« Mon boss me prend pour son assistant » : que faire ?

25 juin 2024

9min

« Mon boss me prend pour son assistant » : que faire ?
auteur.econtributeur.e

Si l’impression de ne pas être reconnu à sa juste valeur est malheureusement un sentiment répandu dans le monde du travail, il arrive parfois que celle-ci atteigne des sommets. Comme lorsque votre manager vous prend pour son assistant.e et vous confie les tâches fastidieuses qu’il ou elle ne souhaite pas s’infliger. Si c’est votre cas, les conseils de notre experte Anaïs Vega, coach professionnelle et développeuse de potentiels en entreprise, vont vous aider à vous sortir de cette situation.

Ambre traverse une période compliquée professionnellement. Responsable design et communication au sein d’une PME d’informatique, elle déplore depuis maintenant plusieurs mois, que son travail soit de moins en moins en lien avec son intitulé de poste. Au quotidien, elle est en effet absorbée par des missions de « soutien » au pôle commercial de son entreprise. « Par la volonté du directeur commercial (et le laisser faire du CEO), on me confie toutes les tâches que l’équipe commerciale considère comme étant trop fastidieuses. Je me retrouve à remplir des fichiers volumineux de partenaires commerciaux, à m’assurer qu’il y ait assez de stylos pour tous les invités d’un salon ou à accueillir les visiteurs au bureau en leur servant le café, énumère Ambre. Et cela va même encore plus loin, puisque je suis systématiquement mobilisée pour superviser et briefer notre prestataire en charge du ménage, voire prendre le relai s’il le faut pour ranger les courses du bureau. Finalement, du design et de la communication, j’en fait très peu. »

Une situation qui empire avec le temps, faisant chuter du même coup le moral de la jeune cadre : « C’est assez décevant d’être pris pour l’assistance des commerciaux. Sans compter que je n’ai jamais été prise au sérieux par les dirigeants lorsque j’ai essayé d’en parler. Et le soutien de mes collègues est inexistant, pourtant tous sont témoins de ce qu’il se passe. » Lorsqu’elle essaye de comprendre comment elle s’est retrouvée dans cette position, Ambre remarque que cela s’est fait aussi naturellement que progressivement. « Au début, ce n’était que pour dépanner, et cela passait presque pour du volontariat de ma part, mais au fur et à mesure c’est devenu systématique, bien que jamais officialisé ni verbalisé, se souvient-elle. Je pense aussi que dans l’esprit des gens, même inconsciemment, c’est naturel que ce soit moi qui récupère toutes ces missions : je suis la seule femme de l’entreprise, j’ai 25 ans de moins que les autres, et je suis quasiment la seule à ne pas être ingénieure de formation. Sans compter que le design est sans doute mal compris et sous-valorisé par mes collègues. » Et pour ne rien arranger, avec le temps, une tension s’est instaurée au sein de l’entreprise autour de son cas. « Mes demandes de changement ont été reçues comme un manque de volonté de ma part. Et récemment, j’ai été en arrêt maladie - pour une raison totalement différente -, mais cela fut interprété comme un arrêt volontaire, une sorte de geste de contestation », ce qui attriste profondément la designer. « Cela va trop loin, mais je trouverais cela dommage que la seule suite possible soit mon départ de l’entreprise. »

Comment identifier une situation intolérable ?

Se retrouver dans ce genre de situation est anormal et impacte négativement notre bien-être au travail. Anaïs Vega, coach en entreprise, explique en quoi ce genre de missions d’assistanat peuvent, lorsque cela ne correspond pas à notre formation ou à notre fiche de poste, égratigner notre estime de soi et atteindre notre santé mentale : « Si l’on résume grossièrement la célèbre théorie de l’autodétermination, un individu a besoin de trois fondamentaux pour s’épanouir : de l’autonomie, du lien social, et des défis à la hauteur de ses compétences, explique notre experte. Or, lorsque l’on est assigné à des micro tâches qui ne nécessitent pas nos qualifications ou les compétences que nous avons alors que l’on est arrivé pour endosser un rôle plus important, on a le sentiment de ne pas exprimer ou développer nos capacités. Cela peut affaiblir notre motivation, notre vitalité et à terme être dangereux pour notre santé mentale. »

Néanmoins, la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas (en dehors de cas de violation de droit du travail et de harcèlement) n’est pas facile à déterminer, car cela dépend avant tout de chacun. « C’est notre parcours de vie qui va fixer nos limites et ce qui est tolérable pour chacun. Il n’y a pas de tâche dégradante en soi, rappelle Anaïs, mais il y a parfois un décalage entre nos besoins, ce pour quoi nous avons accepté un poste et la réalité. » Pour prendre du recul, demandez-vous : « À quoi ressemble le poste pour lequel j’ai signé ? » Cela vous aidera à évaluer le gap entre ce que vous avez projeté au moment d’accepter le job et ce qu’il est vraiment.

Nathan travaille dans l’hôtellerie et bien qu’il soit adjoint de la directrice, celle-ci le confond un peu trop souvent avec son majordome personnel. « Je passe mon temps à lui rendre des services personnels. J’ai plusieurs fois dû déposer des plaintes au commissariat en son nom, gérer un problème d’assurance pour son véhicule personnel, et même monter un dossier pour la régularisation de son employée de maison. » Malgré l’aberration de la situation, Nathan ne le vit pas mal du tout et ne compte pas s’employer à changer les choses. « J’ai conscience que cela n’est absolument pas normal et que ce serait un problème pour beaucoup de gens. Mais je m’y retrouve aussi de mon côté, reconnaît-il. Bien que ses demandes soient surprenantes, elles impliquent rarement un dépassement de mes horaires, et puis cela me permet d’avoir un rapport de confiance privilégié avec elle, explique Nathan. Grâce à mon dévouement, j’ai pu évoluer rapidement au sein de la structure et je n’ai jamais eu de soucis à obtenir des traitements de faveur, comme des congés exceptionnels à des périodes chargées par exemple. » Pour Anaïs Vega, l’important est de s’écouter et de comprendre ce que l’on veut au plus profond de soi. « Tant que cela ne provoque pas de mal-être, ni de difficultés professionnelles, il n’y a pas de raison de paniquer. Mais si cela se fait ressentir alors il ne faut pas attendre pour agir. » Les avis extérieurs sont aussi bons pour infirmer ou confirmer une intuition. « Parlez-en autour de vous, à vos collègues, des amis, demandez de l’aide auprès d’un professionnel pour voir ce qu’ils en pensent et ce qu’ils vous conseillent de faire. »

Comment agir pour se sortir de ce rôle « d’assistant » ?

Notre experte en est sûre, il est essentiel de ne pas laisser s’installer une situation qui ne vous conviendrait pas. « À chaque témoignage, je remarque que la situation s’est installée progressivement, et que malheureusement, on ne s’aperçoit que bien trop tard de son ampleur. La fable de la grenouille décrit bien ce phénomène d’habituation à ne pas réagir : lorsque l’on plonge subitement une grenouille dans de l’eau chaude, elle s’échappe d’un bond, alors que si elle est plongée dans l’eau froide portée très progressivement à ébullition, elle s’engourdit et cela termine mal… » Pas le temps de traîner donc : dès que vous avez le sentiment que les demandes que l’on vous formule sortent de votre scope, il faut réagir.

Conseil n°1 : misez sur le dialogue

Comme pour tout problème en entreprise, le dialogue est souvent le plus court chemin vers sa résolution. « Organisez un point pour en parler avec la personne qui vous mobilise pour ces tâches qui ne correspondent pas à votre poste et assurez-vous qu’il se fasse dans les meilleures dispositions possibles », conseille Anaïs Vega. En d’autres termes, préparez le terrain pour augmenter vos chances d’être écouté. « Le but est de tirer la sonnette d’alarme d’une façon qui puisse être accueillie positivement par l’autre. » Preuve en est, le cas d’Ambre, responsable design et communication, qui n’a pas été prise au sérieux lorsqu’elle fit part de ses contestations lors d’un point d’équipe devant tout le monde. « Le groupe s’est mis sur la défensive et s’est empressé de la décrédibiliser », analyse notre experte. Il est donc important de prévenir en amont votre interlocuteur du caractère aussi inhabituel que délicat de votre demande. « Convoquez la personne en lui confiant que c’est pour une question d’organisation, que cela concerne un sujet qui entrave votre épanouissement, et que cela ne sera facile ni à exprimer ni à entendre. »

Lors de l’entretien, assurez-vous de rester le plus factuel possible et de parler à la première personne, sans généralisation. Mobilisez la méthode DESC pour trouver une issue constructive à la discussion avec ses quatres étapes :

  • 1. Décrivez les faits : détaillez le nombre de demandes que vous recevez ainsi que leur fréquence. Expliquez factuellement en quoi cela nuit au bon déroulement de votre travail. Estimez le temps que vous passez sur ces tâches annexes et insistez sur ce que vous pourriez apporter de mieux à l’entreprise si vous disposiez de ce temps pour votre job.
  • 2. Exprimez votre ressenti : c’est le moment de parler de l’impact de cette situation sur votre bien-être et votre motivation. Concentrez-vous uniquement sur votre ressenti et n’accusez pas l’autre. Utilisez « je » dans vos phrases : « Je me sens… parce que je… » Pour préparer votre discours, répondez à ces questions en amont : est-ce que vous appréciez ce genre de missions ? Combien de temps pensez-vous pouvoir tenir dans cette situation ? Quelles sont vos impressions et sentiments ?
  • 3. Proposez une solution : les solutions concrètes dépendent de chaque situation mais parmi elles, vous pouvez par exemple proposer d’effectuer ces tâches fastidieuses à tour de rôle avec l’ensemble de l’équipe, pour que cela ne tombe pas systématiquement sur vous, de revoir les process pour que cette tâche soit clairement assignée à la personne la plus adéquate, faire appel à un outil informatique ou un prestataire externe qui puisse simplifier la tâche en question, trouver un autre moyen d’alléger les équipes de ces tâches fastidieuses, discuter d’une évolution de poste (un changement d’équipe, un aménagement des conditions de travail…), ou encore faire réviser votre fiche de poste.
    Dans cette phase, l’important est la co-construction. Faites en sorte que les solutions viennent des deux côtés : c’est aussi un moment où vous allez comprendre les besoins ou obstacles de votre interlocuteur. Une solution peut aussi être un processus plus long mais qui permet quand même d’arriver à obtenir gain de cause.
  • 4. Concluez : en indiquant les modalités de ces changements pour chacun, ce à quoi les deux parties s’engagent et remerciez votre interlocuteur en insistant sur les conséquences positives des solutions mises en place. Pour Anaïs Vega, « il peut être judicieux de fixer dans la foulée des points d’étape, à plusieurs semaines ou mois d’intervalle pour s’assurer que les choses vont dans le bon sens et réajuster si besoin. Et surtout de laisser des portes ouvertes pour continuer à communiquer sur le sujet en cas de besoin ».

Conseil n°2 : montrez vous aussi à l’écoute

N’oubliez pas de rester objectif et de faire preuve d’empathie. Bien sûr, cette situation arrive parfois du seul fait de la toxicité de votre manager. Mais cela peut aussi subvenir pour d’autres raisons qui vous échappent. « J’ai le souvenir d’un cas où une employée vivait mal d’être toujours chargée de trouver un restaurant pour les déjeuners client de son dirigeant, se rappelle Anaïs Vega. Lorsque celui-ci avait compris que ça l’agaçait, il avait expliqué que s’il pensait toujours à elle c’est parce qu’elle avait la réputation d’être incollable sur les meilleures adresses de la ville, et avait accepté de ne plus lui confier ce genre de missions. Il est donc important d’exprimer les choses et de le faire de façon constructive. » En effet, tout ne part pas toujours d’une mauvaise intention et la solution se trouve peut-être plus proche qu’on ne le croit.

Jérôme, lui, ingénieur dans une organisation à but non lucratif, aimerait que son manager arrête de l’appeler dès qu’il veut éviter de mettre la main à la pâte : « Il préfère me dicter ses emails que les envoyer lui-même. Pareil pour les slides de nos présentations : je fais les miennes, mais lui s’arrange toujours pour me dicter ce qu’il veut voir dans les siennes pour que je m’y colle. En fait, il veut toujours que je sois les mains et lui la tête, mais je ne suis pas là pour ça, s’agace le cadre, dont les espoirs de voir la situation s’arranger un jour sont minces. C’est un manager à l’ancienne, qui est en poste depuis 30 ans et n’a jamais changé ses habitudes. Mais si avant ça passait peut-être auprès de l’ancienne génération, aujourd’hui ça énerve toute l’équipe ! » Pour Anaïs Vega, c’est typiquement dans ce type de cas qu’il faut, au moment de manifester sa désapprobation, savoir se montrer également à l’écoute. « Ici, on peut se demander ce qui se cache derrière cet évitement de certaines tâches : cela peut être lié à une méconnaissance de certains outils ou à toute autre chose que nous sommes loin d’imaginer, diagnostique la coach en entreprise. Il est donc important de questionner avec empathie le point de vue ou les difficultés de l’autre. Tout est envisageable… Si le manager n’est pas à l’aise avec les mails ou Powerpoint, voyez comment vous pouvez l’aider à surmonter ses difficultés afin que vous sortiez tous les deux gagnants de cet échange. »

Conseil n°3 : sachez quand dire « non »

Si vous avez pour habitude d’accepter les tâches demandées, sachez que réagir différemment peut faire bouger des choses, avoir de l’impact et amener à des discussions. Anais Vega précise la marche à suivre : « Vous pouvez commencer progressivement en n’acceptant plus certaines tâches et renverser la vapeur petit à petit. Soyez la grenouille qui bondit hors de la marmite avant d’avoir trop chaud ! »
Si vous avez déjà tenté le coup mais que cela s’est avéré infructueux, peut-être qu’un détour vous permettra d’atteindre votre objectif. « Ce n’est pas forcément facile à reconnaître, lorsqu’on nous accuse de se débarrasser de certaines tâches ou de dévaloriser quelqu’un. Alors il se peut que votre manager soit hermétique à vos alertes, ou se renferme par des mécanismes de défense » explique notre experte. Dans ce cas, pourquoi ne pas s’adresser à un intermédiaire objectif dont la parole aura un autre poids ? « Il y a peut-être une personne de confiance dans l’entreprise à qui vous pourriez vous adresser. Le mieux, c’est d’en parler à une personne qui sera écoutée par votre manager » conseille t-elle. Cela peut être un mentor, un supérieur ou encore un allié de votre manager qui travaille avec vous.

Conseil n°4 : protégez-vous si aucune stratégie ne fonctionne

Il y a des cas où ces stratégies marcheront et vous aideront à retrouver un quotidien normal au travail et une meilleure santé mentale. Mais il arrive aussi que la situation s’enlise et devienne invivable. Lorsque votre manager ne reconnaît pas le problème et qu’il ou elle refuse de vous écouter, ou lorsque vous vous rendez compte que votre situation n’est que le symptôme d’une défaillance organisationnelle plus globale : une culture du micromanagement, de la toxicité à tous les étages, des rapports conflictuels… Il y a un moment où vous devrez réussir à dire « stop » et à trouver une porte de sortie. Vous pouvez également faire appel à la médecine et/ou l’inspection du travail pour que soit détectée une situation de harcèlement. Pour rappel, les tâches dévalorisantes inadaptées au savoir-faire du collaborateur à caractère répété font partie des exemples de harcèlement moral au travail reconnus par la Cour de cassation.

Article édité par Aurélie Cerffond ; Photo de Thomas Decamps

Les thématiques abordées