BADASS : Comment (enfin) accepter les compliments qu'on nous fait au travail ?
23 févr. 2021
5min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.
J’écoutais il y a quelques jours l’épisode d’un podcast dans lequel était invitée une jeune femme freelance plutôt précoce et surtout talentueuse. Assez talentueuse pour ne pas avoir besoin de démarcher de nouveaux clients et continuer de travailler, même sous l’ère impitoyable du Covid, être remarquée et conviée devant un micro. Après avoir été élogieusement introduite, voilà qu’elle glisse : « J’ai eu beaucoup de chance ». Intérieurement, j’ai soufflé : « Non, pas encore ».
Trop de vertu tue la vertu
Combien de fois ai-je entendu des femmes répondre à des compliments en évoquant des éléments extérieurs à leur mérite, leur valeur et leur force de travail ? Ce sont les « j’ai eu de la chance » et leurs petits cousins « oh, je n’ai fait que mon travail », le célèbre « non mais, c’était un travail d’équipe avant tout » ou « je n’y serais pas arrivée sans le soutien de Machine/mon mari/mes parents/mon mentor ».
Certes, la jeune femme en question a su par la suite mettre en évidence au fil de l’interview l’originalité de ses idées qui lui vaut de se démarquer, ainsi que les longues heures et jours de travail qu’elle ne calcule plus. Ouf. Mais la question était posée : pourquoi notre premier réflexe après un compliment est-il très souvent de le minimiser et lui opposer un contre-argument fissa ?
Évidemment, on peut dire qu’on a eu de la chance et reconnaître la somme des privilèges dont on a pu bénéficier pour en arriver là où nous sommes. C’est même sans doute une démarche très responsable dans une société très inégalitaire. Mais, avec leur caractère quasi-systématique et instantané, ces excuses que nous brandissons en réponse aux compliments ne disent-elles quand même pas aussi autre chose ?
En réfléchissant, j’ai rarement entendu des hommes contredire des félicitations de la sorte. Leur réaction lambda serait plutôt de ne rien dire ou acquiescer par un sobre « merci ». Une façon de dire sans le dire « oui, c’est vrai, j’ai trop géré mais je vais rester modeste (car je suis un mec bien) ».
Être le sujet de l’attention est une véritable opportunité
Faites un compliment à un homme, puis à une femme, voyez les réactions. Dans la plupart des cas, le premier prendra le crédit sans ciller, tandis que la deuxième avancera si tôt des « excuses » de recontextualisation. Pourquoi est-ce si compliqué de tout simplement accepter des louanges ? Est-ce de la gêne, un excès de modestie ou bien le syndrome de l’imposteur qui bat son plein ? Le fait-on car, au fond, se rabaisser serait plus convenable que de passer pour « celle qui a le melon » ?
Trop de vertu tue la vertu. La conséquence reste la même : vous vous tirez une balle dans le pied. Primo, vous contredisez votre interlocuteur (et c’est pénible à la fin). Secundo, vous clamez au monde que vous n’êtes pas si bien que ça. Cette humilité n’embellit rien. Tertio, vous évacuez illico la conversation vers un autre sujet que vous. Et ça, c’est très mal : être le sujet de l’attention est une véritable opportunité quand, dans le monde professionnel actuel, “faire savoir” est souvent tout aussi important que “faire” tout court.
On fait « rewind », on se repasse le scénario, et on apprend enfin à recevoir ces compliments qui nous intimident.
1. Ne commencez plus (jamais) votre réponse par “non mais”
C’est la partie la plus difficile, qui nécessite le plus d’entraînement : ne pas parlementer après qu’on vous dise « bravo ». Demandez à vos amis très proches (ceux qui vous aiment vraiment) de vous faire des compliments un peu plus souvent que d’habitude pendant les quinze prochains jours, et forcez-vous à ne plus les contredire et juste dire, simplement, « merci beaucoup », point. Pas de « mais », ni « oh tu sais c’est surtout… », ni de « il faut dire que… » Évidemment, l’exercice peut devenir un jeu collectif où chacun s’envoie des fleurs à tour de rôle (ça fait toujours plaisir) .
Ainsi, vous prenez le crédit, mais vous montrez également à votre interlocuteur que vous avez confiance en son jugement, que vous le valorisez et que vous êtes d’accord avec lui (et ça aussi, ça fait toujours plaisir en général).
2. Enfoncez le clou
Ce compliment jette la lumière sur vous. Maintenez-la encore un peu sur vous pour irradier en splendeur, plutôt que la rebasculer sur le contexte, la chance, le hasard des rencontres et les mystères de la vie.
Saisissez la perche que l’on vous tend et avancez en enrichissant la conversation des coulisses de votre succès. Non pas pour le minimiser, mais pour mieux vous faire connaître (et reconnaître). Parlez de ce qui vous rend fière dans cet accomplissement, donnez lui plus d’ampleur en le mettant en perspective avec votre engagement, vos valeurs, vos moteurs : « Merci, créer cette nouvelle branche était très important pour moi, c’est pour produire ce genre de transformation que j’ai voulu faire ce métier… », ou encore « Merci, travailler sur ce dossier m’a passionnée car… ». Vous, votre parcours et votre travail êtes intéressants et méritez d’être racontés.
3. Faites de vos citrons de la limonade
Vous n’avez rien demandé mais on vous fait un compliment. So be it ! Il n’y aura ainsi rien d’impudent ou déplacé à surfer sur la vague plus longtemps et transformer ces éloges en cartouches concrètes. Un client vous félicite pour votre prestation ? Demandez-lui de rédiger quelques lignes de feedback pour l’intégrer à votre catalogue ou sur votre site. Un N+2 vous félicite pour votre dernière mission ? Glissez-lui que son soutien vous serait d’une grande utilité pour le poste que vous briguez. Un collègue vous complimente à votre pot de départ ? Sa recommandation LinkedIn vous serait d’une grande utilité (vous savez l’importance des traces écrites depuis que vous avez lu le papier sur le factuel). C’est eux qui ont commencé, pas vous !
L’important étant d’avoir le sens du timing, de savoir quand transformer l’essai, et d’expliquer en quoi leur aide vous sera utile. Plutôt que de sauter sur l’occasion au moment T comme un chat sur du poisson frais (« Bravo pour vos performances ce mois-ci » - « Pouvez-vous soutenir ma candidature pour la promotion ? »), mieux vaut parfois digérer et revenir deux trois jours plus tard, de façon plus mûre, moins aux abois : « Je vous remercie pour notre échange l’autre jour, cela m’a fait très plaisir que vous ayez remarqué mon travail. Je cherche à évoluer, et votre soutien et vos conseils me seraient précieux. » On ne répète pas le compliment, on surfe dessus.
Ainsi, vous n’êtes pas vaniteuse : vous les incluez dans la mécanique de votre succès (et cette grande chaîne de solidarité réciproque qu’est votre réseau). Évidemment, gardez en tête qu’œil pour œil, dent pour dent : un service rendu en vaut un autre.
Accepter les compliments vous aide à changer d’état d’esprit : vous verrez que ça ne vous coûte rien de récolter des lauriers, ni d’en donner en retour. Vous gagnez aussi la stature pour complimenter les autres en retour et dédramatiser l’exercice. Le monde du travail n’est pas une compétition géante où ce que les uns prennent, les autres le perdent. À travers les compliments, se crée une synergie, un échange, une ronde agréable qui connecte aux autres, décomplexe et flatte. Il faudrait être fou pour dire « non mais, je n’ai pas envie d’en faire partie ».
Photo by WTTJ
Inspirez-vous davantage sur : Lucile Quillet
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
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