Bras de fer avec son manager : comment communiquer sans répercussions négatives ?

03 avr. 2024

7min

Bras de fer avec son manager : comment communiquer sans répercussions négatives ?
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Gabrielle de Loynes

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Qu’il s’agisse d’un désaccord passager ou d’une opposition de longue date, la relation manager/managé n’est pas un long fleuve tranquille. Elle aussi peut connaître ses hauts et ses bas, jusqu’à parfois atteindre un point de blocage. Comment alors libérer les tensions avec son manager, sans risquer de subir de conséquences négatives ? Décryptage.

S’efforcer de rester droit, la respiration fluide, les épaules détendues. Garder les deux pieds ancrés sur le sol, maintenir une position flexible et souple, sans pour autant courber l’échine… Il n’y a pas que la posture face à son écran qui impacte la santé au travail. Celle avec son manager, aussi, a toute son importance. En particulier, lorsque la relation rencontre des frictions. Comment réagir lorsqu’on entre en conflit avec son boss ? Comment parvenir à résoudre cette problématique sans risquer à la fois de se le mettre à dos ou de devoir faire le dos rond ? Alexis Eve, coach de dirigeants et psychologue du travail, et Julie Thibault, avocate et médiatrice professionnelle, nous livrent leurs astuces pour prévenir et guérir un conflit épineux avec son manager.

Du désaccord au conflit, quand la relation manager/managé tourne au vinaigre

Un désaccord avec son manager, c’est la première raison qui pousse un talent à la démission, d’après une étude Robert Walters réalisée en 2022. Les conflits au travail minent le moral des collaborateurs : nous serions ainsi près de deux tiers à y être confrontés et nous passons en moyenne trois heures par semaine à les ruminer ou tenter de les régler. Mais, lorsque la situation s’envenime avec son N+1, c’est encore pire. Entre la proximité quotidienne et la relation hiérarchique, ce dernier est par définition celui qui oriente, voire décide pour nous sur bien des aspects : missions, congés, volume de travail… de sorte que les répercussions peuvent être tout aussi nombreuses.

Souvent, un tel désaccord commence par un petit agacement. Quelques points sensibles apparaissent avant que ne se manifestent de réelles tensions ou dissensions, pouvant parfois aboutir à une guerre ouverte. « Il faut voir les tensions avec son manager comme un désaccord qui, en soi, n’est pas problématique, assure Alexis Eve, coach et psychologue du travail. Ce qui l’est en revanche, c’est quand le désaccord tourne au conflit. Car le conflit se charge d’une composante émotionnelle : peur, tristesse, colère… Et quand on n’arrive pas à sortir du conflit, on tombe tôt ou tard dans la violence. » Même si la tentation première peut être de courber l’échine, en attendant que l’orage passe, il ne s’agit pas d’une solution viable dans la durée. S’il est recommandé de ne pas réagir à chaud, il n’en reste pas moins nécessaire de ne pas fuir le conflit, même avec son supérieur hiérarchique, au risque de finir par « craquer ».

Laurent, commercial expérimenté, en a fait la triste expérience. « Je vends des solutions informatiques à des entreprises », précise-t-il. Au quotidien, il n’a en principe que peu de comptes à rendre, dès lors qu’il remplit ses chiffres. Mais ça, c’était avant l’arrivée de son N+1. « Mon nouveau boss a une approche ‘’manager-flic’’, souffle-t-il. Sous prétexte de vouloir m’aider à faire toujours mieux, il me collait aux basques. » Présence surprise à des rendez-vous, points fréquents sur les chiffres et appels quotidiens, Laurent a soudain l’impression d’être infantilisé. « Un jour, j’ai craqué, reprend-il. Je lui ai lâché violemment que je n’avais plus quatre ans et que, si je faisais mes chiffres et qu’on était content de moi, je n’avais pas besoin d’avoir une baby-sitter… »

Une situation commune, des regards différents

« Ce manager avec qui vous êtes en conflit, c’est très facile de lui prêter de mauvaises intentions, affirme encore Alexis Eve. Pourtant, en réalité, il n’y a qu’une minorité de personnes agressives et sadiques, alors que 99 % des gens sont des agressifs défensifs. Dit autrement, je t’agresse parce que tu m’agresses et ainsi de suite… » Pour notre expert, sortir du conflit implique de changer votre regard et faire preuve de compassion. « Ne voyez pas votre manager comme un dictateur. Dites-vous bien que sa position est extrêmement difficile, insiste-t-il. Elle implique beaucoup de responsabilités, une asymétrie de charge émotionnelle et de travail. Soyez dans un niveau de “care’’ élevé envers lui, essayez de l’humaniser. Adviendra alors l’une ou l’autre de ces options : soit vous allez finir par le comprendre, soit aux yeux du monde il deviendra impossible de soutenir votre manager. »

Pour décharger la relation de sa composante émotionnelle, le psychologue préconise l’usage de la réputée communication non violente (CNV), mais également d’un outil moins connu que l’on appelle le paradoxe du T. « Dans une organisation, plus les personnes sont hautes dans la hiérarchie, plus leur rôle au sein de l’entreprise retombe sur des horizontaux. On est tous quelque part sur le T, mais on ne regarde jamais le même set de données quand on aborde une problématique. Ainsi, on ne va pas vérifier qu’on dispose des mêmes données, mais on va avoir tendance à forcer sa solution, sans essayer d’amener l’autre à voir la même chose que soi. Au contraire, si on regardait le même data set, souvent, on arriverait l’un et l’autre à la même conclusion », remarque-t-il.

Si vous n’êtes pas parvenu à éviter le clash, la relation en prend bien souvent un coup. Il faut alors s’efforcer de défaire les nœuds au plus vite. Laurent s’en est rapidement rendu compte : « Je suis revenu le voir le jour d’après pour m’excuser d’avoir dit les choses si brutalement. Et je lui ai proposé de tester une autre méthode de management avec moi. Je crois qu’il a apprécié mon mea culpa et il a accepté. J’ai compris qu’il avait besoin de savoir régulièrement où j’en étais. Ça doit le rassurer. Alors je lui ai proposé deux points, les lundis et mercredis, pour bosser sur les chiffres et les dossiers en cours. Entre chaque, je lui ai demandé de me faire confiance et de lâcher du lest. Ça a parfaitement fonctionné, on a trouvé notre équilibre et le conflit s’est résorbé. »

4 conseils pour éviter de rentrer en conflit avec son boss

Mais tout le monde n’est pas disposé au mea culpa. Et du conflit au litige, il n’y a souvent qu’un pas ! Pour éviter de s’y risquer, l’avocate et médiatrice professionnelle Julie Thibault vous glisse ses recommandations afin d’éviter cette mauvaise posture.

Conseil n°1 : faire un travail d’introspection

« Il faut tout d’abord identifier ce qu’on appelle un conflit, soit cette relation entre deux personnes qui s’est dégradée car elle est envahie d’émotions négatives. Or, ces émotions font qu’elles ont du mal à aborder la situation de manière sereine et rationnelle. » Dans ces circonstances, elle conseille au collaborateur d’observer ce qu’il se passe en lui. « Car, pour revenir à un dialogue structuré et rationnel, il faut déjà purger l’aspect émotionnel qui ternit la relation », détaille Me Thibault.

« Il y a des composantes du conflit identifiables et systématiques. Lorsqu’on est en conflit avec quelqu’un, c’est qu’il y a quelque chose qui est déréglé en soi et avec l’autre », poursuit-elle. Parmi les composantes invariables, l’avocate distingue d’une part ce qui se passe en soi : comme le fait de prendre des faits de manière personnelle ou de s’entêter sur une manière de faire. D’autre part, ce qui se passe avec l’autre : comme le fait de porter des jugements sur les agissements de l’autre ou le fait d’imaginer que l’autre a des intentions cachées, négatives ou malveillantes. Enfin, le fait de vivre une contrainte, d’être entravé dans ses actions par les agissements de l’autre. « En prenant du recul sur la situation et en faisant ce travail d’introspection, vous allez pouvoir identifier le conflit », poursuit-elle.

Conseil n°2 : initier le dialogue

Une fois accomplie cette prise de recul sur la situation, il faut vous mettre au clair avec vos besoins. « Vous devez clarifier ce que vous souhaitez du point de vue des enjeux, mais aussi dans la relation avec votre manager : arrêter la relation, la poursuivre, l’aménager », explique Me Thibault. Ensuite, c’est à vous d’initier le dialogue avec votre manager : « L’idéal, c’est que les personnes soient autonomes dans la gestion du conflit. Je ne recommande donc pas d’instaurer un cadre particulier, puisque rien ne vaut le dialogue. »

À vous de voir si vous souhaitez lui proposer de discuter en envoyant un email ou lorsque vous le croiserez à la machine à café… « Chaque personne a sa manière de communiquer et de fonctionner, relève l’experte. Il ne faut pas hésiter à diversifier sa proposition : écrite par mail, orale et informelle… Faites une première tentative et si ça ne marche pas, essayez une autre manière de communiquer. »

Conseil n°3 : s’exprimer par un discours rationnel

Ça y est, le moment fatidique de vous mettre à nu devant votre manager est arrivé, alors autant tout coucher sur la table. « Soyez clair sur vos intentions, tout en restant ouvert à la discussion », propose Me Thibault. Selon elle, la meilleure posture à adopter est de se centrer sur soi. « Il ne faut surtout pas essayer de se mettre à la place de l’autre, conseille-t-elle. Ce sont vos attentes qu’il faut verbaliser. À aucun moment, il ne faut user d’empathie car c’est impossible puisque l’autre est autre. On n’a pas la capacité d’entrer dans sa tête, c’est le meilleur moyen de prêter à l’autre des intentions erronées. »

Pour mener à bien cette discussion, la médiatrice suggère de s’appuyer sur « l’altérité ». En d’autres termes, considérer chaque individu comme indépendant et légitime dans ce qu’il exprime, que ses propos soient bons ou mauvais. « Il faut s’exprimer de manière non conflictuelle en purgeant en amont les émotions négatives, traduit-elle. Les composantes du conflit propre à soi, peuvent être traduites dans un discours rationnel qui consiste à : exprimer des faits vérifiables, énumérer les conséquences et exprimer son ressenti. Alors, seulement, le discours devient entendable pour le manager. »

Conseil n°4 : proposer une solution

« Proposer des solutions, c’est indispensable. Personne ne peut se mettre à votre place et savoir ce à quoi vous aspirez. Mais encore faut-il proposer des solutions dans un esprit d’ouverture », suggère Me Thibault. Si la problématique se répète, il faudra se poser des questions sur la relation. « Une relation apaisée n’est pas forcément une relation maintenue : elle peut être aménagée ou encore rompue, affirme-t-elle. Et si la problématique n’arrive pas à se résoudre, il est encore possible de s’en ouvrir aux services RH et de proposer une médiation. »
Comme après une bonne séance d’ostéopathie, il est fort probable que vous vous sentirez K.O à l’issue de ce rendez-vous. C’est le signe que le travail est en train de faire son effet… Une à une les tensions sur vos épaules vont se décharger et le poids du conflit va s’alléger. Vous allez pouvoir aborder de nouveau la relation avec votre manager avec sérénité.


Article rédigé par Gabrielle de Lyones et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps

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