Et si on apprenait à moins s'excuser au travail ?
08 févr. 2021
6min
Journalist
Dans le travail, savoir s’excuser est nécessaire. Volkswagen a dépensé un vrai budget pub pour des pleines pages d’excuses suite au scandale des émissions de gaz en 2015. PwC a demandé pardon après s’être emmêlé les pinceaux lors des Oscars de 2017, au cours desquels La La Land a été nommé, par erreur, meilleur film à la place de Moonlight. De nos jours, il n’est pas rare d’assister aux excuses publiques d’un grand patron. Est-il pour autant judicieux d’être dans un mea culpa permanent ?
Un petit tour dans le dictionnaire suffit à comprendre pourquoi nous employons le mot « désolé » si souvent. Il signifie tour à tour « Je m’excuse », « Je suis de tout cœur avec toi », « Je regrette », « Je te demande pardon », etc. Et c’est aussi un moyen de signaler à son interlocuteur qu’on n’est pas d’accord et qu’on s’apprête à contre-argumenter. Les Français ont une réputation de râleurs, mais cela ne les empêche pas, surtout les femmes, de (trop ?) s’excuser dans le domaine professionnel.
Une question de genre ?
Maja Jovanovic, sociologue canadienne et autrice, avoue être absolument contre les excuses. Elle les hait, même. Selon elle, on a trop souvent tendance à s’excuser ou à minimiser nos réussites, souvent sans s’en rendre compte, alors même que rien ne le justifie. « S’excuser a un vrai sens. Ne laissez personne vous faire croire le contraire », rappelle-t-elle aux femmes de l’assemblée lors sa conférence TEDx. Car selon elle, ce réflexe est particulièrement féminin. Les femmes s’excusent quand elles prennent le micro lors d’un meeting, avant de s’exprimer lors d’une réunion ou quand quelqu’un leur rentre dedans. Et pour Maja Jovanovic, il est temps que cela cesse.
Rita Smyth, actrice et coach exécutive, est du même avis que la sociologue. Elle dirige Role Players for Training : des comédiens viennent en entreprise jouer le rôle de collègues pénibles, de clients insatisfaits ou même d’agresseurs, afin que les salariés apprennent à gérer ce genre de situations sensibles et à réagir au mieux. Rita Smyth explique que les personnes ne sont pas toujours conscientes de leur comportement – ni de l’image que cela peut renvoyer aux autres. « Je suis effarée, et dépitée, de voir à quel point certaines personnes - surtout des femmes, même talentueuses et compétentes -, se tirent une balle dans le pied en s’excusant presque d’être là. Il y a par exemple les mots qu’elles emploient pour parler de leur carrière, la manière dont elles minimisent leurs réussites, balaient d’un revers de main tout ce qu’elles ont pu faire avant. Elles se placent d’emblée en queue de peloton. »
Victoria McLean, consultante en gestion de carrière, a fondé City CV. Selon elle aussi, s’excuser est une habitude très féminine qui a la vie dure. « Au bureau, les femmes sont nombreuses à commencer par dire « Désolée » avant de s’exprimer. Ça va être : « Désolée, est-ce que je te dérange ? », « Désolée, je peux te dire un mot ? » ou bien « Désolée, je peux entrer ? ». C’est devenu un réflexe dans notre façon de communiquer. Il est temps qu’on arrête. »
Mais pas facile de corriger cette habitude, que nous prenons souvent dès l’adolescence, souligne Stephen Hinshaw, professeur de psychologie à Berkeley, en Californie, et auteur d’un livre sur le sujet et la pression faite aux jeunes filles pour correspondre à des modèles (Triple Bind, non traduit ndlr). Personne ne reprochera à un ado d’avoir une attitude affirmée, de s’autoféliciter s’il marque un but ou rafle une bonne note. Pour les filles, ce n’est pas aussi simple. Une fille peut se montrer sûre d’elle, mais n’est pas vraiment autorisée à se mettre en avant, à faire preuve d’une vraie assertivité – elle doit toujours veiller à ne heurter personne, sinon la sanction va tomber : « Pour qui se prend-elle ? ». « On félicite souvent les filles pour l’attention qu’elles vont porter aux autres, quand en parallèle on encourage les garçons à bomber le torse », écrit Stephen Hinshaw.
Une habitude qui érode la confiance en soi
À trop s’excuser, on écorche son estime de soi. « Cela peut paraître anodin, mais, en réalité, passer son temps à s’excuser pour la moindre petite chose peut finir par éroder notre confiance en nous, notre aplomb au bureau et notre crédibilité, insiste Victoria Mc Lean. Et ça peut finir par ôter tout poids à vos excuses futures, finalement. »
Gare aussi à l’effet boomerang côté évolution de carrière. « À force de s’excuser au quotidien, on paraît moins sûr de soi, voire moins compétent, poursuit la consultante. Dans nos sessions de coaching, nous devons souvent apprendre aux salariés à être plus assertifs, à arrêter de s’excuser d’être là, pour mieux pouvoir valoriser ce qu’ils ou elles savent réellement faire. »
Victoria McLean rappelle que, dans bien des situations, vous n’avez aucun besoin de vous excuser. Pour les bourdes commises par un(e) autre que vous, quand vous avez besoin d’aide ou quand on vous demande de prendre une décision, par exemple. « On peut clairement parler d’auto-sabotage quand on s’excuse lors d’une négo de salaire, pour une demande d’aménagement d’horaires ou un congé parental. Et je ne vois pas pourquoi il faudrait s’excuser d’avoir des opinions et de les formuler. »
Attention, cela ne signifie pas pour autant qu’il faut bannir les excuses au bureau, précise Victoria Mc Lean. « Si vous avez commis une erreur ou blessé une autre personne, bien entendu que des excuses sincères ont tout leur sens. C’est toujours un bon moyen de calmer les tensions et d’éviter les fractures. Mon conseil est de garder vos excuses pour les situations qui l’exigent réellement. »
Comment « bien » s’excuser ?
Personne n’est parfait (si, si, on vous jure) et parfois un bon « Pardon » s’impose. Pour Victoria Mc Lean, la bonne attitude est de reconnaître son erreur. « Soyez précis. En résumé, ne vous excusez pas d’exister, mais simplement pour le fait dont il est question. Expliquez ensuite ce que vous en avez retenu et suggérez une solution pour rectifier le tir. » Ne tardez pas trop à le faire, surtout si cela risque d’aggraver un peu plus le problème, conseille la consultante. « Prenez vos responsabilités, ne cherchez pas désigner d’autres coupables et, surtout si vous avez porté préjudice à l’équipe, veillez à vous excuser clairement, en le disant. Spécifiez brièvement en quoi vous avez eu tort. »
Savoir faire son mea culpa – le faire sincèrement – est essentiel dans une carrière. Voici quelques conseils pour bien vous y prendre.
1. Faites simple
Oups, vous avez une boulette – vous avez zappé de répondre à un e-mail important, par exemple. OK, ce n’est pas génial, mais restez sobre. Confirmez les faits (« Je viens de voir que votre e-mail m’a échappé, je vous prie de m’excuser. ») et allez de l’avant (« Comment puis-je vous être utile ? »).
2. Annoncez la suite
Expliquez ce que vous comptez faire pour rattraper le coup. Si votre moment d’égarement affecte un projet d’équipe, par exemple, précisez comment vous allez le remettre sur les rails ou redresser la barre. Cela peut donner : « Je m’excuse d’avoir raté le coche sur le rapport à rendre, je m’y mets dès maintenant pour rattraper mon retard. »
3. Prenez vos responsabilités
Il arrive que la situation soit un peu plus compliquée, rappelle Victoria McLean. Si vous avez mis en péril la crédibilité d’un collègue, par exemple, ne faites pas l’autruche. « N’esquivez pas. Reprenez l’erreur à votre compte, que ce soit auprès de la boss ou d’un client. »
Mais comment ne pas se noyer sous ses propres excuses ?
Victoria McClean a pour mission de redonner confiance aux salariés qui s’excusent à tout bout de champ. Ils doivent apprendre à davantage s’appuyer sur leurs qualités professionnelles et à les valoriser. « Souvent, s’excuser est un réflexe inconscient. Les personnes ont besoin d’être aidées pour se reprogrammer, d’une certaine manière. » Voici le plan d’action qu’elle suggère à ses clients :
1. Observez votre comportement
Repérez les moments où vous vous excusez et apprenez à vous demander en amont si c’est vraiment nécessaire. « La prochaine fois que ça vous prend, concentrez-vous plutôt sur la solution au problème, s’il y en a un. Ça vous donnera beaucoup plus de souffle et un vrai sentiment de maîtrise. »
2. Entraînez-vous à mieux vous affirmer
Il est également utile, et important, de gagner en confiance sur tout ce qui touche à la vie de bureau. « *Plutôt que de vous flageller sur la place publique, montrez que vous avez compris, que vous savez désormais quoi faire, à la fois pour régler le problème et pour qu’il ne se reproduise pas. C’est une réaction bien plus rationnelle, et surtout pragmatique.* »
3. Sollicitez un feedback
Autre stratégie payante : demander un feedback plutôt que de vous répandre en excuses. « C’est l’occasion de chercher à mieux se connaître et, en ne restant pas dans une position coupable, de prendre davantage confiance en soi », explique Victoria McLean.
Au cours de votre carrière, vous aurez certainement à vous excuser, à prendre vos responsabilités et vous engager à ne pas répéter la même erreur. En revanche, cela ne doit pas devenir quotidien. « *Quand on s’excuse à longueur de temps, on finit forcément par se persuader qu’on a tout faux. On donne l’impression de douter en permanence. Si vous manquez de confiance en vous, vous aurez tendance à vous excuser pour oui ou pour un non, ce qui entretient en retour votre image négative.* » Les habitudes ont la vie dure, mais vous êtes plus fort.e qu’elles !
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Photo d’illustration by WTTJ, traduit de l’anglais par Sophie Lecoq
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