« J'allais pleurer aux toilettes » : comment gérer une gueulante de votre N+1 ?

06 juin 2024

8min

« J'allais pleurer aux toilettes » : comment gérer une gueulante de votre N+1 ?
auteur.e
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

contributeur.e

Il en va du travail comme de la vie, nous sommes liés aux autres par nos relations sociales qui ne sont pas toujours… de tout repos. Celles nouées avec notre hiérarchie notamment peuvent prêter à un désamour réciproque. Un « style » de management douteux ou une personnalité difficile suffisent parfois à faire monter le ton plus vite qu’un Richard Virenque lancé en pleine ascension du Tourmalet dans ses meilleures années. Et si dans l’idéal, un salarié ne devrait jamais être amené à gérer un manager qui pique une crise de colère, en réalité cela arrive régulièrement. Alors, comment réagir face à un supérieur qui nous hurle dessus ?

« Un jour, il pouvait être très souriant et agréable et le lendemain, sans raison apparente, me parler comme à la dernière des merdes »,

Ariane, 36 ans, assistante de production dans le cinéma

« À vingt-deux ans, je sortais de mes études de cinéma et entamais mon premier job en tant qu’assistante de production. Mon référent direct était aussi le boss de cette petite structure. De ce fait, j’étais la seule personne salariée. Si je trouvais un certain charme à ce cinquantenaire au début de notre collaboration, il m’a ensuite fait vivre un véritable enfer. Un jour, il pouvait être très souriant et agréable et le lendemain, sans raison apparente, me parler comme à la dernière des merdes. Dès qu’il ressentait un coup de stress, je devenais son souffre-douleur et il me hurlait dessus sans raison. Le pire, c’est que si par malheur, je faisais réellement une erreur (ce qui arrive évidemment à n’importe quel travailleur et encore plus lors d’un premier emploi), cela donnait lieu à d’impressionnantes gueulantes. Bien sûr, il agissait généralement en présence des techniciens et des monteurs, pour que je me sente encore plus humiliée.

Dans l’instant, quand les crises de colère de mon boss survenaient, j’essayais de garder la face et de ne pas trop montrer mes émotions : j’allais me planquer aux toilettes pour pleurer et reprendre mon souffle. Souvent, ça me faisait monter en stress et en nervosité que de prendre sa décharge de colère et d’agressivité dans la gueule. Si bien que je n’arrivais pas à me défendre vraiment et à lui dire que ses comportements étaient complètement exagérés. J’étais plutôt à me taire, limite même à m’excuser. Sans comparatif car c’était mon premier job, j’avais juste envie que ça se passe bien et en plus, j’avais l’impression d’avoir beaucoup de chance d’avoir trouvé un poste dans un secteur bouché.

Cette mauvaise expérience a brisé mon estime personnelle et ma confiance professionnelle puisque je ne savais jamais si ce que je faisais était bien ou non. J’étais assez perfectionniste, très travailleuse, alors quand quelqu’un te crie dessus en permanence, tu finis par penser que le problème vient de toi. Je dormais mal, j’avais la boule au ventre tous les jours, me préparant toujours au pire. Il fallait que je bosse un certain nombre de mois pour faire mes heures d’intermittence et ensuite toucher le chômage. J’ai donc pris mon mal en patience et une fois que j’ai atteint mon quota d’heures, je me suis cassée. Je crois que ce n’est pas sans raison que j’ai fui les contrats en CDI et le monde de l’entreprise après ça pendant de nombreuses années, préférant rester indépendante. Ça m’a donné une vision du monde du travail dégradée et m’a traumatisé sur mon rapport à la hiérarchie. »

Pourquoi de tels comportements managériaux ?

Ariane n’est - malheureusement - pas la seule salarié à avoir fait l’expérience d’un manager colérique et à cet état de sidération qui succède les crises. Pour nous éclairer sur ces comportements abusifs, Noémie Le Menn, psychologue du travail, explique les raisons de tels agissements.

Par reproduction

Un manager abusif peut simplement répliquer un comportement qu’il a lui-même subi et banalisé. « Dans certains secteurs professionnels, un management dit “viril”, qu’on pourrait qualifier “d’à l’ancienne”, peut être perçu comme une tradition de la profession. »

À cause d’un rapport dominant/dominé binaire

Certains manager peuvent être dans une relation dominant/dominé très binaire. Pour eux il n’existe que deux cases, et pour garder le pouvoir dans ce rapport de force, ont un reflex de positionnement qui consiste à rabaisser l’autre. « Généralement, ces personnes vont avoir du mal avec la gestion de leur autorité. C’est dû à un manque de recul et de réflexion sur la position managériale. Il peut s’agir de personnes parachutées sans formation par exemple, et qui ont fait l’impasse de cette réflexion. Cela implique des trous dans la raquette comportementale. »

Par anxiété et mauvaise gestion des émotions

Certains anxieux se rassurent en faisant davantage peur aux autres ou en transmettant leurs craintes. C’est par exemple le stress économique du patron projeté et répercuté en pression sur ses salariés. « C’est en fait une absence de management de soi, une mauvaise gestion de son stress et de ses émotions », précise l’experte.

À cause d’un tempérament colérique

« On hérite d’un tempérament sur lequel on peut beaucoup travailler, mais qui ressortira toujours sur son comportement. » L’introspection n’étant pas à la portée de tous, ce trait de caractère reste parfois prégnant.

Mais il n’y a jamais une seule raison à ces comportements abusifs, développe Noémie Le Menn. La plupart des écarts de comportements vont être multifactoriels. « Ces différents facteurs créent une trame sur laquelle surviennent les comportements, et ces facteurs peuvent se cumuler. » Enfin, cela intervient dans le cadre d’une relation à définir : « Si une personne hyper sensible se retrouve en conflit avec un manager colérique, c’est certain que ça se passera mal. »

Les conséquences d’un manager colérique pour les salariés

L’impact d’un manager toxique sur les salariés peut être dévastateur selon Noémie Le Menn. « Après, les gens sont plus ou moins sensibles et donc déstabilisés par le même phénomène », précise-t-elle. En fonction des personnalités, on peut donc être touché différemment par l’autorité et les comportements abusifs. Cependant, parmi les impacts, se trouvent l’augmentation du stress au travail mais aussi le développement d’une forme d’anxiété en dehors de la vie professionnelle. Ce type de comportement peut également empêcher de pleinement récupérer ce qui entraîne une accumulation de fatigue émotionnelle : les problèmes du travail prenant le dessus sur la vie privée.

Dans son quotidien professionnel, il n’est pas rare que les personnes victimes d’un mauvais traitement managérial récurrent perdent en efficacité, voient leurs relations avec leurs collègues se dégrader, ou encore développent une mauvaise estime de soi. « Cela mène aussi à la démotivation, au sentiment d’impuissance, d’incompréhension, de vacuité et donc in fine, au désengagement du salarié. On est finalement pas loin d’un état dépressif », prévient l’experte.

Comment réagir face à un manager qui nous hurle dessus ?

Pour Noémie Le Menn, il ne faut pas laisser s’installer un climat de terreur en prenant les devants le plus rapidement possible pour éviter les dégâts sur notre santé mentale…

1. Ne pas réagir à chaud et prendre du recul

Il faut tout d’abord essayer de se positionner en distance émotionnelle face à la crise. « Surtout ne dites pas “Qu’est-ce qui vous prend ?” ou “calmez vous”, car il n’y a rien qui énerve plus une personne en crise », précise la psychologue. En effet, vous êtes face à quelqu’un qui perd ses moyens et il est nécessaire d’observer à distance ce qui se passe. « Noter les paroles prononcées est un très bon moyen de s’éloigner du champ émotionnel et de faire un pas de côté. Ne pas réagir à chaud c’est éviter le risque de mettre de l’huile sur le feu. Une personne en crise, hors d’elle-même, est sortie de la rationalité et du contrôle émotif. Il ne faut surtout pas entrer dans son jeu, surtout si on est tenu par un lien de subordination, car cela pourrait se retourner contre vous. »

Pour autant, cacher ses émotions n’est pas toujours recommandé. « Si quelqu’un vous met une gifle et que vous dites “aïe”, il n’y a pas de honte à avoir. Et bien certains comportements sont l’équivalent d’une gifle et de la même manière il n’y a pas de honte à montrer qu’on est heurté. » De même pour la spécialiste, « la larme est une alarme », et pleurer face à la violence de quelqu’un peut suffir à enrayer la situation. « C’est l’autre qui doit avoir honte d’avoir mal agi, si vous fondez en larme et que son intention n’était pas mauvaise, cela lui donnera conscience qu’il est allé trop loin. C’est un signal “stop”. »

2. Laisser une occasion à la personne de se calmer

Dans la même optique, laisser à la personne l’occasion de se calmer est opportun. On peut par exemple sortir de la pièce, aller aux toilettes, décrocher son téléphone et prendre 5 à 10 minutes avant de revenir, « trouver un subterfuge pour s’extraire et ne pas être là », résume la psychologue.

3. Identifier la nature de la crise

Il est important pour Noémie Le Menn d’identifier le type de crise que pique votre manager. Est-ce la première fois qu’il ou elle s’emporte ? Ou est-ce que cela se produit régulièrement ? Utilise-t-il des mots offensants, dégradants, humiliants, sur votre travail ou sur vous ? Si un manager s’emporte sur la qualité de votre travail par exemple, la psychologue recommande de rentrer dans une démarche constructive. « On peut dire par exemple “je comprends que ça ne convienne pas, je n’ai pas bien compris vos attentes, est-ce qu’on pourrait en parler ?” L’idée est de montrer qu’il y a un malentendu, qu’on a pas fait exprès et qu’on cherche à comprendre comment bien faire », soutient-elle. Mais en cas de pétage de plombs sans raison apparente, si vous êtes en face de quelqu’un de colérique par exemple, que faire ? « Si la personne n’est pas contente de notre travail et qu’elle le dit d’une manière inappropriée, il faut essayer de rétablir une communication saine pour “manager son manager”. Si c’est quelqu’un de plus pervers qui a de réelles intentions de nuire, il en remettra une couche en disant par exemple “tu ne comprends rien”, “tu es nul”, dans l’objectif de vous casser. » Dans ce dernier cas de figure, il faudra pouvoir trouver de l’aide extérieur et alerter votre hiérarchie car le problème ne dépend plus de vous.

4. Rétablir le dialogue et fixer ses limites

Il est essentiel dans une telle situation de ne pas laisser la violence escalader. « J’ai tendance à dire qu’on est co-responsable de la relation qu’on a avec les gens, parce que ça arrive rarement du jour au lendemain, souvent la situation se dégrade petit à petit », expose Noémie Le Menn. Moins on agit vite, plus il faudra faire des efforts pour réparer la relation, et peut-être d’en conclure qu’elle n’est pas ou plus réparable. « C’est comme pour un mariage, on peut tenter de résoudre une crise mais si ça ne fonctionne pas, on peut divorcer. » Pour renouer avec son supérieur et trouver un terrain d’entente, il est nécessaire de bien connaître ses limites et encore plus important, de les faire respecter. « Il y a des moments où l’on peut appuyer sur le bouton off : le lendemain ou le surlendemain de la crise par exemple, montrer son désaccord, pour qu’il comprenne que ce n’est pas normal. De manière professionnelle, en restant calme et dans une volonté de renouer la conversation. »

Et si ce n’était pas une simple crise, mais du harcèlement ?

Comment distinguer la maladresse/le manque de diplomatie ponctuelle d’un manager d’une situation de harcèlement moral au travail qui s’installe ? Autant s’en remettre à sa définition, sans équivoque : « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements pouvant entraîner une dégradation de ses conditions de vie. Cela se traduit par une détérioration de la santé physique ou mentale de la victime », définit le site service-public.fr. Par exemple, quelqu’un qui se fait humilier systématiquement ou devient la tête de turc de son service. Noémie Le Menn suggère encore une fois la prise de note pour confirmer un cas de harcèlement moral au travail. « Noter permet de prendre du recul sur ce qu’on vit, de pouvoir relire ou faire relire ses notes par une personne de confiance pour en tirer des faits objectifs. »

Dès lors qu’on est potentiellement dans une situation qui relève d’un harcèlement moral, une enquête interne est demandée, explique-t-elle. « Si toutes les solutions que vous avez tenté de mettre en place ne fonctionnent pas, il faut aller chercher de l’aide, car cela vous dépasse. » On peut ainsi aller trouver le référent harcèlement de la boîte ou contacter les RH pour exposer le problème. « En théorie, les entreprises ont un devoir de protection des salariés face aux risques psychosociaux. Les solutions peuvent ensuite découler sur une formation pour le manager, un changement d’équipe pour le salarié ou se séparer de la personne problématique. L’idée est d’améliorer la situation. » Enfin, en dernier recours, on peut avoir recours à la justice. « Le harcèlement relève du pénal, c’est un délit. Si vous avez accumulé des preuves sur ce que vous vivez depuis plusieurs mois, vous pouvez lancer une procédure pour faire condamner votre manager harceleur. »

Article écrit par Manuel Avenel, édité par Aurélie Cerffond, photographie par Thomas Decamps

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