« Combien me coûte mon travail ? » Pour les salariés aussi, le travail a un coût
29 juin 2023
4min
Lorsqu’on pose la question du coût du travail, on pense tout de suite au salaire que dépense l’entreprise pour chaque personne embauchée. Et pourtant pour le salarié aussi son travail à un coût. Pour Roxane Régnier, fondatrice du collectif Misfit, qui accompagne des femmes à reprendre le pouvoir dans leur vie professionnelle, il est temps que les salariés fassent le calcul du prix de leur travail afin de voir si la balance est vraiment positive.
On parle beaucoup du coût du salarié pour l’employeur, mais vous posez la question inverse en invitant les salariés à se demander combien leur coûte leur travail. Pourquoi est-il intéressant de faire cet exercice ?
Il y a trois ans, j’ai monté une entreprise de bilan de compétences et j’ai accompagné des profils très différents dans des projets de reconversion ou de transition et souvent, ces personnes s’interdisent le changement parce qu’elles estiment qu’elles avaient déjà beaucoup de chance d’avoir des postes confortables et des bons salaires. Comme si elles étaient un peu enfermées dans une prison dorée. Face à ce genre de blocage, j’invite les personnes que je reçois à se poser la question inverse en leur demandant de calculer la facture de leur travail. Prenons l’exemple d’un consultant en forfait jour qui gagne environ 3000 euros net. Certes, le salaire est élevé par rapport au salaire médian en France, mais si on ajoute le temps de transports, les frais de représentation (habits, coiffures…), les heures supplémentaires non facturées, on arrive facilement à des semaines de plus de soixante heures. Finalement, elles ne sont pas beaucoup mieux payées qu’une personne qui travaille au SMIC. C’est un exercice assez révélateur qui permet de mettre à jour ce que j’appelle les « coûts cachés ».
Pouvez-vous détailler ce que vous appelez « coûts cachés » ?
J’en distingue trois : le « coût financier » dans lesquels j’inclus le montant des études (écoles privées, loyer, prêts étudiants…), les 50% des frais de transports qui revient à la charge des salariés et l’achat de moyens de locomotion pour aller travailler (voiture, vélo…), les repas du midi quand ils ne sont pas pris en charge, les frais de café, les verres avec les collègues pour créer du lien social, le budget garde d’enfants, la formation professionnelle continue pour rester à la page, les séances chez le thérapeute lorsque ça ne se passe pas bien… À cela s’ajoutent les frais de fournitures pour qu’on se fonde dans une culture d’entreprise. Pour mieux illustrer ce dernier point, par exemple lorsque je travaillais chez l’Oréal, je dépensais une petite fortune en maquillage, parfum, chaussures, parce qu’à mon poste on attendait de moi d’asseoir mon leadership en véhiculant une certaine image. Deuxième catégorie, le « coût temps ». Il s’agit ici de compter le temps que vous ne passez pas avec vos enfants, votre moitié, vos amis, les activités extra-professionnelles que vous ratez à cause de votre travail. Et enfin, il y a le « coût énergétique » dans lequel je mets le stress, la fatigue, les maladies chroniques, les risques de burn out, le manque d’épanouissement, les frustrations…
Mais alors ces coûts ne sont-ils pas les mêmes que notre travail nous plaise ou non ?
C’est vrai, mais la plupart des personnes que je rencontre ont tendance à se concentrer uniquement sur l’aspect rémunérateur de leur travail. Elles ne voient pas qu’elles aussi investissent dans leur poste. Et je n’ai même pas encore évoqué le coût d’opportunité.
De quoi s’agit-il ?
Les salariés ont tendance à penser que le nombre des opportunités qu’on leur propose est limité dans le temps. Du coup, lorsqu’une proposition ou un projet leur plaît, ils ont tendance à sauter dessus un peu trop rapidement. Et après, comme ils se sont déjà engagés, ils ne peuvent plus en saisir de nouvelles. Le coût d’opportunité, c’est tout ce qu’on ne peut pas faire parce qu’on est déjà engagé quelque part.
Finalement, avec cet exercice, vous rééquilibrez un peu le rapport de force dans l’entreprise puisque ce n’est plus seulement le salarié qui est redevable envers son employeur. Du temps et de l’argent sont investis de chaque côté.
C’est exactement ça. Il ne faut pas uniquement se concentrer sur l’aspect rémunérateur du travail ! Première situation : vous faites un métier qui vous plait et qui vous permet d’avoir un niveau de vie confortable. De l’autre côté, vous êtes tout le temps épuisé, vous n’arrivez plus à passer des moments en famille, avec vos amis ou autre et votre santé physique et psychique en pâti. Il y a un risque important que vous fassiez un burn out, ce qui aura un coût bien plus élevé que ce que votre travail vous rapporte. Deuxième situation : vous faites un métier qui ne vous plait pas, mais vous gagnez bien votre vie et il vous laisse du temps pour votre vie personnelle. Si vous ne faites pas de votre vie personnelle une priorité, le manque d’épanouissement professionnel peut avoir un impact très négatif dans votre vie. En fait, tout dépend sur quel plan de votre vie vous souhaitez mettre l’accent.
C’est-à-dire ?
C’est très rare de nos jours, mais imaginons un instant que vous faites le même métier toute votre vie, que vous n’évoluez pas vraiment et que le salaire soit toujours dans les mêmes tranches. En début de carrière, ce n’est pas un problème que vous fassiez beaucoup d’heures supplémentaires parce que vous n’avez pas encore de famille, vous êtes en forme, ambitieux… Quelques années plus tard, vous êtes devenu parent et vous avez beau faire le même nombre d’heures, ce sacrifice est plus difficile parce que ça vous coûte de ne pas être avec eux, de ne pas pouvoir aller les chercher à l’école… Il y a des personnes pour qui le coût est plus élevé que d’autres alors qu’ils occupent des fonctions similaires. Finalement, tout dépend de la place qu’ils souhaitent que leur travail ait dans leur vie.
En fin de compte, ça serait quoi un travail qui aurait un coût raisonnable ?
Pour finir mon développement, ça serait un travail sur lequel le salarié y gagnerait tant sur le plan financier, du temps et énergétique et se sentirait gagnant au global. Tout cela en prenant en compte le moment de la vie de la personne et l’aspect de sa vie qu’elle souhaite privilégier.
Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps
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