7 choses que j'ai apprises pendant la gestion du Covid en tant que manager
14 avr. 2021
7min
Journalist
Levez la main : qui savait, l’année dernière à la même époque, ce qu’était un test PCR ? Et un vaccin à ARN messager ? Bon, peut-être que vous ne savez toujours pas de quoi il s’agit vraiment, mais ces mots résonnent comme une promesse future de soirées entre ami.e.s, de sorties et de voyages. En douze mois, nous avons tous découvert le joyeux monde des virus. Nous avons surtout appris à nous connaître un peu mieux nous-mêmes, notamment à travers notre expérience du télétravail.
Comment manager des équipes dispersées ?
Avril 2020 : les chiffres du télétravail bondissent. Près de la moitié de la population active française travaille de chez elle, à temps plein ou partiel, majoritairement à cause de la pandémie. Aujourd’hui encore, le gouvernement demande aux entreprises de recourir autant que possible au télétravail – et on peut s’attendre à ce que cela dure. Une enquête menée par l’association nationale des DRH dévoile que 85 % d’entre eux/elles sont favorables à un maintien du télétravail au sein des entreprises, et qu’ils/elles sont plus des deux tiers à en attendre des gains de productivité.
Le télétravail s’est fait une place de choix dans notre société. Nous avons eu envie d’interroger des manager.euse.s qui pilotent leurs équipes à distance, pour savoir ce qu’ils/elles ont appris cette année, à la fois sur leurs équipes et sur eux/elles-mêmes. Voici les enseignements qu’ils/elles ont tirés de ce phénomène, bien parti pour durer…
Ne pas couper le lien
Nos façons de communiquer ont changé, mais ce n’est pas une raison pour le faire n’importe comment. Myles Robinson, cofondateur de Boiler Central, une entreprise de vente et installation de chaudières près de Manchester, emploie vingt salarié.e.s et cinq apprenti.e.s, désormais en télétravail. Pour lui, le constat est sans appel : il faut se parler. « Il est important de prendre des nouvelles régulières de tout le monde. Chacun doit se sentir soutenu. J’encourage mes équipes à privilégier le dialogue quand elles ont des questions qui concernent le boulot, ou même simplement pour faire une pause de cinq minutes et se changer les idées. »
Parvenir à garder le lien entre collègues peut faire toute la différence. Mo Naser, directeur général chez SmartSurvey, confirme : « J’ai découvert que, pour certains de mes salarié.e.s, les collègues et le bureau étaient très importants. C’est peut-être d’ailleurs ce qui est le plus dur avec le télétravail : ne pas pouvoir faire baisser la pression en s’offrant une pause avec les collègues. Nous avons tous migré en ligne pour les réunions d’équipe et d’entreprise, qui demeurent formelles, mais SmartSurvey incite vraiment les collaborateur.rice.s à organiser des appels vidéo juste pour le plaisir de discuter, de prendre des nouvelles les uns des autres. Ça booste le moral et la bonne communication au sein des équipes. »
Pourquoi ne pas couper le lien avec ses collaborateurs/ collaboratrices doit rester la priorité ? Une récente étude du Boston Consulting Group (BCG), réalisée en partenariat avec l’institut Ipsos, au sujet de l’impact de la pandémie sur les salarié.e.s français.e.s et leurs perspectives de carrière, dévoile que la moitié des salariés se sent davantage isolé de ses collègues et 32% déclarent sentir des signes de mal-être sur le plan personnel.* Résultat ? Un risque de décrochage pour la moitié des salarié.e.s. Télétravail oblige, une attention particulière doit être portée à la santé mentale de ses équipes.
Programmer les échanges pour qu’ils aient lieu
Pour le travail, Mo Naser conseille d’établir un planning d’échanges et de s’y tenir. Attention cependant, car cela peut ralentir les prises de décision, prévient Sandy Wilkie chez Greenhill HR, à Manchester : « En temps normal, ces discussions durent quelques minutes, on passe une tête dans le bureau d’un.e collègue, on se croise dans le couloir. À présent, il faut caler une réunion sur Zoom ou Teams, si le sujet ne se prête pas à un échange d’e-mails. Je ne peux plus passer voir mes collaborateur.rice.s comme avant, vérifier que tout va bien, décrypter les éventuels non-dits, les malaises. »
Le manque de contacts spontanés est d’autant moins facile à surmonter pour les personnes plutôt introverties, observe Dianne Sharp, directrice générale de Leadership Academy près de Newcastle. « Quand on est avec ses collègues toute la journée, les conversations sont plus naturelles, on n’a pas besoin d’ajouter “communiquer avec les autres” à sa to-do list ! Je suis plutôt d’une nature introvertie et ni le confinement ni le télétravail n’ont arrangé les choses. Aujourd’hui, je dois littéralement intégrer les échanges avec mes collègues dans mon emploi du temps. C’est tout juste si je ne dois pas me forcer pour sortir de ma coquille. »
A l’inverse de nos voisins britanniques, les manager.euse.s français.e.s introverti.e.s semblent ressortir comme les grands gagnants du travail à distance. En effet, comme l’explique Magali Combal, coach et formatrice en développement personnel chez Comundi, dans le média Capital : « Eux qui ne souffrent pas de l’isolement sont mieux armés pour le télétravail et moins en danger de perte de repères. » Dans la même lignée, une manageuse d’une multinationale de consommation vient confirmer les propos précédemment énoncés : « Ceux qui parlaient fort et se consacraient à la politique en faisant cravacher les autres n’ont plus la cote en interne. On leur préfère des profils sensibles, calmes et capables de s’adapter à l’autre. »
Ne pas faire de suppositions
Pour Dianne Sharp, on ne connaît pas complètement ses équipes tant qu’on ne les a pas connues en télétravail. « C’est facile de faire des suppositions quand on ne sait pas ce qui se passe. Le travail à distance mêle le personnel et le professionnel, c’est inédit comme rapport aux collègues. J’ai appris à ne pas tirer de conclusion sur les autres, sur ce qu’ils/elles traversent. Au bout du compte, la situation peut déboucher sur des échanges plus sincères. C’est une posture cruciale pour un manager.euse. »
On pourrait être tenté de croire que la situation est plus facile pour certain.e.s que pour d’autres, mais gare aux idées reçues. « Ce n’est pas à vous de décider qu’une mère de trois enfants qui doit gérer les devoirs et le quotidien est moins bien lotie qu’un jeune de 21 ans qui vit chez ses parents et passe sa journée enfermé dans sa chambre », prévient Dianne Sharp.
Témoigner sa confiance
Le travail à distance ne fonctionne bien que s’il y a une vraie confiance entre un.e manager et son équipe. L’idée a fait son chemin chez Mo Naser : tendre vers davantage de lâcher-prise, accorder plus de crédit à ses collaborateur.rice.s. « J’ai découvert une vraie confiance mutuelle au sein de l’équipe. Sans elle, le télétravail ne marcherait pas, il n’y aurait pas une aussi bonne communication, les dossiers avanceraient au ralenti. On ne travaille pas tous au même endroit ni au même moment, mais ça roule. » De son côté, Myles Robinson a mesuré l’importance d’une relation de confiance. « *Il faut faire confiance et le faire savoir. J’ai passé les rênes à mes collaborateur.rice.s, c’était crucial dans ce contexte de télétravail. Je tiens à leur faire savoir que je suis là pour eux/elles dès qu’il y a besoin, mais aussi que j’ai pleine confiance en eux/elles. Je sais qu’ils/elles font bien leur travail, je le leur dis et je ne suis pas sur leur dos en permanence.* »
À chacun son mode de communication
Si Dianne Sharp s’est découverte introvertie, cela a été l’inverse pour Sandy Wilkie : « J’aime le contact direct, je l’ai compris avec le télétravail. J’ai un tempérament de leadeuse et, avant, je me déplaçais chez ceux/celles de mes collaborateur.rice.s qui étaient loin, je venais aux nouvelles, on discutait autour d’un café. Maintenant que le télétravail s’est généralisé, il faut sortir ses antennes, redoubler d’empathie, tendre l’oreille quand un.e salarié.e évoque le fait de travailler depuis soi, avec les enfants à charge, une certaine forme de malaise lié à la situation actuelle. Je veille à développer ça, j’apprends à connaître mes collaborateur.rice.s au-delà du strict cadre professionnel, pour mieux comprendre leur environnement matériel, familial. Il s’invite d’ailleurs de temps à autre dans nos conversations sur Zoom, avec un.e enfant qui débarque, un chien qui vient dire bonjour. Mais cet environnement peut surtout avoir un impact sur les télétravailleur.se.s qu’ils/elles sont. »
Établir des priorités
Avoir la possibilité d’organiser des réunions tôt le matin, à l’heure du déjeuner ou les unes à la suite des autres n’est pas une raison pour le faire. C’est même le plus sûr chemin vers le burnout. Sandy Wilkie suggère de ne pas lancer d’invitation avant 9 heures ni pendant la pause de midi, pour permettre à tous de souffler entre deux dossiers. Pour elle, il est également important de savoir se montrer « suffisamment souple pour autoriser des collaborateur.rice.s à arrêter un peu plus tôt de temps en temps si la fatigue se fait sentir avec ces réunions à distance. » Elle envisage d’ailleurs d’instaurer des après-midi sans réunion. « Nous sommes tous pris dans le rush du quotidien, mais c’est bien de se ménager du temps de réflexion, de libérer des créneaux pour avancer sur certains projets au long cours ou sur la rédaction d’axes stratégiques. »
Peter Ellington, directeur de Triple Bottom Line Accounting, et son équipe ont appris à mieux identifier et traiter les priorités. À la clé, pas de promesses impossibles aux client.e.s, mais des résultats concrets. « Dans nos emplois du temps, nous passons désormais avant les client.e.s. Auparavant, il nous était difficile de bien trier et gérer leurs attentes. Ça me fait penser aux masques à oxygène dans les avions : d’abord on met le sien, puis on aide les autres. »
Ne pas penser que le stock d’heures est inépuisable
Depuis que le télétravail s’est généralisé, il est encore plus facile de commencer tôt et de finir tard. 4 heures de travail supplémentaires par semaine : c’est ce que révèle une étude menée par des chercheurs de la Harvard Business School et de la New York University après avoir examiné les e-mails et les agendas partagés de 3,1 millions d’employé.e.s basé.e.s aux États-Unis, en Europe et au Moyen-Orient sur une période de 4 mois. La raison ? Les employé.e.s reçoivent plus d’emails et participent à davantage de meetings qu’auparavant. Tout le monde évoque cependant le besoin de se couper du travail, de sortir pour s’oxygéner. « Avec ce boulevard devant moi, l’opportunité de travailler non-stop en quelque sorte, j’ai presque décroché un doctorat tout en étant à jour côté travail », raconte Peter Ellington, qui enseigne à l’université d’East Anglia. « Mais sur le long terme, je pourrais y laisser ma peau. Je dois me forcer à faire des pauses. J’ai hâte que reviennent les beaux jours et la détente qui va avec. » Quelque chose nous dit qu’il n’est pas le seul à le penser. Pour Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine, le constat est sans appel : « Les équipes ne pourront pas s’engager demain si elles sont fatiguées. Tout comme un sportif qui vient de finir un marathon ne peut enchaîner sur un sprint. » A bon entendeur.
Photo d’illustration by WTTJ, traduit de l’anglais par Sophie Lecoq
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