« On a toujours fait comme ça » : comment insuffler le changement au travail ?
27 avr. 2021
7min
Rédacteur & Photographe
« J’ai une super idée : et si … on changeait de bureau, de process, de logiciel, de routine, de méthode de travail ? » Changer ? Mais pourquoi ? Quelle idée ! « Ça fonctionne très bien, on a toujours fait comme ça… Et ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer… » L’inertie. On la rencontre partout. Dans nos foyers, dans nos quartiers, à l’école, au bureau, dans les couloirs de l’administration, jusqu’aux plus hautes fonctions. Il faut dire que chaque changement, même le plus minime, entraîne son lot de critiques, de méfiance et de d’opposition. Qu’il s’agisse d’une petite évolution dans une routine de travail, ou d’une grande réorganisation sociale, le changement nous fait peur. Il intimide, il paralyse, il fait fuir. Alors, comment faire pour l’insuffler en douceur et emporter l’adhésion de ses collègues et même de la direction ? Décryptage avec Vanessa Lauraire, psychologue du travail et psychothérapeute.
Peur du changement, quand tu nous tiens…
« Le changement fait peur, parce qu’il est une invitation à sortir de notre zone de confort », pose d’emblée Vanessa Lauraire. Alors qu’à force d’acharnement vous êtes parvenu à acquérir une certaine assurance, à maîtriser telle tâche ou gérer tel process, voilà que soudain le changement frappe à la porte. « L’invitation au changement vient alors nous interroger à l’endroit de notre identité professionnelle, poursuit-elle. Le changement est vécu comme une remise en question de notre travail et de notre façon de faire. C’est une situation anxiogène. » La nouveauté est alors assimilée à un élément perturbateur d’un équilibre établi. « En réponse, observe-t-elle, on met en place une stratégie de défense, de protection : on résiste. »
Et cela ne s’arrange pas avec le temps. « Plus le temps passe, plus on devient réfractaire au changement, reprend la psychologue. On le voit par exemple avec les difficultés qu’ont les personnes âgées à s’adapter aux nouvelles technologies. » Bref, « On ne change pas, On met juste les costumes d’autres sur soi », nous avait prévenu Céline Dion.
Mais d’où nous vient cette résistance au changement ? Est-ce inscrit dans notre ADN ? Selon la psychologue, « nous sommes tous sujets à la peur du changement, de l’inconnu. » Il faut néanmoins reconnaître que « la vieille Europe », ainsi que nous désignait, non sans mépris, le Secrétaire de la Défense des États-Unis Donald Rumsfeld en 2003, est à l’opposé de l’activisme anglo-saxon. « Le mode de fonctionnement anglo-saxon se veut plus ouvert aux nouvelles méthodes, à l’innovation, analyse Vanessa Lauraire. Il faut oser, entreprendre, y aller. La France est un système davantage normé et hiérarchisé. » Il y a des règles, un cadre. Et quand ça ne rentre pas dans les cases ? Il peut être difficile de s’en affranchir…
Les belles excuses…
« Et si on triait les déchets ? », « Pourquoi ne pas lancer un déjeuner d’équipe hebdo ? », « On pourrait faire appel à un nouveau prestataire ? … Systématiquement, lorsque vous suggérez un changement au sein de l’entreprise, aussi petit soit-il, vous risquez de vous heurter à une excuse bidon pour l’éviter. Petit tour d’horizon des phrases toutes faites qui coupent court à la discussion…
« On a toujours fonctionné comme ça… »
« … Et ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer ! » Cette réponse traduit une adhésion manifeste de votre interlocuteur à l’ordre établi. En d’autres termes, « C’est ainsi que cela fonctionne, il n’y a aucune raison de le remettre en question ». La peur du changement s’illustre ici par « une peur de ne pas savoir faire différemment, interprète Vanessa Lauraire. Mais elle repose également sur une incompréhension entre deux individus. » Car, lorsqu’on creuse un peu, est-ce que « Ça fonctionne » vraiment ? Si vous suggérez un changement, sans doute est-ce le signe qu’il y a quelque chose à améliorer. Et, « par définition, reprend la psychologue, tout est perfectible. Un refus de changement peut cacher une stratégie inconsciente de défense contre la peur de ce dit-changement face à ce qu’il requiert en termes de modifications et d’adaptation. »
« On n’a pas le temps… »
« Rome ne s’est pas faite en un jour » et on ne bâtit pas l’entreprise de demain en un instant. « Le changement est en prise avec le temps, explique la psychologue. Il implique nécessairement une phase d’adaptation. » Et plus la structure est grande, plus la mécanique est lente. Ainsi, on critique souvent l’inertie des « grosses machines » aux process infinis. À l’inverse, on vante l’agilité et l’adaptabilité des petites structures, comme les start-ups. Dans les deux cas, le temps est une composante indissociable du changement. D’ailleurs en perdre pour mettre en place un changement pourrait en faire gagner par la suite…
« On n’a pas les moyens… »
« Invoquer un manque de moyens, analyse la psychologue, c’est la réponse qui empêche le plus le dialogue, elle coupe court à la discussion. » Après tout, avez-vous accès au budget de l’entreprise ? Connaissez-vous l’état de ses finances ? Selon le poste que vous occupez, il est fort possible que cette réponse vous laisse sans voix. En particulier, lorsque le changement en question n’entraîne pas nécessairement de dépense supplémentaire. Pour autant, cela n’empêchera pas votre interlocuteur de répondre : « On n’a pas le budget pour ça. » Alors, tout compte fait, c’est peut-être que la proposition de changement n’a pas été correctement amenée…
Vecteur de changements : comment emporter l’adhésion ?
« Le même terme de “changement” peut faire peur, avertit Vanessa Lauraire. Il évoque des transformations en profondeurs. Je lui préfère le concept de ‘‘nouvelle idée’’, “d’innovation”. » Et, lorsqu’il s’agit de convaincre, de persuader et d’emporter l’adhésion, la forme est aussi importante que le fond…
Miser sur la force du collectif
« Du point de vue des sciences du travail, précise la psychologue, un collectif de travail est un collectif de règles. Ensemble, les travailleurs s’accordent sur le travail et la manière de le faire. Avoir l’idée de faire autrement et l’expérimenter “individuellement” est une chose, mais le plus important reste de le partager avec le collectif. Il faut donc que cette nouvelle idée emporte l’accord collectif. » Concrètement, vous avez plusieurs moyens d’impliquer l’ensemble de vos collègues dans votre désir de changement. Vous pouvez par exemple en discuter avec eux, les sensibiliser. « Dites-vous bien que vous n’êtes qu’un maillon de la chaîne, insiste la psychologue. En impliquant le collectif, vous pourrez fédérer et faire que chacun participe à un projet commun. »
Trouver le bon timing et le contexte propice…
Il y a un temps pour tout. « Certains contextes sont parfois plus favorables au changement, remarque Vanessa Lauraire. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, un problème ou une situation de crise, peuvent nous contraindre à innover, à agir différemment. »
Le contexte dans lequel vous allez suggérer une nouvelle idée a toute son importance. « Il faut choisir le moment opportun et le bon interlocuteur, prévient-elle. Demandez-vous si le contexte est propice et si le timing est bon. » À quelle occasion allez-vous aborder le sujet ? Une réunion en petit comité ? Un point spécifique pour traiter du sujet ? Y a-t-il a une personne dédiée à ce type de problématique ? D’ailleurs, qui est le mieux placé pour accueillir votre suggestion ? Et est-ce que l’heure n’est pas à des sujets plus urgents ? Posez-vous préalablement toutes ces questions.
Préparer un argumentaire convaincant
« Vous arriverez à convaincre de la pertinence de votre idée si vous réussissez à faire comprendre aux autres quels avantages ils peuvent tirer de ce changement, conseille la psychologue. Il existe plusieurs leviers de motivation possible pour présenter un changement au travail : il peut être porteur de sens, permettre l’acquisition de nouvelles compétences, augmenter la performance ou la rentabilité… Ce qui est important c’est de faire faire valoir les impacts positifs au niveau global. » En quoi ce projet est-il bénéfique pour l’équipe ? Qu’apporte-t-il au collectif ? Prenez de la hauteur dans votre démonstration, ne défendez pas votre situation individuelle mais celle du groupe.
Être force de proposition et de solutions !
Nul besoin de connaître votre N+1 pour savoir que, si vous débarquez dans son bureau pour lui demander de « mettre en place le tri des déchets » et l’informer que vous êtes « très choqué•e que ça n’ait pas encore été fait », vous risquez fort de voir votre idée condamnée et enterrée. « C’est bien d’être force de proposition, résume Vanessa Lauraire, mais cela ne revient pas à soulever des problèmes. Au contraire, il faut apporter des solutions. Ne vous contentez pas de signaler un dysfonctionnement à votre manager et de vous débarrasser de la question, l’air de dire ‘‘T’as plus qu’à…’’. Venez plutôt lui proposer un projet avec des arguments, un plan d’actions, combien ça coûte, etc. Votre interlocuteur doit comprendre que votre idée ne lui engendrera pas de charge de travail supplémentaire, mais qu’il pourra en bénéficier. »
Incarner le changement par l’exemple
Enfin, il est un moyen imparable pour apporter du changement dans une organisation : l’exemple. « L’exemple concrétise le changement, assure la psychologue. On peut amener du changement en commençant à petite échelle. L’innovation part toujours du terrain. L’incarnation d’une idée par l’exemple, c’est un moyen concret, tangible de prouver l’intérêt du changement. » Quand cela est possible, vous pouvez donc proposer à votre manager ou à la direction de faire un test grandeur nature. Ce test ne doit pas avoir pour effet de désorganiser l’entreprise, mais au contraire être vecteur de changements positifs. C’est la meilleure démonstration : la preuve par l’action !
Face à l’inertie : garder son enthousiasme…
Si rien n’y fait et que votre nouvelle idée ne rencontre pas son public, c’est qu’il est temps de s’interroger. « À quoi est relié ce changement ?, interroge la psychologue. Est-ce qu’il soulève une différence de vision ou de valeurs entre mon entreprise et moi ? Ou est-ce simplement une histoire de process ? Est-ce que je me reconnais de mon organisation ? Est-ce que mon idée est vraiment pertinente ? Il faut mener une réflexion de soi à soi pour y répondre. » Voyez ce qui se cache derrière votre envie de changement, peut-être renferme-t-elle des besoins plus profonds.
« Si vous êtes certain•e que c’est une bonne idée, mais que ce n’était pas le bon timing, ne vous laissez pas dépiter, insiste Vanessa Lauraire. Il ne faut pas capituler et ranger son projet au placard. Gardez votre dynamisme et votre motivation. Souvent, lorsque cela réussit, c’est parce qu’avant on a échoué mille fois. Il n’y a pas d’échec “à jamais”, il y a parfois des bonnes idées au mauvais moment. »
C’est beau les idées, les projets de changements, mais l’idée qui ne devient pas un projet concret reste une idée. La vraie question à vous poser c’est de savoir : comment faire de mon idée une innovation concrète ? « Car, conclut Vannessa Lauraire, l’innovation c’est une idée qui rencontre le marché. »
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