Managers : comment rester équitables envers vos salariés en télétravail ?
20 févr. 2024
6min
Pas là, pas de chocolat : c’est le chantage inconscient que l’on voit poindre en entreprise. Des trois catégories de travailleurs – en présentiel, hybrides ou à distance – les salariés en télétravail seraient les plus pénalisés : moins de considération, moins de progression, moins de promotion… La tentation est grande de tomber dans l’inégalité. Managers, comment rester équitable envers vos télétravailleurs ? Décryptage avec nos experts Ludovic Girodon et Céline Méchain.
« Loin des yeux, loin du cœur. » Cette célèbre locution pourrait bien avoir un impact sur votre manière d’accorder ou non à vos collaborateurs toute votre attention. Car, si le télétravail rencontre de plus en plus d’amateurs, nombreux sont les managers qui continuent à porter sur lui un regard désapprobateur. Moins de visibilité, de disponibilité, d’accessibilité ou de réactivité, le salarié en télétravail serait inconsciemment perçu par son manager comme « moins engagé ». Un « biais de proximité » qui favoriserait les salariés en présentiel au détriment des autres. Conséquences ? Les travailleurs à distance seraient moins susceptibles d’être promus que leurs collègues au bureau.
Quand promotion professionnelle rime avec présentiel
« Mon équipe est constituée de collaborateurs en présentiel et d’une salariée à distance, explique Antoine, manager d’une équipe de chargés d’affaires dans le BTP. Le fait que cette salariée soit seulement “de passage” au bureau, fait que j’ai parfois tendance à l’oublier. » Événements d’équipe, réunions, rendez-vous client ou encore boucles de mails, il lui arrive parfois tout simplement de « la zapper ». « Je la vois moins donc inévitablement je pense moins à elle, confie-t-il. Quand il s’agit de faire monter un collaborateur sur un nouveau projet, ce n’est pas vers elle que je vais me tourner en priorité. C’est regrettable, car ça a pour effet de l’isoler et de la pénaliser, mais c’est plus fort que moi, je joue la carte de l’efficacité et de la proximité. »
Ainsi, le télétravail peut dangereusement nuire à la carrière. À en juger par deux enquêtesmenées pour LinkedIn France, Antoine est loin d’être le seul manager à voir émerger ce biais de proximité et les conséquences, souvent malheureuses, qui vont avec : 32 % d’entre eux se sentent ainsi concernés. Tant et si bien que le choix d’un haut niveau de télétravail est susceptible d’avoir un impact négatif sur la progression de carrière et la rémunération des salariés concernés. Un risque qui n’échappe d’ailleurs pas aux premiers intéressés : 85 % des télétravailleurs considèrent que ce mode d’organisation les pénalise dans leur évolution.
Et pour cause, selon une étude menée par le Chartered Management Institute (CMI), 40 % des managers reconnaissent avoir déjà exprimé des opinions ou des comportements manifestant une inégalité de traitement entre les collaborateurs à distance et ceux en présentiel. C’est donc limpide : « si vous voulez un emploi, travaillez à domicile ; si vous voulez une carrière, allez au bureau », conclut l’étude. C’est sans nul doute au bureau que se jouent certaines relations, le lieu où se produisent des interactions et se présentent des opportunités. Si, en théorie, le télétravail ne pose pas de difficultés, en pratique, lorsqu’un manager est amené à confier un projet, accorder une augmentation ou une promotion, 90 % avouent qu’ils sont davantage susceptibles de la donner en priorité à leurs collaborateurs en présentiel, au détriment des salariés à distance. Résultat ? En 2023, les collaborateurs en télétravail avaient 31 % moins de chances d’obtenir une promotion que ceux en présentiel.
« Les absents ont toujours tort » : quand la distance creuse davantage les inégalités
Depuis la pandémie, les managers se retrouvent avec une équipe à trois vitesses : travailleurs en présentiel, hybrides ou à distance. Mais sous ses airs novateurs, le télétravail serait donc in fine un facteur d’inégalités entre les collaborateurs. Pire, il contribuerait à creuser les inégalités entre les sexes. Selon l’étude menée par le CMI, les femmes (38 %) seraient bien moins nombreuses que les hommes (48 %) à travailler au bureau, privilégiant ce mode d’organisation en raison d’une plus importante charge familiale. Exclus des conversations informelles, isolés en réunions, souffrant de déficit d’attention, les collaborateurs en télétravail -au premier rang desquels, les femmes- se retrouvent ainsi pénalisés.
Pourtant, lorsqu’on les interroge, la grande majorité des managers revendique une parfaite équité de traitement entre leurs collaborateurs à distance et ceux en présentiel. Mais, quand on y regarde d’un peu plus près, il existe bien un « biais de proximité » qui consiste à favoriser les collaborateurs présents au bureau. Qu’ils le veuillent ou non, selon une étude menée par la Society for Human Resource Management, les managers conservent indéniablement une perception négative du travail à distance. Plus des deux tiers admettent ainsi que les travailleurs à distance sont « plus facilement remplaçables » que les travailleurs sur site. 62 % pensent même que le travail à distance à temps plein est « préjudiciable aux objectifs de carrière » et 72 % « préféreraient que tous leurs collaborateurs viennent travailler au bureau ».
« Il y a très certainement une préférence géographique des managers vis-à-vis des collaborateurs en présentiel, reconnaît Ludovic Girodon, auteur et conférencier en management. La distance nécessite de fournir un effort supplémentaire. Cela rajoute une difficulté au manager qui est déjà très pressurisé. C’est ainsi que certains managers sacrifient parfois les télétravailleurs sur l’autel de leur agenda. Ce n’est pas un choix véritable, mais cela explique qu’ils soient un peu mis de côté. »
Managers : comment éviter les différences de traitement ?
Loin des yeux, loin du cœur, c’est donc le premier réflexe du manager. Une fois le constat établi, Céline Méchain, DRH spécialiste des équipes distribuées: « Il faut faire en sorte que le manager prenne conscience des biais potentiels qui peuvent le pousser à favoriser les employés en présentiel au détriment des télétravailleurs ». Heureusement, quelques actions concrètes permettent d’éviter de traiter différemment les membres de son équipe.
Conseil n°1 : prendre le pouls de l’équipe
« La première chose à faire, conseille Ludovic Girodon, c’est d’aller à la pêche aux infos pour faire un état des lieux de ce biais de proximité au sein de l’équipe. » Existe-t-il et comment est-il vécu ? « *Il faut leur dire simplement : “Je vous pose la question de savoir si je vous délaisse, vous qui êtes en remote ?” », incite-t-il.
Conseil n°2 : devenir manager augmenté
« Quand on est manager d’une équipe en remote, explique Ludovic Girodon, il faut adopter un management augmenté. Ce n’est pas intuitif, mais il faut être encore plus vigilant. » Ainsi, l’expert conseille de faire des points plus fréquents, « par exemple, si un rituel est fixé une fois par semaine durant 30 min avec un collaborateur en présentiel, il faudrait fixer un rituel de 15 min tous les deux jours avec ceux en remote. » De même, il recommande « d’être ceinture et bretelles » et doubler les messages sur deux types de supports : une discussion téléphonique et un email… « Enfin, est un manager augmenté celui qui pense avant tout aux télétravailleurs et non après. » Il invite donc les managers à se trouver un moyen mnémotechnique pour y penser, comme accrocher dans son bureau un rappel physique, à l’image de post-it ou de photos de son équipe en remote.
Conseil n°3 : évaluer la performance au résultat
« L’évaluation basée sur les résultats est une approche essentielle pour garantir l’équité dans la gestion des télétravailleurs et des employés en présentiel, explique Céline Méchain. Cela signifie définir clairement les objectifs et les attentes pour chaque employé, indépendamment de leur mode de travail. » Les critères d’évaluation doivent être mesurables et alignés sur les objectifs organisationnels. « Par exemple, un manager pourrait évaluer la productivité d’un télétravailleur en se basant sur des indicateurs, tels que le nombre de tâches achevées, la qualité du travail accompli, ou les retours positifs de ses clients ou collègues. De même, un employé travaillant sur site serait évalué sur les mêmes critères, sans favoritisme basé sur la proximité physique », détaille notre experte. Cette approche permet aux managers d’assurer une évaluation juste et équitable de la performance, indépendamment du lieu de travail de son collaborateur.
Conseil n°3 : passer du temps informel avec les « remote »
« Il faut aménager du temps pour échanger de façon informelle avec les télétravailleurs de l’équipe », affirment d’une seule voix les deux experts. « Grâce à ces échanges spontanés, développe Céline Méchain, les managers peuvent recréer l’ambiance conviviale et les liens sociaux qui se forment naturellement au bureau. En incluant activement les télétravailleurs dans les interactions informelles, le manager envoie un message fort sur l’importance de chaque membre de l’équipe, indépendamment de leur situation géographique. Cela aide à renforcer le sentiment d’inclusion et de connexion au sein de l’équipe, et à prévenir toute perception de traitement différencié. »
Conseil n°4 : adopter une communication homogène et transparente
Il appartient enfin au manager de veiller à ce que la communication et les informations concernant les opportunités professionnelles soient accessibles à tous, indépendamment du lieu de travail. « Adopter une communication transparente est essentiel, analyse encore la DRH. Cela peut impliquer la mise en place de canaux de communication efficaces, tels que des réunions régulières par visioconférence, même pour les salariés en présentiel ! Ou encore des mises à jour par e-mail ou via une plateforme collaborative en ligne. » Elle insiste également sur le fait que les managers doivent être disponibles pour répondre aux questions et fournir des clarifications. « Ils doivent être proactifs dans la transmission d’informations. » Il est encore possible, comme le recommande Ludovic Girodon, « de transposer le “système d’ange gardien’’ imaginé par Louis Vareille à propos des réunions : le manager peut nommer, au sein de son équipe en présentiel, un ou plusieurs référents par travailleur à distance pour veiller à ne pas les couper du reste de l’équipe. »
Managers, si vous avez une tendance naturelle à délaisser vos collaborateurs télétravailleurs, ne laissez plus le biais de proximité vous influencer. Ceinture et bretelles, enfilez le costume du manager augmenté et redoublez d’attentions envers les collaborateurs éloignés. Pas là ? Envoyez une livraison de chocolats…
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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