Comment accompagner un collaborateur lors de son départ ?
07 oct. 2019
6min
Rédactrice
Entre les ruptures conventionnelles et les démissions, les entreprises font face à des départs de plus en plus nombreux. Le Cabinet Hay fait état d’un taux de turnover record de 15%. Dans un tel contexte, il est capital pour les employeurs de gérer au mieux ces transitions, notamment du point de vue de leur marque employeur. Aujourd’hui, l’image d’une entreprise passe autant par le « onboarding » que par le « offboarding ». Alors comment accompagner efficacement un employé lors de son départ ? Comment ne pas se quitter fâchés ? Et faut-il rester en contact avec ses anciens employés ?
Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre d’un expert en la matière : Thibaut de Noray, Directeur des Talents chez Rémy Cointreau. Il nous parle de son parcours, de sa vision du monde du travail, de sa manière d’accompagner les talents tout au long de leur trajectoire professionnelle et, en bonus, il nous livre quelques conseils de pro pour passer maître dans l’art de dire « au revoir » ou plutôt « à bientôt » !
WTTJ : En quoi consiste votre rôle chez Rémy Cointreau ?
Thibaut de Noray : Depuis plus de 5 ans, je dirige l’équipe chargée du développement des talents chez Rémy Cointreau. Notre rôle est double ; il consiste d’une part à superviser et harmoniser tous les recrutements stratégiques pour le groupe, et d’autre part à offrir un accompagnement individuel aux talents, pour les aider à avancer dans leur vie professionnelle. Ainsi, nous les suivons dès leur arrivée dans l’entreprise, tout au long de leur évolution en interne, et jusqu’à un éventuel « solstice » - lorsqu’ils décident de changer d’entreprise. Notre objectif est de faire en sorte qu’ils trouvent le meilleur équilibre possible entre leur potentiel, leurs envies et leurs contraintes. La formule de cette équation est, selon nous, la clé pour grandir sereinement dans sa carrière !
Notre rôle est double ; il consiste d’une part à superviser et harmoniser tous les recrutements stratégiques pour le groupe, et à offrir un accompagnement individuel aux talents.
Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au développement des talents ?
Après avoir démarré ma carrière dans le tourisme, j’ai travaillé pendant plus de 10 ans dans le secteur du recrutement. Au cours de cette expérience, j’ai réalisé que les collaborateurs n’avaient souvent personne à qui parler en entreprise. La plupart n’osaient pas discuter de leurs problèmes avec leurs managers directs ou responsables RH - de peur que cela ne soit mal vu ou mal utilisé. Donc, en tant que chasseur de tête, je faisais souvent office de confident et de conseiller. Même si ce rôle me plaisait, il me semblait important qu’un plus grand dialogue et accompagnement individuel reviennent en entreprise. C’est donc avec l’ambition de recréer du lien, valoriser les parcours de chacun et, plus largement, replacer l’humain au coeur de l’entreprise, que j’ai décidé de poursuivre dans la voie du développement des talents.
Pourriez-vous nous expliquer votre mode de fonctionnement actuel ?
Notre entité dédiée au développement des talents se situe hors des structures hiérarchiques classiques. Elle est directement rattachée à la direction générale et travaille étroitement avec le département des ressources humaines. Tout ce qui est individuel et personnel, tombe chez nous, et tout ce qui est décisionnel et collectif, reste l’apanage des RH. Cette dichotomie entre notre métier et les ressources humaines, est essentielle car elle permet d’accompagner l’ensemble des individus, y compris le DRH, sans qu’il y ait de conflits d’intérêts dus à un rapport de subordination. En plus, cette indépendance vis-à-vis de la hiérarchie est le meilleur moyen de libérer la parole, d’instaurer une vraie relation de confiance et donc, de mieux cerner les attentes de chacun.
Quelle est votre vision de l’offboarding chez Rémy Cointreau ?
Nous partons du principe que la vie professionnelle s’allonge et que chacun est amené à changer plusieurs fois de métiers et d’entreprises - voire même à revenir vers ses anciens employeurs. Il n’y a donc pas de vérité absolue ; ce qui est vrai aujourd’hui peut changer demain. Conscients de cette mobilité accrue, l’important pour nous n’est pas de retenir à tout prix nos collaborateurs, mais plutôt de faire en sorte qu’ils aillent là où ils seront le plus épanouis. Si, à un moment donné, ils ne sont plus en phase avec leur métier ou l’entreprise, nous essayons de les aider à trouver des alternatives qui leur correspondent davantage. Nous sommes convaincus que l’herbe n’est jamais plus verte ailleurs, elle est simplement différente. De même, nous ne pouvons pas plaire à tout le monde et nous ne voyons pas cela comme une fatalité ! Au contraire, c’est une vision des choses très réaliste et finalement très utile à l’entreprise. En effet, elle nous aide à dédramatiser les départs et à faire la part belle à l’épanouissement individuel. En plus, cela nous pousse à ne garder que les talents les plus motivés, ceux qui se sentent le plus en osmose avec notre entreprise. Nous avons coutume de dire qu’être libre c’est être en situation de pouvoir décider de rester : nous essayons de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que nos collaborateurs aient donc cette envie, en sachant pourquoi ils font le choix de grandir avec nous.
Nous sommes convaincus que l’herbe n’est jamais plus verte ailleurs, elle est simplement différente.
Comment accompagnez-vous un talent qui est sur le départ ?
Tout d’abord nous l’écoutons pour bien comprendre les raisons qui l’ont amené à cette décision. Ensuite, nous lui présentons toutes les opportunités en interne qui pourraient correspondre à ses aspirations et auxquelles il n’aurait peut-être pas encore pensé. Nous essayons de mettre toutes les options sur la table, d’ouvrir le champ des possibles, et ce, pour que notre collaborateur puisse prendre la meilleure décision. Mais en fin de compte, son choix est souverain et quoi qu’il décide, il nous faut l’accepter. Quand je vois qu’il n’y a plus d’adéquation possible entre ce que l’on peut offrir et ce que recherche notre collaborateur, il m’arrive d’ouvrir mon carnet d’adresses. Si nous avons les moyens de l’aider à s’épanouir pourquoi ne le ferions-nous pas ? Surtout s’il s’agit d’un collaborateur que nous estimons et qui a beaucoup apporté à notre entreprise. Nous le voyons comme une forme de reconnaissance.
La relation avec l’entreprise s’arrête-t-elle à la fin du contrat de l’employé ?
Selon nous, le lien avec l’entreprise ne s’arrête pas au jour de la rupture du contrat. Le souvenir que le collaborateur garde de son expérience dans l’entreprise demeure ancré dans sa mémoire et est précieux ; d’une part parce qu’il est riche d’enseignements pour la suite de sa carrière et d’autre part, parce qu’il est susceptible d’être partagé avec d’autres - et ainsi d’avoir des impacts sur l’image de l’entreprise. Nous essayons donc de laisser un souvenir le plus positif et constructif possible. Aussi, il n’est pas rare que nous restions en contact avec des personnes pendant un, deux voire même trois ans après leur départ, tout en laissant la porte ouverte à un éventuel retour. C’est toujours plaisant lorsque d’anciens collaborateurs désirent revenir, forts d’une expérience leur ayant permis de prendre du recul et de retrouver un ancrage dans leur motivation.
Nous essayons donc de laisser un souvenir le plus positif et constructif possible.
Quelques conseils de pro pour mieux gérer les départs :
La politique de développement des talents chez Rémy Cointreau nous apporte une perspective prometteuse sur la gestion et la fidélisation des talents, mais aussi sur la manière d’aborder les départs lorsque ceux-ci sont inévitables.
D’après Thibaut, voici les 5 conseils à retenir pour accompagner vos talents vers le départ de la manière la plus respectueuse et sereine qui soit :
- Une indépendance vis-à-vis de la hiérarchie
L’accompagnement individuel ne doit pas être un instrument de pouvoir et mérite, à ce titre, d’être placé en dehors de la structure hiérarchique. Moins il y a de rapports de subordination et de pressions de la direction, plus les départs pourront être gérés de manière sereine.
- Une vision dépassionnée des départs
Les départs ne doivent jamais être submergés par des questions d’affect. Il ne s’agit pas de séparations amoureuses ! Mettre de côté ses émotions, permet de désacraliser les départs et de faire en sorte que le collaborateur et l’entreprise se quittent en bons termes - voire même restent en contact et se retrouvent par la suite.
- Une relation de confiance avec les talents
Afin d’anticiper, comprendre et même prévenir les départs, il est important de rompre avec la crainte de la parole libérée en entreprise et d’instaurer une relation de confiance avec les collaborateurs. Il est impératif que le spécialiste du développement personnel respecte pleinement le secret professionnel - sans quoi le salarié n’osera pas s’exprimer sincèrement.
- Une fonction ouverte sur le monde
Dans le cas d’un départ, le spécialiste du développement personnel doit proposer, suggérer, présenter l’étendue des possibilités et laisser ensuite le principal intéressé prendre les décisions qu’il juge les meilleures. En aucun cas, il ne doit tenter de les influencer car cela pourrait avoir des conséquences négatives pour les deux parties.
- Un profond intérêt pour l’humain
Pour accompagner au mieux les talents dans des périodes de réflexion ou de transition, il faut aimer les histoires et ceux qui les racontent. Cela permet d’aborder les départs de manière plus humaine, c’est-à-dire de dépasser les inconvénients qu’ils entraînent inévitablement pour l’entreprise, pour y voir quelque chose de supérieur : l’épanouissement professionnel et personnel d’un individu.
On vous laisse avec une phrase de Thibaut : « Il n’y a pas de plus belle histoire que celle qui te ressemble». Pensez-y la prochaine fois que vous verrez un de vos talents partir et, plutôt que de sangloter, réjouissez-vous pour lui ou elle ! Et qui sait, peut-être reviendra-t-il/elle plus vite que vous ne l’espériez ?
Photos : WTTJ
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