, au-delà de l’épanouissement personnel, permet de créer du lien social, de développer sa créativité… C’est un lieu de vie à part entière, qui fait partie de notre identité sociale. La psychologue Laure Miché-Roche définit le salarié désengagé comme « absent à lui-même » : on ne le voit plus en réunion, ou alors il n’allume pas sa caméra à distance, il ne se rend jamais disponible… Il fait acte de présence. Et en réalité, ce n’est pas qu’il est chez lui en train de jouer aux jeux vidéos, c’est qu’il ne va pas bien.

Accepter qu’aucune entreprise – la vôtre non plus ! – n’est parfaite

L’entreprise reflète les imperfections de ses dirigeants. Il ne faut donc pas avoir peur de s’ouvrir, d’exprimer ses doutes, ou d’accepter d’être dépassé, car de toute façon, cela transparaîtra en interne. Le pire ennemi de l’entreprise est en effet le déni. La plupart des salariés sont d’ailleurs tout à fait conscients de la difficulté du rôle du dirigeant, et seront compréhensifs et empathiques. Informer ses collaborateurs de ses faiblesses et leur donner la parole n’engendrera pas de révolution… Mais Pierre-Henri conseille tout de même de le faire en passant par un cabinet spécialisé, afin d’avoir une meilleure objectivité et d’éviter d’éventuelles dérives.

Cela dit, comment identifier et mesurer l’engagement ? La solution infaillible, c’est l’écoute véritable. Il faut d’abord comprendre pourquoi les gens rejoignent l’entreprise et pourquoi ils la quittent. Pour cela, de nombreuses méthodes existent : les questionnaires, les enquêtes de satisfaction, les baromètres sociaux, ou encore les focus groups… Une fois ces données étudiées, on peut mettre en place des plans d’action adaptés, et intégrer le collectif aux décisions. Il faut rendre les collaborateurs acteurs du changement. La politique de décisions descendantes et de hiérarchie bien-pensante qui détient la vérité est à bannir.

Agir face au désengagement

Le « manager engageant », un rôle clé pour les collaborateurs

« Selon l’Observatoire de l’engagement, le manager de proximité est le deuxième levier d’engagement en entreprise, derrière le sens », rappelle Fabienne Simon. C’est un acteur incontournable de l’engagement. Des études démontrent d’ailleurs que 7 salariés sur 10 choisissent leur entreprise et quittent… leur manager ! Selon l’experte, il existe un manager engageant, et il est à l’écoute, attentif aux attentes et au bien-être de ses collaborateurs. Il s’adapte, valorise, demande l’avis de son équipe, tout en étant exigeant. Cette posture demande plus d’énergie et de temps, mais les résultats sur le long terme sont incomparables.

Réengager son équipe : quels axes de travail pour l’entreprise ?

Réengager son équipe, ça commence par instaurer un dialogue et de la confiance. Mais ça n’est pas seulement la responsabilité du manager de proximité. L’entreprise entière doit soutenir ces actions de réengagement. Il y a, selon Pierre-Henri Multon, trois axes de travail pour réengager ses salariés :

  • donner au salarié les moyens de travailler,
  • créer une ambiance relationnelle saine,
  • et lutter contre l’injustice au sein des équipes.

La première étape est donc de vérifier que ces trois aspects sont satisfaits.

Parfois, la rupture est inévitable… et pour le mieux !

Laure Miché-Roche considère qu’ « une relation professionnelle est un mariage ». On choisit une entreprise et elle nous choisit. Et comme dans tous les mariages, on peut se tromper et être malheureux. Dans ces cas-là, il faut évidemment que chacun (entreprise, manager et individu) donne tout son possible, mais parfois la seule issue est la rupture. Cependant, on peut toujours retomber amoureux dans une autre entreprise !

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Article édité par Clémence Lesacq, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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